LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 445 F-D
Pourvoi n° X 21-23.472
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ M. [V] [Z],
2°/ Mme [T] [O], épouse [Z],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° X 21-23.472 contre l'arrêt rendu le 17 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 6), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [Y] [G], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société Bred Banque populaire, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La société Bred Banque populaire a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. et Mme [Z], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [G], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Bred Banque populaire, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 2021), par un acte du 25 février 2013, la société Bred Banque populaire (la banque) a consenti un prêt à la société Doli (la société), créée par M. [Z] et Mme [O], son épouse. Par un acte du 7 décembre 2012, M. [Z] s'est rendu caution solidaire du remboursement de ce prêt.
2. Le 8 novembre 2014, M. [Z] a souscrit un second cautionnement, en garantie de tous engagements de la société envers la banque à concurrence d'un certain montant.
3. Par actes sous seing privé du 1er mars 2016, M. et Mme [Z] ont cédé les parts qu'ils détenaient dans le capital de la société. Les contrats ont été rédigés et régularisés par M. [G], expert-comptable de la société.
4. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné M. [Z] en exécution de ses engagements.
5. M. et Mme [Z], cette dernière intervenant volontairement à l'instance, ont assigné M. [G] en intervention forcée aux fins de voir retenir sa responsabilité civile, en qualité de rédacteur des actes de cessions, pour manquement à ses devoirs d'information, de conseil et de mise en garde.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de condamner Mme [Z], in solidum avec son mari et M. [G], à payer à la banque les sommes allouées par le tribunal dans la limite de 25 % de leur montant en principal et intérêts, ces derniers étant capitalisés dans les termes ordonnés, alors :
« 1° / que le juge doit faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut relever d'office un moyen de droit sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée de la condamnation in solidum de Mme [Z] prononcée au profit de la banque, sans avoir invité les parties à présenter préalablement leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en relevant que les premiers juges ont statué au-delà de la demande de la banque, qui n'avait dirigé ses demandes que contre M. [Z] en l'absence d'engagement de caution souscrit par son épouse, tout en condamnant Mme [Z], in solidum avec son mari et M. [G], au paiement de 25 % des sommes dues à la banque, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 5 du code de procédure civile ;
3°/ que l'erreur matérielle qui affecte un jugement, même passé en force de chose jugée, peut toujours être réparée par la juridiction à laquelle il est déféré et que le juge peut s'en saisir d'office ; qu'en relevant que, même si les premiers juges ont statué au-delà de la demande de la banque, qui n'avait dirigé ses demandes que contre M. [Z] en l'absence d'engagement de caution souscrit par son épouse, cette disposition a l'autorité de la chose jugée dès lors qu'aucune des parties ne critique la condamnation de Mme [Z] prononcée à tort au profit de la banque, quand cette condamnation procède d'une erreur matérielle que la cour d'appel pouvait rectifier elle-même, la cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile par refus d'application ;
4°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en relevant, dans ses motifs, que "la perte de chance d'épargner à M. [Z] la mise en oeuvre de son cautionnement doit être évaluée à 25 % des sommes dues à la banque" et en condamnant, dans son dispositif, Mme [Z], in solidum avec M. [Z] et M. [G], à payer à la banque les sommes allouées par le tribunal dans la limite de 25 % de leur montant, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Ayant exactement relevé qu'aucune des parties ne critiquait la condamnation de Mme [Z] prononcée au profit de la banque et que cette disposition avait dès lors l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel, qui n'a infirmé le jugement déféré que du seul chef de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [G], n'a condamné que ce dernier.
