LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 novembre 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 735 FS-B
Pourvoi n° G 21-24.839
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 NOVEMBRE 2023
La société MJ et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8], en la personne de Mme [J] [K], agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Chocolaterie de Bourgogne et de la société CB Chocolaterie de Bourgogne, a formé le pourvoi n° G 21-24.839 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 12], dont le siège est [Adresse 9], prise en qualité de contrôleur à la procédure collective de la société Chocolaterie de Bourgogne et de la société CB Chocolaterie de Bourgogne,
2°/ à la société Nimbus Investments LXII BV, société de droit néerlandais,
3°/ à la société Heel Veel Chocolade BV, société de droit néerlandais,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 13] (Pays-Bas),
4°/ à la société VH Holding Cooperatief UA, société de droit néerlandais, dont le siège est [Adresse 14] (Pays-Bas),
5°/ à la société CEBFC LT, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
6°/ à la société CDB CLUJ, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 11],
7°/ à la société Schokinag Verwaftungs Gmbh, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 15] (Allemagne),
8°/ à la direction régionale des finances publiques, dont le siège est [Adresse 1],
9°/ à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Bourgogne, dont le siège est [Adresse 10],
10°/ à M. [H] [T], domicilié [Adresse 4],
11°/ à la direction générale des finances publiques, dont le siège est [Adresse 7],
12°/ à la société Rubis capital Bourgogne, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
13°/ à la société ACLG capital et conseil stratégique, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],
14°/ à M. [U] [M], domicilié [Adresse 3], pris en qualité de conciliateur de la société CB Chocolaterie de Bourgogne,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société MJ et associés, ès qualités, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Bourgogne et de la direction générale des finances publiques, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Schokinag Verwaftungs Gmbh, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat des sociétés CEBFC LT et CDB CLUJ, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mme Vallansan, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, Mmes Schmidt, Sabotier, conseillers, Mme Brahic-Lambrey, M. Le Masne de Chermont, Mme Vigneras, M. Boutié, Mme Coricon, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 7 septembre 2021), le 24 octobre 2014, la société Chocolaterie de Bourgogne (la société CDB) a été mise en redressement judiciaire. Le 13 février 2015, le plan de cession totale de l'entreprise a été arrêté au profit de la société CB Chocolaterie de Bourgogne (la société CB CDB), prévoyant l'inaliénabilité du fonds de commerce cédé pendant cinq ans.
2. Le 17 mars 2017, la société CB CDB a obtenu l'ouverture d'une procédure de conciliation. Par un jugement du 21 juin 2017, le tribunal, saisi par une requête de la société CB CDB, a autorisé la levée de l'inaliénabilité des lignes de production cédées et les transferts sous fiducie-sûreté, avec mise à disposition gratuite, de cinq lignes de production et la vente d'une sixième ligne à une société allemande. Un accord de conciliation a été conclu et homologué par un jugement du 23 juin 2017 prévoyant un échelonnement du remboursement des créances publiques sociales et fiscales sur plusieurs années, garanti par la cession en fiducie-sûreté, par la société CB CDB, de trois lignes de production laissées à sa disposition, et la souscription d'un emprunt obligataire auprès du groupe Caisse d'épargne et de la société CDB CLUJ, garanti par la cession en fiducie-sûreté des deux autres lignes de production laissées à sa disposition.
3. Le 31 octobre 2017, la société CB CDB a été mise en redressement judiciaire, la société Abitbol Rousselet étant désignée administrateur judiciaire et la société [J] [K] mandataire judiciaire. Le 5 février 2018, un plan de cession a été arrêté.
4. Soutenant que le jugement du 21 juin 2017 avait été obtenu par la société CB CDB en violation des limites du pouvoir juridictionnel du tribunal et également au préjudice et en fraude des droits des créanciers, la société [J] [K], en ses qualités de liquidateur de la société CDB et de la société CB CDB, a formé des tierces oppositions-nullité à ce jugement. Par un jugement du 16 mai 2019, ces recours ont été déclarés irrecevables. La société MJ et associés, ès qualités, succédant à la société [J] [K], ès qualités, a formé des appels-réformation puis des appels-nullité du jugement. Par une ordonnance du 20 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a déclaré les appels irrecevables. Son ordonnance a été déférée à la cour d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les liquidateurs font grief à l'arrêt de rejeter le déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état et de confirmer cette ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevables les appels-nullité, alors « que seule la cour d'appel dispose, à l'exclusion du conseiller de la mise en état, du pouvoir d'infirmer ou d'annuler la décision frappée d'appel ; qu'il en résulte que le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge ; qu'en affirmant que le conseiller de la mise en état était compétent pour statuer sur la recevabilité de l'appel-nullité formé par le liquidateur ès qualités à l'encontre du jugement du 16 mai 2019 quand la recevabilité de ce recours était subordonnée à la constatation d'un excès de pouvoir qui, s'il était retenu, allait remettre en cause le jugement attaqué, de sorte qu'une telle appréciation relevait de la compétence exclusive de la cour d'appel, la cour d'appel statuant sur déféré a violé les articles 542 et 914 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant l'excès de pouvoir. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 311-1, L. 312-1 et L. 312-2 du code de l'organisation judiciaire et les articles 542 et 914 du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, et les principes régissant l'excès de pouvoir :
6. Le premier de ces textes donne compétence à la cour d'appel, sous réserve des compétences attribuées à d'autres juridictions, pour connaître des décisions judiciaires, civiles et pénales, rendues en premier ressort et précise qu'elle statue souverainement sur le fond des affaires. Selon le deuxième et le troisième de ces textes, la cour d'appel statue en formation collégiale, sa formation de jugement se composant d'un président et de plusieurs conseillers. Selon le quatrième texte, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel. Enfin, selon le cinquième, les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent, depuis sa désignation et jusqu'à la clôture de l'instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel.
