LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 avril 2023
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 408 F-D
Pourvoi n° B 22-13.291
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023
Mme [M] [I], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 22-13.291 contre l'arrêt rendu le 9 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Aéroports de [Localité 3], société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de Mme [I], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Aéroports de [Localité 3], après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 décembre 2021), Mme [I] a été engagée, le 2 janvier 1995, par la société Aéroports de [Localité 3] (la société ADP) en qualité de chargée de mission. Après plusieurs promotions, elle a été nommée directrice de l'immobilier en juillet 2003, avec un statut de cadre dirigeant, catégorie IV.
2. La salariée a été convoquée, le 19 juillet 2006, à un entretien préalable de premier niveau puis, le 28 juillet 2006, à un entretien préalable de second niveau.
3. Le contrat de travail de la salariée a été suspendu pour cause de maladie du 19 juillet au 3 août 2006 puis, à nouveau, à compter du 4 août 2006.
4. Par lettre du 11 août 2006, la salariée a été licenciée pour faute grave.
5. Contestant ce licenciement, elle a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
7. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, à titre principal, de nullité du licenciement et de paiement d'une indemnité spéciale pour licenciement nul, de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, de rappel de salaire au titre de la mise à pied, outre les congés payés afférents, et du pécule prévu par l'article 32 du statut de la société ADP, à titre subsidiaire, de requalification de la rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, de rappel de salaire au titre de la mise à pied, outre les congés payés afférents, et du pécule prévu par l'article 32 du statut de la société ADP, alors :
« 1°/ que selon l'article 31 du statut du personnel de la société ADP en sa rédaction antérieure à celle entrée en vigueur le 1er janvier 2011, ‘' tout agent frappé d'une sanction peut faire appel, par la voie hiérarchique, au directeur général qui statue dans un délai ne pouvant excéder 30 jours'‘ ; que le recours hiérarchique exercé auprès du directeur général, en ce qu'il est de nature à avoir une incidence sur la décision de l'employeur, constitue une garantie de fond, en sorte qu'en vertu de l'article L. 122-32-2 du code du travail, le licenciement prononcé sans que le salarié ait été informé de la faculté qui est la sienne d'exercer cette voie de recours est nul lorsqu'il a été prononcé au cours d'une période de suspension du contrat de travail ; que, pour dire le licenciement justifié, la cour d'appel a estimé que ‘'le statut du personnel d'Aéroports de Paris, dans sa version applicable au litige, établit donc une distinction entre les agents, les cadres et les cadres dirigeants'‘ et que ‘'le recours hiérarchique au directeur général est manifestement ouvert exclusivement aux agents'‘, puis retenu que, ‘'ne pouvant être considérée comme un "agent", la salariée, cadre dirigeant de catégorie IV, ne saurait donc valablement se prévaloir de l'absence d'information relative à un recours hiérarchique qui ne lui était pas ouvert'‘ ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'article 31 du statut du personnel de la société ADP n'exclut pas expressément les cadres dirigeants du bénéfice de la garantie de procédure ainsi édictée, en sorte que la salariée, en sa qualité d'agent de la société ADP, aurait dû être informée, nonobstant son grade de cadre dirigeant, de la faculté qui était la sienne d'exercer la voie de recours qui lui était ouverte, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article L. 122-32-2 du code du travail, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 ;
2°/ que la cour d'appel a relevé, en outre, que, '‘si la lettre de convocation au premier entretien préalable a été signée du directeur général adjoint M. M., la lettre de convocation au second entretien préalable émane en l'espèce de M. [W], président directeur général de la société ADP, comme d'ailleurs la lettre de licenciement, ce qui aurait rendu le recours hiérarchique de l'article 31, s'il avait été permis, manifestement irréalisable en l'espèce, en l'absence de toute instance supérieure à qui le soumettre'‘ ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, la circonstance que le signataire de la lettre de licenciement soit également l'instance devant laquelle le recours doit être exercé n'excluant pas, en soi, que ce dernier puisse modifier son appréciation initiale des faits et revenir sur sa décision primitive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31 du statut du personnel de la société ADP en sa rédaction antérieure à celle entrée en vigueur le 1er janvier 2011, ensemble l'article L. 122-32-2 du code du travail, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 31 du statut du personnel de la société Aéroports de [Localité 3], dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2011 :
8. Aux termes de ce texte, toute sanction est entourée des garanties de procédure suivantes :
Le chef hiérarchique qui propose qu'une sanction soit infligée à un agent en informe ce dernier et reçoit ses explications en présence d'une personne de son choix appartenant au personnel d'Aéroports de [Localité 3] si l'agent incriminé le désire. (...) Si la proposition de sanction est maintenue, à l'issue de ce premier entretien, l'agent est convoqué par écrit à un entretien préalable, par le degré hiérarchique habilité du fait des délégations à prononcer la sanction.