8. Le moyen, qui fait grief à l'arrêt de condamner Mme [Z], manque donc en fait.
Sur le second moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
9. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de condamner M. [G], in solidum avec eux, à payer à la banque les sommes allouées par le tribunal dans la limite de 25 % de leur montant en principal et intérêts, ces derniers étant capitalisés dans les termes ordonnés, alors :
« 1°/ que la perte de chance à évaluer consistait en la perte de chance subie par les époux [Z] du fait de la faute commise par M. [G], en sa qualité de rédacteur des actes de cession des parts sociales de la société, qui impliquait de rechercher quelles étaient les probabilités réelles de substitution des cautionnements souscrits par M. [Z] aux cessionnaires du fonds de commerce ; qu'en relevant, pour l'évaluer à 25 %, que l'état de santé de M. [Z] ne lui permettait plus d'exploiter le fonds de commerce et que si M. et Mme [Z] n'avaient pas renoncé à leur projet de cession et sollicité la banque pour résilier les cautionnements de l'époux et leur substitution par ceux de M. et/ou de Mme [C], il est peu probable que la banque ait donné son accord, en supposant que les nouveaux garants justifient d'une capacité financière supérieure aux anciens, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser la perte de chance subie par les époux [Z] du fait de la faute commise par M. [G] et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-1 (1147 ancien) du code civil ;
2°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que le motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ; qu'en relevant pour évaluer la perte de chance d'épargner à M. [Z] la mise en oeuvre de son cautionnement à 25 % des sommes dues à la banque, que l'état de santé de M. [Z] ne lui permettait plus d'exploiter le fonds de commerce "de sorte que même si les échéances du prêt ont été honorées jusqu'à la cession, le premier impayé datant de mai 2016, la société, privée de son dirigeant, aurait eu des difficultés à maintenir une activité permettant de faire face à son engagement" et encore que "si M. et Mme [Z] n'avaient pas renoncé à leur projet de cession et sollicité la [banque] pour résilier les cautionnements de l'époux et leur substitution par ceux de M. et/ou de Mme [C], il est peu probable que la banque ait donné son accord en supposant que les nouveaux garants justifient d'une capacité financière supérieure aux anciens", la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en relevant, pour évaluer la perte de chance d'épargner à M. [Z] la mise en oeuvre de son cautionnement à 25 % des sommes dues à la banque, [que] "si M. et Mme [Z] n'avaient pas renoncé à leur projet de cession et sollicité la [banque] pour résilier les cautionnements de l'époux et leur substitution par ceux de M. et/ou de Mme [C], il est peu probable que la banque ait donné son accord en supposant que les nouveaux garants justifient d'une capacité financière supérieure aux anciens", quand la banque affirmait le contraire dans ses conclusions d'appel en ces termes : "Si dûment informé, M. [Z] avait tout de même vendu, il l'aurait sans doute fait en subordonnant son accord à la levée de ses cautionnements et il était parfaitement envisageable que la [banque] consente pour peu qu'une autre garantie lui soit apportée, par exemple la caution du repreneur", la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la banque et violé le principe précité. »
Réponse de la Cour
10. Après avoir relevé que M. [G] avait commis une faute, en qualité d'expert-comptable rédacteur des actes de cession, en omettant d'informer les parties à ces actes sur la persistance des engagements de caution de M. [Z] malgré la cession des parts sociales et la promesse de reprise du passif par les cessionnaires, l'arrêt retient que le préjudice consécutif à cette faute est la perte d'une chance de prendre une autre décision, qui aurait permis à M. [Z] d'éviter d'être appelé en paiement.
11. Recherchant ensuite si, dûment informés, M. et Mme [Z] auraient pu prendre une autre décision leur permettant d'échapper à la mise en oeuvre des cautionnements souscrits par M. [Z], d'une part, l'arrêt retient que l'état de santé de ce dernier ne lui permettait plus d'exploiter le fonds de commerce, de sorte que la société, privée de son dirigeant, aurait eu des difficultés à maintenir une activité faisant face à ses engagements. D'autre part, appréciant souverainement quel aurait été le comportement probable de la banque si M. et Mme [Z] n'avaient pas renoncé à leur projet de cession et l'avaient sollicitée pour qu'elle accepte de substituer les cautionnements des cessionnaires à ceux de M. [Z], l'arrêt ajoute, sans dénaturer les conclusions de la banque, qu'il est peu probable que celle-ci aurait donné son accord.
12. En l'état de ces motifs, pertinents et dénués de tout caractère hypothétique dès lors qu'elle appréciait l'existence d'une probabilité, la cour d'appel a pu évaluer la perte de chance d'éviter la mise en oeuvre des cautionnements souscrits par M. [Z] à 25 % des sommes dues à la banque, et ce, que ce dernier et son épouse eussent renoncé ou non à la cession des parts de la société.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [Z] et les condamne à payer à la société Bred Banque populaire la somme globale de 3 000 euros et à M. [G] la somme globale de 3 000 euros, et condamne la société Bred Banque populaire à payer à M. [G] la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.