LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 septembre 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 889 FP-B+R
Pourvoi n° B 22-17.638
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023
M. [V] [B], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 22-17.638 contre l'arrêt rendu le 9 février 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6 - chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Transports Daniel Meyer, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [B], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, M. Rinuy, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Ott, M. Barincou, Mme Lacquemant, conseillers, Mme Ala, M. Le Corre, Mmes Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 février 2022), le 26 avril 2007, M. [B] a été engagé en qualité de conducteur receveur par la société Transports Daniel Meyer.
2. Le 21 février 2014, le salarié a été victime d'un accident du travail. Il a fait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 8 octobre 2015.
3. Après la délivrance par le médecin du travail d'un avis d'inaptitude définitive, le salarié a été licencié le 19 novembre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
4. Le 4 novembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme le rappel d'indemnité de congés payés, alors « que tout travailleur doit bénéficier d'un congé payé annuel ; que les salariés absents du travail en vertu d'un congé maladie au cours de la période de référence sont assimilés à ceux ayant effectivement travaillé au cours de cette période ; qu'il s'en infère que le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, assimilé au travailleur ayant effectivement travaillé, acquiert des droits à congés payés pendant la totalité de la période de suspension du contrat ; qu'en retenant que le salarié, placé en congé maladie le 21 février 2014, ne pouvait prétendre à une indemnité de congés payés pour la période postérieure au 21 février 2015, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-5 du code du travail interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C- 350/06, point 41 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
7. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
8. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
9. Selon l'article L. 3141-5 du code du travail, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
10. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3141-1 et L. 3141-5 du code du travail que les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, ne permettent pas d'acquérir des droits à congés payés au-delà d'une durée ininterrompue d'un an.
11. Le moyen, qui propose une interprétation de la loi, à la lumière de la directive 2003/88/CE, contraire aux termes des articles L. 3141-1 et L. 3141-5 du code du travail, n'est pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que, subsidiairement, lorsqu'il n'est pas possible d'interpréter la réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la juridiction nationale doit laisser la réglementation nationale inappliquée ; que les dispositions précitées doivent être interprétées comme imposant que les périodes au cours desquelles le salarié est placé en congé maladie soient, pour la détermination du droit à congé annuel, prises en compte pour la totalité de leur durée ; qu'à supposer qu'il ne soit pas possible d'interpréter l'article L. 3141-5 du code du travail de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il appartenait à la cour, en application du second de ces textes, de laisser cet article inappliqué ; qu'en faisant toutefois application de ce texte pour rejeter la demande d'indemnité de congés payés présentée par le salarié en tant qu'elle portait sur la période postérieure au 21 février 2015, la cour d'appel a violé l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, et, par fausse application, l'article L. 3141-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 1132-1, L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail :
13. Aux termes du premier de ces textes, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
14. En application du deuxième de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.
15. Aux termes du troisième de ces textes, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
16. Selon le dernier de ces textes, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
17. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16, point 80).
18. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C- 350/06, point 41 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
19. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
20. Par arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
21. La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-22.285, Bull. 2013, V, n° 73).
22. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d'une durée ininterrompue d'un an, le droit interne ne permet pas, ainsi qu'il a été dit au point 9, une interprétation conforme au droit de l'Union européenne.
23. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
24. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
25. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre de l'indemnité de congé payé, l'arrêt retient que l'article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doit guider le juge dans l'interprétation des textes, n'est pas d'application directe en droit interne quand l'employeur n'est pas une autorité publique. Il ajoute que la période écoulée entre la date de l'arrêt de travail du 21 février 2014 et expirant un an après, soit le 21 février 2015, ouvre droit à congés payés, mais nullement la période qui a suivi.
26. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société Transports Daniel Meyer à payer à M. [B] au titre de l'indemnité de congé payé la somme de 132,71 euros, l'arrêt rendu le 9 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Transports Daniel Meyer aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Transports Daniel Meyer à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.