Les sanctions qui peuvent être infligées pour faute sont les suivantes : 1 l'avertissement, 2 le blâme, 3 la mise à pied ou suspension sans solde pouvant aller jusqu'à 3 jours, 4 le retard à l'avancement à l'ancienneté, 5 la rétrogradation, 6 le congédiement, avec ou sans préavis.
La sanction n° 3 ne s'applique pas aux cadres de la catégorie III. Les sanctions n° 1, 2, 3, 4 et 5 ne s'appliquent pas aux cadres dirigeants de la catégorie IV.
Les sanctions peuvent être infligées :
a) pour les agents des catégories I et II : l'avertissement et le blâme : par le chef de service, les autres sanctions, à l'exception du congédiement : par le supérieur hiérarchique direct du chef de service de l'agent en faisant fonction, le congédiement avec ou sans préavis : par le directeur.
b) pour les cadres de la catégorie III : l'avertissement et le blâme : par le chef de département ou le directeur, les autres sanctions : par le directeur général c) pour les cadres dirigeants de la catégorie IV : le congédiement avec ou sans préavis : par le directeur général.
Tout agent frappé d'une sanction peut faire appel, par la voie hiérarchique, au directeur général qui statue dans un délai ne pouvant excéder 30 jours. L'appel n'est pas suspensif.
9. Il en résulte, d'une part, que ce texte, qui n'opère aucune distinction entre les différentes catégories de personnel, ouvre également l'appel devant le directeur général aux cadres dirigeants de la catégorie IV, d'autre part, que ce recours interne à l'encontre de la décision de congédiement, en ce qu'il est de nature à remettre en cause la décision initiale, constitue pour l'agent une garantie de fond qui oblige l'employeur à l'informer de la faculté de former cet appel, en sorte que le licenciement prononcé sans que le salarié ait été avisé de la faculté de faire appel ne peut avoir de cause réelle et sérieuse.
10. Pour débouter la salariée de ses demandes tendant à voir dire son licenciement nul et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et en paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts, l'arrêt retient que le statut du personnel de la société ADP établit une distinction entre les agents, les cadres et les cadres dirigeants et que le recours hiérarchique au directeur général est manifestement ouvert exclusivement aux agents.
11. Il ajoute que la lettre de convocation au second entretien préalable émane du président directeur général de la société ADP, comme d'ailleurs la lettre de licenciement, ce qui aurait rendu le recours hiérarchique de l'article 31 - s'il avait été permis - manifestement irréalisable en l'espèce, en l'absence de toute instance supérieure à qui le soumettre.
12. Il en déduit que la salariée, cadre dirigeant de catégorie IV, ne pouvant être considérée comme un agent, ne peut donc se prévaloir de l'absence d'information relative à un recours hiérarchique qui ne lui était pas ouvert.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation des chefs de dispositif déboutant Mme [I] de certaines de ses demandes n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société Aéroports de [Localité 3] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [I] de ses demandes, à titre principal, de nullité du licenciement et de paiement d'une indemnité spéciale pour licenciement nul, de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, de rappel de salaire au titre de la mise à pied, outre les congés payés afférents, et du pécule prévu par l'article 32 du statut de la société Aéroports de [Localité 3], à titre subsidiaire, de requalification de la rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, de rappel de salaire au titre de la mise à pied, outre les congés payés afférents, et du pécule prévu par l'article 32 du statut de la société Aéroports de [Localité 3], l'arrêt rendu le 9 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Aéroports de [Localité 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Aéroports de [Localité 3] et la condamne à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.