LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 novembre 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 724 F-D
Pourvoi n° S 21-17.740
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 NOVEMBRE 2023
1°/ Mme [M] [K], épouse [Y], domiciliée [Adresse 4],
2°/ M. [T] [Y], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° S 21-17.740 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2021 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [S] [I], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
3°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [Y], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [I] et des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 1er avril 2021), suivant une lettre de mission du 13 août 2009, Mme [I], assurée auprès de la société Covea, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD (les sociétés MMA), s'est engagée envers M. et Mme [Y], en tant que conseiller en investissements financiers, à apporter tous les soins à la défense de leurs intérêts et à étudier la valeur à court et moyen terme de leur patrimoine, afin de leur indiquer les opérations qu'elle considérerait comme les mieux adaptées à leurs objectifs.
2. Mme [I] a mis un terme à sa mission le 4 novembre 2014.
3. Soutenant que Mme [I] avait manqué à son obligation de conseil, M. et Mme [Y] l'ont assignée, ainsi que les sociétés MMA, en indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. et Mme [Y] font grief à l'arrêt de les déclarer irrecevables, du fait de la prescription, en leur action à l'encontre de Mme [I] fondée sur la perte de chance, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que la perte de chance de ne pas contracter un placement résultant du manquement du conseiller en investissements financiers à ses obligations contractuelles se réalise à la date de réalisation du dommage ou à la date à laquelle la victime de ce dommage en a eu connaissance ; qu'en l'espèce, pour déclarer prescrite l'action des époux [Y] fondée sur la perte de chance et rejeter leur moyen tiré de ce qu'ils n'avaient eu connaissance de leur préjudice qu'au moment de la reddition des comptes de Mme [I], qui avait mis fin à sa mission le 2 novembre 2014, de telle sorte que leur action engagée le 30 mars 2017 était recevable, la cour d'appel a retenu que les manquements de Mme [I] à son obligation de conseil ne pouvaient donner lieu à poursuites dès lors que "la faute invoquée à l'origine de la perte de chance de ne pas contracter s'était réalisée lors de la souscription des placements, soit plus de cinq ans avant l'assignation en date du 30 mars 2017" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est déterminée à la date de la faute et non à celle de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime, a méconnu les articles L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Mme [I] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est nouveau.
6. Cependant, ce moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
7. Aux termes de ce texte, les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
8. Pour déclarer prescrite l'action de M. et Mme [Y] aux fins d'indemnisation de la perte de chance de souscrire à de meilleures conditions, l'arrêt retient que les manquements de Mme [I] à son obligation de conseil ne peuvent donner lieu à poursuite dès lors que la faute invoquée à l'origine de la perte de chance de ne pas contracter s'est réalisée lors de la souscription des placements, soit plus de cinq ans avant l'assignation en date du 30 mars 2017.
9. En statuant ainsi, en faisant courir le délai de prescription de l'action de M. et Mme [Y] à compter de la date à laquelle la faute qu'ils reprochaient à Mme [I] aurait été commise, et non à compter de la date à laquelle les requérants auraient connu ou aurait dû connaître les faits leur permettant d'exercer cette action, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. Ni les conclusions d'appel de M. et Mme [Y] ni l'arrêt ne permettent de faire le départ entre les demandes relevant de « l'action de M. et Mme [Y] fondée sur la perte de chance », que la cour d'appel a déclarée prescrite, et les autres demandes formées par M. et Mme [Y], que la cour d'appel a rejetées.
11. La cassation du chef de dispositif déclarant les premières prescrites, prononcée sur le premier moyen, entraîne donc la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif rejetant les secondes.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare nul le jugement du 31 juillet 2018 en sa disposition relative à l'irrecevabilité des demandes de M. et Mme [Y] à l'encontre des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, l'arrêt rendu le 1er avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne Mme [I] et les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [I] et les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD et les condamne à payer à M. et Mme [Y] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.