7. La Cour de cassation a jugé qu'aux termes de l'article 911 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 13 juillet 1984, le conseiller de la mise en état est compétent pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel, et que, dès lors que ce texte ne distingue pas selon que la voie de recours intentée tend à la réformation, à l'annulation ou à la nullité du jugement, le conseiller de la mise en état est compétent pour apprécier la recevabilité de l'appel-nullité (Com., 14 mai 2008, pourvoi n° 07-11.036, Bull. 2008, IV, n° 99).
8. L'article 914 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, ne comporte pas davantage de distinction selon que la voie de recours intentée tend à la réformation, à l'annulation ou à la nullité du jugement.
9. Cependant, il convient de ne pas méconnaître les effets de l'appel et les règles de compétence définies par la loi, aux articles susvisés du code de l'organisation judiciaire, donnant à la seule cour d'appel, à l'exclusion du conseiller de la mise en état, le pouvoir d'infirmer ou d'annuler la décision frappée d'appel, revêtue, dès son prononcé, de l'autorité de la chose jugée.
10. La Cour de cassation, saisie d'une demande d'avis sur les conséquences des modifications des pouvoirs du conseiller de la mise en état introduites par le décret du 11 décembre 2019, et notamment le nouvel article 907 du code de procédure civile déterminant les pouvoirs de ce conseiller par renvoi à ceux du juge de la mise en état, a émis l'avis que le conseiller de la mise en état ne pouvait connaître ni des fins de non-recevoir qui avaient été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui avait été jugé au fond par le premier juge (Avis de la Cour de cassation, 3 juin 2021, n° 21-70.006).
11. Ces considérations conduisent la Cour de cassation à juger désormais que le conseiller de la mise en état, ou la cour d'appel statuant sur déféré de son ordonnance, ne peut connaître de la recevabilité d'un appel-nullité, invoquant un excès de pouvoir commis par le premier juge, dès lors que si l'appel était déclaré recevable, cela aurait pour conséquence de remettre en cause la décision frappée d'appel.
12. L'arrêt, statuant sur déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état, confirme l'ordonnance de ce magistrat ayant déclaré irrecevables les appels-nullité formés par le liquidateur des sociétés CDB et CB CDB qui invoquait un excès de pouvoir.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes et principes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. Tel que suggéré par la société MJ et associés, ès qualités, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette le déféré de la société MJ et associés, en ses qualités de liquidateur de la société Chocolaterie de Bourgogne et de la société CB Chocolaterie de Bourgogne, et confirme l'ordonnance du magistrat de la mise en état du 20 octobre 2020 en ce qu'elle a déclaré irrecevables les appels-nullité formés par cette société, l'arrêt rendu le 7 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Annule l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 octobre 2020 en ce qu'elle déclare irrecevables les appels-nullité formés par la société MJ et associés, en ses qualités de liquidateur de la société Chocolaterie de Bourgogne et de la société CB Chocolaterie de Bourgogne ;
Dit que l'examen de la recevabilité des appels-nullité relève de la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la direction générale des finances publiques, l'URSSAF de Bourgogne, la société Nimbus Investments LXII BV, la société Heel Veel Chocolade BV, la société VH Holding Cooperatief UA, la société Schokinag Verwaftungs Gmbh, la société CEBFC LT et la société CDB CLUJ aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel statuant sur déféré ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Nimbus Investments LXII BV, la société Heel Veel Chocolade BV, la société VH Holding Cooperatief UA, la société Schokinag Verwaftungs Gmbh, la société CEBFC LT et la société CDB CLUJ à payer à la société MJ et associés, en sa qualité de liquidateur de la société Chocolaterie de Bourgogne et de la société CB Chocolaterie de Bourgogne, la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux novembre deux mille vingt-trois.