LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle et rectification d'erreur matérielle de l'arrêt attaqué
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 73 F-D
Pourvoi n° B 21-10.711
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
La société CIC Nord Ouest, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-10.711 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant à M. [D] [R], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société CIC Nord Ouest, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [R], après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 novembre 2020), par un acte du 16 février 2010, la société CIC Nord Ouest (la banque) a consenti à la société La Forientina un prêt de 85 000 euros. Par un acte du 17 février 2010, M. [R] s'est rendu caution solidaire de ce prêt dans la limite de 85 000 euros et pour une durée de vingt-quatre mois. La société La Fiorentina ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a obtenu du président d'un tribunal de commerce une injonction à M. [R] de payer la somme de 36 960,41 euros. Celui-ci a formé opposition à cette ordonnance, soutenant que la déchéance du terme de l'obligation principale résultant de la liquidation judiciaire de la société La Fiorentina ne lui était pas opposable.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer sa demande en paiement à l'encontre de M. [R] irrecevable, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; qu'en déclarant la demande en paiement de la banque à l'encontre de la caution irrecevable, après avoir, dans ses motifs, débouté au fond la banque de sa demande, la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. La contradiction alléguée par le moyen procède d'une erreur purement matérielle, affectant le seul dispositif de l'arrêt, dont la rectification sera ci-après ordonnée.
4 Le grief ne peut donc être accueilli.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que la déchéance du terme résultant du jugement prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal n'est pas opposable à la caution, sauf clause contraire ; que le contrat de cautionnement conclu entre la banque et M. [R] prévoyait en son article 6 qu' "en cas de défaillance du cautionné pour quelque cause que ce soit, la caution sera tenue de payer à la banque, dans la limite du montant de son engagement, ce que lui doit le cautionné, y compris les sommes devenues exigibles par anticipation" ; qu'il en résultait clairement et précisément que le contrat de cautionnement avait prévu, par une clause précise, que la déchéance du terme résultant du jugement prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal était opposable à la caution ; qu'en énonçant, pour débouter la banque, que le contrat de prêt ne prévoyait pas une telle clause, sans prendre en considération l'article 6 précité du contrat de cautionnement invoqué par la banque dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel l'a dénaturé par omission et a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
6. Pour rejeter les demandes en paiement de la banque à l'encontre de M. [R], l'arrêt retient que l'article 6.1 du contrat de prêt, stipulant que « la caution solidaire est tenue de payer à la banque ce que doit et devra le cautionné au cas où ce dernier ne ferait pas face à ce paiement pour un motif quelconque », vise une situation de défaut du débiteur principal qui ne peut être assimilée à la situation où le débiteur principal encourt la déchéance du terme légale en application des dispositions de l'article L. 643-1 du code de commerce, et que cette clause ne peut donc être interprétée comme contenant une renonciation de la caution à l'inopposabilité de la déchéance du terme, de sorte que la déchéance terme de la dette de la société La Fiorentina n'est pas opposable à la caution, laquelle ne peut dès lors faire l'objet de poursuites par le créancier avant la clôture de la procédure collective.
7. En statuant ainsi, alors que le même article stipule également qu' « en cas de défaillance du cautionné pour quelque cause que ce soit, la caution sera tenue de payer à la banque, dans la limite du montant de son engagement, ce que lui doit le cautionné, y compris les sommes devenues exigibles par anticipation », ce dont il résulte que M. [R] avait consenti à ce que la déchéance du terme de l'obligation principale lui soit applicable, notamment en cas de liquidation judiciaire de la débitrice principale, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de l'article 6.1 précité, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
RECTIFIE l'arrêt n° RG 19/03732 du 19 novembre 2020 ;
REMPLACE « Déclare la demande en paiement de la société CIC Nord Ouest à l'encontre de la caution M. [D] [R] irrecevable, » par « Rejette la demande en paiement de la société CIC Nord Ouest à l'encontre de la caution M. [D] [R], » ;
DIT que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt rectifié ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de la société CIC Nord Ouest à l'encontre de la caution M. [D] [R] et condamne la société CIC Nord Ouest à payer à M. [D] [R] une indemnité procédurale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et le condamne à payer à la société CIC Nord Ouest la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société CIC Nord Ouest.
La société CIC Nord-Ouest reproche à l'arrêt infirmatif attaqué :
D'AVOIR déclaré sa demande en paiement à l'encontre de la caution M. [D] [R] « irrecevable » ;
1/ ALORS QUE la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; qu'en déclarant la demande en paiement de la société CIC Nord-Ouest à l'encontre de la caution irrecevable, après avoir, dans ses motifs, débouté au fond la banque de sa demande (page 6, in fine), la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2/ ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que la déchéance du terme résultant du jugement prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal n'est pas opposable à la caution, sauf clause contraire ; que le contrat de cautionnement conclu entre le CIC Nord-Ouest et M. [R] (pièce d'appel n°2) prévoyait en son article 6 qu'« en cas de défaillance du cautionné pour quelque cause que ce soit, la caution sera tenue de payer à la banque, dans la limite du montant de son engagement, ce que lui doit le cautionné, y compris les sommes devenues exigibles par anticipation » ; qu'il en résultait clairement et précisément que le contrat de cautionnement avait prévu, par une clause précise, que la déchéance du terme résultant du jugement prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal était opposable à la caution ; qu'en énonçant, pour débouter la banque, que le contrat de prêt ne prévoyait pas une telle clause, sans prendre en considération l'article 6 précité du contrat de cautionnement invoqué par la banque dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel l'a dénaturé par omission et a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3/ ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que la déchéance du terme résultant du jugement prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal n'est pas opposable à la caution, sauf clause contraire ; que le contrat de prêt conclu entre le CIC Nord-Ouest et la société La Fiorentina (pièce d'appel n°1) prévoyait en son article 6.1 qu'« en cas de défaillance du cautionné pour quelque cause que ce soit, la caution sera tenue de payer à la banque, dans la limite du montant de son engagement, ce que lui doit le cautionné, y compris les sommes devenues exigibles par anticipation » ; qu'il en résultait clairement et précisément que le contrat de prêt avait prévu, par une clause précise, que la déchéance du terme résultant du jugement prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal était opposable à la caution ; qu'en énonçant, pour débouter la banque, que le contrat de prêt prévoyait que la « caution solidaire est tenue de payer à la banque ce que doit et devra le cautionné au cas où ce dernier ne ferait pas face à ce paiement pour un motif quelconque », sans prendre en considération la deuxième partie de l'article 6.1 du contrat de prêt invoqué par la banque dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel l'a dénaturé par omission et a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.