LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 121 F-D
Pourvoi n° X 21-14.663
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [S] [P], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 21-14.663 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la Société française du radiotéléphone (SFR), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de M. [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Société française du radiotéléphone, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 2021), M. [P] a été engagé le 1er octobre 2006 par la Société française du radiotéléphone (la société) en qualité d'ingénieur grands comptes.
2. Ayant démissionné le 13 mai 2016, il a saisi le 20 décembre 2016 la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, d'indemnité pour repos compensateur non pris et d'indemnité pour travail dissimulé.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, repos compensateur et indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que la cour d'appel a constaté que le salarié versait aux débats des éléments laissant présumer qu'il avait effectué des heures supplémentaires ; qu'en retenant, pour le débouter de sa demande, que les attestations qu'il produisait était imprécises et ne permettaient pas de corroborer son tableau, qu'il ne produisait pas d'agenda permettant de déterminer ses rendez-vous et qu'il ne versait pas aux débats systématiquement le premier mail du matin et le dernier de la journée de sorte qu'il ne démontrait pas l'amplitude de l'horaire effectué, quand l'employeur ne produisait aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par l'intéressé, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
4. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
5. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
6. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
7. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt retient, d'abord, que le salarié verse aux débats un tableau au jour le jour de ses horaires de travail et un décompte de ses heures supplémentaires pour la période de janvier 2014 à juin 2016, ainsi que de nombreux mails dont certains émis à des heures tardives, ou pendant qu'il était en arrêt de travail ou en congés, et en déduit que l'intéressé verse aux débats des éléments laissant présumer qu'il a effectué des heures supplémentaires.
8. Puis l'arrêt relève que tant pendant la relation de travail que dans sa lettre de démission, le salarié n'a nullement fait état d'heures supplémentaires ni n'en a sollicité le paiement, que les attestations qu'il verse aux débats sont imprécises et ne permettent pas de corroborer son tableau, qu'en ne produisant pas d'agenda permettant de déterminer ses rendez-vous, en ne versant pas aux débats, systématiquement, le premier mail du matin et le dernier de la journée le salarié ne démontre pas l'amplitude horaire effectuée, et qu'enfin il n'a jamais rempli les documents de suivi d'activité alors que ce document est prévu par l'accord-cadre sur le temps de travail et qu'il ne pouvait en ignorer l'existence.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la Société française du radiotéléphone de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la Société française du radiotéléphone aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société française du radiotéléphone et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Isabelle Galy, avocat aux Conseils, pour M. [P]
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, repos compensateur et indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
1°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que la cour d'appel a constaté que M. [P] versait aux débats des éléments laissant présumer qu'il avait effectué des heures supplémentaires ; qu'en retenant, pour le débouter de sa demande, que les attestations qu'il produisait était imprécises et ne permettaient pas de corroborer son tableau, qu'il ne produisait pas d'agenda permettant de déterminer ses rendez-vous et qu'il ne versait pas aux débats systématiquement le premier mail du matin et le dernier de la journée de sorte qu'il ne démontrait pas l'amplitude de l'horaire effectué, quand l'employeur ne produisait aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par M. [P], la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
2°) ALORS QUE l'absence d'autorisation préalable ou de demande expresse de l'employeur n'exclut pas un accord tacite de ce dernier à l'accomplissement d'heures supplémentaires ; qu'en déboutant M. [P] de sa demande aux motifs qu'il n'apparaît aucune demande de l'employeur conduisant le salarié à effectuer des heures supplémentaires, et qu'il n'avait jamais rempli le document de « suivi d'activité » prévu par l'accord cadre sur le temps de travail, sans rechercher, comme il était soutenu, si les heures supplémentaires effectuées n'avaient pas été rendues nécessaires par la surcharge de travail de M. [P] et la fixation d'objectifs incompatibles avec les 35 heures hebdomadaires prévues par l'accord collectif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail ;
3°) ALORS QUE le fait pour le salarié de n'avoir pas fait valoir ses droits pendant l'exécution du contrat de travail ne saurait valoir de sa part renonciation au paiement des heures supplémentaires ; qu'en retenant, pour débouter M. [P] de sa demande, que tant pendant la relation de travail que dans sa lettre de démission M. [P] n'avait nullement fait état d'heures supplémentaires, la cour d'appel, qui n'a caractérisé aucune manifestation claire et non équivoque de M. [P] de renoncer au paiement des heures supplémentaires effectuées, a violé les articles L. 3171-4 du code civil et les articles 1103 et 1104 du code civil ;
4°) ALORS QU'en retenant qu'en application de l'article L. 7221-2 du code du travail, les dispositions relatives à la durée légale de travail ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et pour lesquelles la durée du travail est de 40 heures par semaine, quand ces dispositions n'étaient pas applicables en l'espèce, M. [P] n'étant pas employé de maison, la cour d'appel a violé par fausse application le texte susvisé.