LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 novembre 2023
Cassation
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 2077 F-D
Pourvoi n° T 22-14.433
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 NOVEMBRE 2023
M. [X] [I], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 22-14.433 contre l'arrêt rendu le 10 février 2022 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant à la société DXC Technology France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [I], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société DXC Technology France, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 février 2022), M. [I] a été engagé en qualité de manager, le 10 novembre 2003, par la société CSC Computer Sciences, désormais dénommée DXC Technology France. À compter du 10 juillet 2013, le salarié a occupé les fonctions de directeur associé.
2. Au mois de juillet 2016, l'employeur l'a informé du versement d'une prime exceptionnelle conditionnée à sa présence dans l'entreprise dans les douze mois suivant cette date.
3. Le salarié a démissionné le 9 septembre 2016.
4. Il a saisi la juridiction prud'homale le 11 juillet 2017 d'une demande en paiement de la prime exceptionnelle.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une certaine somme au titre de la prime exceptionnelle, alors « qu'un employeur ne peut, sans porter atteinte à la liberté du travail du salarié, subordonner le maintien du droit à une prime de fin d'année à la présence de ce salarié dans l'entreprise à une date précise et déduire le montant de la prime du solde de tout compte lorsque le salarié a démissionné avant cette date, sauf à pratiquer une sanction pécuniaire illicite ; qu'en déboutant M. [I] de sa demande en paiement de la somme de 10 293 euros au titre de la prime exceptionnelle aux motifs que cette prime s'analysait en une libéralité dont l'employeur pouvait décider librement des conditions de versement, que M. [I] avait été dûment informé de ces conditions, et qu'aucune atteinte à la liberté du travail ne découle du caractère conditionnel de la libéralité qui lui a été proposée, quant les conditions posées par l'employeur exigeaient du salarié qu'il soit présent dans l'entreprise à une date précise, et sans lien avec l'objet même de la prime, la cour d'appel a violé l'article L. 1331-2 du code du travail ensemble le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791 et le principe fondamental de la liberté du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. Il résulte de ces textes que si l'employeur peut assortir la prime qu'il institue de conditions, encore faut-il que celles-ci ne portent pas une atteinte injustifiée et disproportionnée aux libertés et droits fondamentaux du salarié. Ne porte pas une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail le fait de subordonner l'acquisition de l'intégralité d'une prime, indépendante de la rémunération de l'activité du salarié, à une condition de présence de ce dernier dans l'entreprise pendant une certaine durée après son versement et prévoir le remboursement de la prime au prorata du temps que le salarié, en raison de sa démission, n'aura pas passé dans l'entreprise avant l'échéance prévue.
7. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement au titre de la prime exceptionnelle, l'arrêt relève, d'abord, que, le 28 juillet 2016, le salarié a signé une lettre prévoyant notamment : « Les conditions de versement de votre rémunération variable pour l'année fiscale 2016 (FY16) ne sont pas réunies puisque les objectifs de 80 % de l'OI Global and Commercial n'ont pas été atteints. Vous vous verrez attribuer en remplacement du plan de variable FY16 ci-dessus évoqué, ce que vous acceptez et reconnaissez, une prime exceptionnelle égale à 10 293 euros, sous réserve que vous demeuriez salarié de CSC Computer Sciences ou d'une de ses filiales pendant un an à compter du 1er juillet 2016 (la « Date de Rétention »). Le montant sera sujet aux retenues sociales habituelles. Vous devez demeurer salarié de CSC ou de l'une de ses filiales jusqu'à la Date de Rétention. Si vous démissionnez préalablement à la Date de Rétention, vous vous obligez alors à procéder à son remboursement. En signant le présent courrier, vous reconnaissez le droit à CSC de pratiquer une retenue en guise de remboursement. L'accord ainsi noué oblige la société, ses éventuels successeurs et vous-même. Cet accord ne s'analyse pas en une garantie d'emploi et ne restreint pas le droit de la société de procéder à votre licenciement dans les conditions prévues par la réglementation applicable. »
8. L'arrêt retient, ensuite, que la prime litigieuse revêt la nature de gratification bénévole et s'analyse donc en une libéralité et non comme un élément du salaire et qu'elle a été versée dans l'objectif d'encourager le salarié à poursuivre le développement de la société au cours de l'année qui allait suivre. Il retient, encore, que l'employeur a toute latitude pour décider du principe du versement et du montant de la libéralité qu'il souhaite octroyer et qu'aucune disposition n'interdit que le versement d'une gratification bénévole soit subordonné à la présence effective au sein de l'entreprise en cause du salarié concerné. Il ajoute que, d'un commun accord, matérialisé par la signature de la main de M. [I], et sans qu'aucune réserve ne soit soulevée à ce titre, les parties se sont entendues sur les conditions d'attribution de la prime et sur le remboursement éventuel en cas de démission avant la date de rétention, et ce, par le truchement de retenues, de sorte qu'au moment de donner sa démission le 9 septembre 2016, le salarié en avait été dûment informé et qu'aucune atteinte à la liberté de travail ne découle du caractère conditionnel de la libéralité qui lui a été proposée.
9. L'arrêt retient, enfin, que le salarié, qui se borne à invoquer l'article L. 1331-2 du code du travail, ne fournit pas d'éléments de nature à étayer ses allégations sur l'existence d'une sanction disciplinaire déguisée caractérisée par la retenue du montant de la prime bénévole sur son solde de tout compte.
10. Il conclut de l'ensemble de ces éléments que le salarié ayant quitté l'entreprise au 9 septembre 2016, avant la date d'échéance fixée au 1er juillet 2017, n'a pas droit au bénéfice de la prime exceptionnelle.
11. En statuant ainsi, alors que l'employeur ne pouvait, sans porter atteinte à la liberté du travail du salarié, subordonner le maintien du droit à l'intégralité de la prime exceptionnelle à la condition de la présence de ce dernier dans l'entreprise pendant un délai de douze mois et déduire l'intégralité du montant de la prime, qu'il avait versée, du solde de tout compte de l'intéressé qui avait démissionné avant le terme de ce délai, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société DXC Technology France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société DXC Technology France et la condamne à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille vingt-trois.