LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 48 F-B
Pourvoi n° V 21-22.090
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
La société Alliance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [S] [U], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Antilope express, a formé le pourvoi n° V 21-22.090 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [G], domicilié [Adresse 3],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de Me Bertrand, avocat de la société Alliance, ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [G], après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juillet 2021), la société Antilope express, dirigée par M. [G], a été mise en liquidation judiciaire le 7 janvier 2016, la société BTSG, remplacée par la société Alliance, étant désignée liquidateur.
2. Le 7 janvier 2019, le liquidateur a assigné le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société Alliance, ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme prescrite son action contre M. [G], alors « que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ; que le jour au cours duquel se produit l'événement qui fait courir le délai de prescription ne compte pas dans celui-ci ; qu'en faisant courir le délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif à la date du 7 janvier 2016, soit la date du jugement de liquidation judiciaire, et non à la date du 8 janvier 2016, au motif qu'en droit des procédures collectives, "l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif obéit à un régime juridique spécifique" en application duquel "le point de départ du délai de prescription est, par application de la règle dérogatoire du droit commun de l'article L. 651-2, alinéa 3, qui est d'ordre public, le jour du jugement de la liquidation judiciaire", quand le texte susvisé n'est nullement dérogatoire au droit commun des règles de computation des délais de prescription, de sorte que le jour du jugement de liquidation judiciaire, soit en l'occurrence le 7 janvier 2016, ne pouvait être retenu à titre de "dies a quo", la cour d'appel a violé les articles L. 652-1, alinéa 3, du code de commerce, 640 du code de procédure civile et 2228 et 2229 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce, et 2228 et 2229 du code civil :
4. Selon le premier de ces textes, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
5. Aux termes du deuxième, la prescription se compte par jours, et non par heures.
6. Aux termes du troisième, elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.
7. Il en résulte que le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, qui constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, ne peut être inclus dans la computation de ce délai, lequel expire trois ans après le jour suivant cette date.
8. Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif introduite par la société Alliance, ès qualités, l'arrêt relève que le jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société Antilope express a été rendu le 7 janvier 2016 tandis que l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif a été délivrée à la demande du liquidateur à M. [G] le 7 janvier 2019 à 15h37. Rappelant que les règles de computation des délais de procédure des articles 641 et 642 du code de procédure civile sont sans application en matière de prescription et, qu'en droit commun, le jour au cours duquel se produit l'événement qui fait courir le délai ne compte pas dans celui-ci, l'arrêt retient qu'en droit des procédures collectives, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif a un régime juridique spécifique, et que le point de départ de son délai de prescription, dérogatoire au droit commun, fixé à l'article L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce qui est d'ordre public, est le jour du jugement de la liquidation judiciaire, de sorte que la prescription étant acquise le dernier jour du terme à minuit, l'action engagée après le 6 janvier 2019 à 24 heures était prescrite.
9. En statuant ainsi, alors que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, soit le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, le 7 janvier 2016, ne pouvait être inclus dans la computation de ce délai, de sorte que l'action engagée le 7 janvier 2019, dans le délai de trois ans de l'article L. 651-2, alinéa 3, n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de sursis à statuer, l'arrêt rendu le 6 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à la société Alliance, en qualité de liquidateur de la société Antilope express, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour la société Alliance, en la personne de Mme [S] [U], en qualité de liquidateur de la société Antilope express.
La SAS Alliance, agissant en la personne de Maître [S] [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Antilope Express fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit irrecevable comme prescrite son action contre M. [H] [G],
ALORS QUE l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ; que le jour au cours duquel se produit l'événement qui fait courir le délai de prescription ne compte pas dans celui-ci ; qu'en faisant courir le délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif à la date du 7 janvier 2016, soit la date du jugement de liquidation judiciaire, et non à la date du 8 janvier 2016, au motif qu'en droit des procédures collectives, « l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif obéit à un régime juridique spécifique » en application duquel « le point de départ du délai de prescription est, par application de la règle dérogatoire du droit commun de l'article L.651-2, alinéa 3, qui est d'ordre public, le jour du jugement de la liquidation judiciaire » (arrêt attaqué, p. 5 al. 6), quand le texte susvisé n'est nullement dérogatoire au droit commun des règles de computation des délais de prescription, de sorte que le jour du jugement de liquidation judiciaire, soit en l'occurrence le 7 janvier 2016, ne pouvait être retenu à titre de « dies a quo », la cour d'appel a violé les articles L.652-1, alinéa 3, du code de commerce, 640 du code de procédure civile et 2228 et 2229 du code civil.