LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SMSG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 octobre 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 651 F-D
Pourvoi n° M 22-13.898
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 OCTOBRE 2023
1°/ M. [K] [S],
2°/ Mme [Z] [R], épouse [S],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
3°/ la société VVS, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ la société Pivimmo, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° M 22-13.898 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige les opposant à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. et Mme [S], des sociétés VVS et Pivimmo, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon, après débats en l'audience publique du 29 août 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 10 novembre 2021), entre 2010 et 2014, M. [S] et Mme [R], mariés sous le régime de la communauté, se sont rendus cautions solidaires de concours consentis par la société Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon (la banque) aux sociétés Le prélude et Au temps des cerises.
2. Par un acte du 18 avril 2013, M. [S] et Mme [R] ont apporté à la société Pivimmo, créée et dirigée par eux, un bien immobilier leur appartenant en commun, moyennant attribution de parts sociales pour un montant identique à la valeur de ce bien.
3 Par un acte du 1er septembre 2014, la société Pivi finances, dont les associés sont M. [S] et Mme [R], et le gérant M. [S], a cédé à la société VVS, représentée par Mme [R], les parts de la société Pivimmo lui appartenant, qu'elle-même avait acquises de M. [S] et de Mme [R].
4. Le 30 novembre 2018, la banque a assigné M. [S] et Mme [R], ainsi que la société Pivimmo, sur le fondement de la fraude paulienne, aux fins de se voir déclarer inopposable l'apport à cette dernière du bien immobilier.
5. Le 14 juin 2019, la banque a assigné en intervention forcée la société VVS, cessionnaire des parts sociales de la société Pivimmo, aux fins de se voir déclarer inopposables tous actes postérieurs de cession des parts sociales de M. [S] et de Mme [R].
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. M. [S] et Mme [R], la société VVS et la société Pivimmo font grief à l'arrêt de déclarer inopposable à la banque la cession de parts sociales détenues par M. [S] et Mme [R] au sein de la société Pivimmo intervenue au profit de la société Pivi finances, ainsi que les actes postérieurs de cession de parts sociales de M. [S] et de Mme [R], alors « que les juges du fond ne peuvent statuer sur l'opposabilité d'un acte de cession de parts sociales que si les parties à l'acte ont été mises en cause ; qu'en déclarant inopposable à la Caisse d'épargne la cession à la société Pivi finances des parts sociales détenues par les époux [S] au sein de la société Pivimmo, sans constater que la société Pivi finances avait été appelée en la cause, la cour d'appel a violé l'article 14 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que M. [S] et Mme [R] n'ont pas soutenu devant la cour d'appel que la procédure était irrégulière en raison de ce que la société Pivi finances n'avait pas été appelée à l'instance.
9. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
10. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1341-2 du code civil :
11. Il résulte de ce texte que l'action paulienne doit être dirigée contre le tiers acquéreur.
12. L'arrêt déclare inopposable à la banque la cession à la société Pivi finances des parts sociales de la société Pivimmo appartenant à M. [S] et Mme [R].
13. En statuant ainsi, alors que l'action paulienne de la banque était dirigée uniquement contre M. [S] et Mme [R] et la société VVS, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. M. [S] et Mme [R], la société VVS et la société Pivimmo font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en déclarant inopposable à la banque la cession à la société Pivi finances des parts sociales détenues par les époux [S] au sein de la société Pivimmo "ainsi que les actes postérieurs de cession de parts sociales de M. [S] et Mme [R]", après avoir retenu, dans ses motifs, que la banque devait être déboutée de sa demande visant à voir déclarer inopposables les actes postérieurs de cession de parts sociales des époux [S] en raison de son imprécision, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif et ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs.
16. L'arrêt retient, dans ses motifs, que la banque sera déboutée de sa demande tendant à voir déclarer inopposables les actes postérieurs de cession de parts sociales de M. [S] et de Mme [R] en raison de son imprécision, et déclare, dans son dispositif, inopposables à la banque les actes postérieurs de cession de parts sociales de M. [S] et de Mme [R].
17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare inopposables à la société Caisse d'épargne du Languedoc-Roussillon la cession de parts sociales détenues par M. [S] et Mme [R] au sein de la société Pivimmo intervenue au profit de la société Pivi finances, ainsi que les actes postérieurs de cession de parts sociales de M. [S] et de Mme [R], l'arrêt rendu le 10 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon et la condamne à payer à M. [S], Mme [R], la société VVS et la société Pivimmo la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille vingt-trois.