LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 21-86.296 FS-D
N° 01236
SL2
15 NOVEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [Y] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 15 septembre 2021, qui, pour blanchiment aggravé, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [Y] [I], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Etat français, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. Pauthe, de Lamy, Mmes Piazza, Jaillon, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [I] a été mis en cause dans le cadre d'une vaste escroquerie en bande organisée à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les quotas carbone. Il lui est reproché notamment d'être intervenu dans différents mécanismes de blanchiment de sommes provenant des escroqueries, en participant à des opérations de virement vers des comptes de sociétés offshore situées à l'étranger, de compensation et de remises d'espèces, ou encore d'avoir servi de prête-nom pour la constitution et la gestion d'une société offshore aux Iles Marshall.
3. Renvoyé devant le tribunal correctionnel pour blanchiment en bande organisée, M. [I] a été déclaré coupable de ce délit, et condamné à dix-huit mois d'emprisonnement, 180 000 euros d'amende et deux ans d'interdiction de gérer. Sur l'action civile, le tribunal a alloué des dommages-intérêts à l'Etat français, ainsi qu'à la Caisse des dépôts et consignations.
4. Le prévenu, le ministère public et l'Etat français ont fait appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Énoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [I], sur les intérêts civils, à payer à l'Etat français la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que la juridiction répressive, tenue d'indiquer à quel titre et pour quel dommage elle alloue une indemnité, doit motiver sa décision à ce titre en précisant la teneur du préjudice dont elle ordonne la réparation, en indiquant en quoi ce préjudice découle directement de l'infraction dont le prévenu est déclaré coupable, et en évaluant cette indemnité conformément au principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour aucune des parties, ce qui prohibe toute indemnisation forfaitaire ; Qu'en l'espèce, pour condamner l'exposant à payer à l'Etat français la somme de 1 000 000 € à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de blanchiment d'escroquerie en bande organisée et de fraude fiscale, la cour d'appel a relevé que l'Etat subit un préjudice économique incontestable tant sur le terrain du blanchiment d'escroquerie à la TVA que sur celui du blanchiment de fraude fiscale en ce que cette procédure est exceptionnelle en termes de volumes d'argent dissimulé et que la puissance publique a été contrainte de mettre en place des dispositifs de contrôle et de vérification hors normes et dépassant largement le fonctionnement régulier des services de l'Etat, que le blanchiment est une menace pour l'ordre public économique national, que les auteurs du blanchiment ont porté atteinte à l'image de l'Etat en jetant le discrédit sur le dispositif de prévention du blanchiment et en encourageant le non-respect de la transparence fiscale attendue de tout citoyen dans un système fiscal reposant sur la règle déclarative ; Qu'en statuant ainsi, sans indiquer précisément la nature et la teneur du préjudice censé être réparé par la somme susvisée, et alors qu'il résulte des propres écritures de la partie civile que la somme de 1 000 000 € à titre de dommages-intérêts procédait d'une évaluation forfaitaire du préjudice subi, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, ensemble l'article 593 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, 3 et 593 du code de procédure pénale :
7. Selon les deux premiers de ces textes, il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe.
8. Selon le troisième, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour confirmer les dispositions du jugement condamnant M. [I] à payer 1 000 000 euros de dommages-intérêts à l'Etat français, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé les causes de préjudice qu'il retient, conclut que l'Etat est fondé en sa demande de condamnation solidaire de M. [I] avec trois autres prévenus au paiement de cette somme.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs dont il ressort qu'elle a fait droit à la demande de la partie civile calculée de façon forfaitaire, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le préjudice de l'Etat a été réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la partie civile, n'a pas justifié sa décision.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au montant des dommages-intérêts alloués à l'Etat français. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 15 septembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives au montant des dommages-intérêts alloués à l'Etat français, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille vingt-trois.