LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 décembre 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 779 F-D
Pourvoi n° F 22-16.262
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 DÉCEMBRE 2023
La société Halozyme Inc., société de droit américain corporation, dont le siège est [Adresse 1] (États-Unis), a formé le pourvoi n° F 22-16.262 contre l'arrêt rendu le 18 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Halozyme Inc., de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 janvier 2022), le 4 juillet 2016, la société Halozyme Inc., laboratoire américain de biotechnologie qui développe des thérapies innovantes contre le cancer, a déposé une demande de certificat complémentaire de protection n° 16C0030 (CCP n° 030) pour le produit « rituximab et hyaluronidase humaine recombinante ». Cette demande mentionne la partie française du brevet européen déposé le 5 mars 2004, publié sous le n° EP 2405015 (EP 015) sous le titre « Glycoprotéine d'hyaluronidase soluble (sHASEGP), son procédé de préparation, utilisations et compositions pharmaceutiques le comportant », délivré le 6 janvier 2016. Ce brevet porte sur une composition pharmaceutique comprenant un polypeptide hyaluronidase humain actif neutre soluble (sHASEGP) et un agent anti-cancéreux pour une utilisation dans le traitement d'une tumeur (revendication 1) et une composition pharmaceutique comprenant un polypeptide hyaluronidase humain actif neutre soluble (sHASEGP) pour une utilisation dans l'administration d'agents biologiques à une tumeur (revendication 2).
2. La demande de CCP vise également l'extension d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) communautaire délivrée le 21 mars 2014, pour le médicament à usage humain « Mabthera - Rituximab » dont la dénomination est « Mabthera 1400 mg solution pour injection sous cutanée », destiné à traiter les lymphomes non-hodgkiniens, ainsi qu'en association avec une chimiothérapie, le lymphome folliculaire de stade III-IV et le lymphome non-hodgkiniens agressif, et en traitement d'entretien le lymphome folliculaire, contenant du Rituximab et un anticorps monoclonal chimérique murin/humain obtenu par génie génétique.
3. Par décision du 27 janvier 2020, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a rejeté la demande de CCP n° 030 aux motifs, d'une part, que la combinaison « rituximab et hyaluronidase humaine recombinante » n'est pas un produit au sens de l'article 1 b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, le produit, objet dudit CCP, ne pouvant être que le principe actif apparaissant dans l'AMM, soit le rituximab, d'autre part, que l'AMM invoquée n'était pas la première AMM pour ce produit, deux AMM antérieures existant pour le rituximab.
4. La société Halozyme a formé un recours contre cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. La société Halozyme fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI du 27 janvier 2020, rejetant la demande de CCP n° 030, portant sur la partie française du brevet EP 015, pour le produit « hyaluronidase humaine recombinante et rituximab », alors :
« 1°/ qu'une substance dont il est démontré qu'elle a un effet physiologique direct sur l'organisme des patients, doit elle-même être considérée comme un "principe actif" au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009, peu important que l'AMM la qualifie d'excipient, si l'association entre cette substance et une autre aboutit à un effet thérapeutique distinct de celui de l'autre substance lorsqu'elle est utilisée seule ; qu'en l'espèce, il n'est pas discuté que la hyaluronidase, présentée comme un excipient dans l'autorisation de mise sur le marché, agit directement sur l'organisme des patients atteints d'un lymphome folliculaire en modifiant leurs tissus cellulaires pour permettre une meilleure assimilation du rituximab, anticorps monoclonal, et son administration plus ciblée et efficace, par voie sous-cutanée plutôt qu'intraveineuse ; qu'il en résulte que l'interaction des deux composants chimiques produit des effets pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques propres grâce à l'effet physiologique de la hyaluronidase, justifiant de l'assimiler à un "principe actif" au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en jugeant cependant que la hyaluronidase, seule ou combinée avec le rituximab, n'était pas un produit au sens du règlement du 6 mai 2009, aux motifs que selon l'article 4 de ce règlement, "la protection conférée par le certificat s'étend au seul produit couvert par l'autorisation de mise sur le marché du médicament correspondant", que l'étude de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ne permettrait pas d'affirmer le contraire, et qu'il "ressort des termes exprès du résumé des caractéristiques du produit constituant l'annexe 1 de l'AMM que l'hyaluronidase humaine recombinante est un excipient", la cour d'appel a statué par des motifs tout à la fois erronés et impropres à justifier sa décision, violant ainsi les articles 1, 2, 3 et 4 du règlement du 6 mai 2009 ;
2°/ en toute hypothèse, que la qualification d'adjuvant ou d'excipient est nécessairement exclue à l'égard d'une substance dotée d'un effet direct, métabolique ou physiologique, sur l'organisme du patient, ce qui impose aux juges du fond de s'interroger sur les effets physiologiques propres de la substance en cause, utilisée en combinaison avec une autre substance, sur l'organisme des patients, malgré la qualification d'excipient retenue par l'autorisation de mise sur le marché ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la hyaluronidase humaine recombinante était mentionnée comme un excipient dans l'autorisation de mise sur le marché, que la société Halozyme se prévalait de l'effet thérapeutique propre de la hyaluronidase humaine recombinante "nonobstant les termes clairs de l'AMM dont la validité n'est pas contestée et du rapport d'évaluation sur la qualité d'excipient de la hyaluronidase", et que l'augmentation des effets thérapeutiques du rituximab combiné avec la hyaluronidase humaine recombinante ne permettait pas de qualifier cette substance de principe actif ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la modification de la structure cellulaire des patients révélait l'effet physiologique propre de la hyaluronidase humaine recombinante, utilisée en combinaison avec le rituximab, ce qui excluait nécessairement de la qualifier d'excipient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009. »
Réponse de la Cour
7. Lorsque l'AMM ne qualifie pas une substance de « principe actif », il est présumé de façon réfragable que cette substance ne produit pas d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques visées par cette AMM (Com., 1er février 2023, pourvoi n° 21-15.221, publié).
8. Après avoir exactement énoncé qu'un excipient ne constitue pas un principe actif au sens de l'article 1 du règlement n° 469/2009, l'arrêt relève que la hyaluronidase humaine recombinante est expressément désignée comme excipient dans l'AMM et ses annexes ainsi que dans le rapport d'évaluation se rapportant à la procédure d'AMM, qui précise qu'elle dégrade la hyaluronane dans des conditions physiologiques et agit comme un facteur de propagation in vivo, de sorte, que combinée ou co-formulée avec certains médicaments injectables, elle facilite l'absorption et la dispersion de ces médicaments en dégageant temporairement un chemin à travers le tissu conjonctif dans l'espace sous-cutané.
9. Il estime que les documents scientifiques produits par la société Halozyme pour démontrer un effet thérapeutique propre de la hyaluronidase humaine recombinante sont insuffisants pour établir l'existence d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre pour le traitement des lymphomes non-hodgkiniens puis retient que si la hyaluronidase humaine recombinante permet d'accroître les effets thérapeutiques du principe actif, constitué en l'espèce du rituximab, en facilitant son absorption et sa dispersion à travers le tissu conjonctif de l'espace sous-cutané, cela ne permet pas, toutefois, de qualifier la combinaison des rituximab et hyaluronidase humaine recombinante de combinaison de principes actifs au sens de l'article 1, sous b) du règlement n° 469/2009, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, et donc de produit au sens de cet article.
10. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a retenu que la hyaluronidase recombinante humaine était présumée être un excipient au regard des mentions de l'AMM et de ses documents préparatoires et qu'aucune preuve contraire n'était rapportée, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Halozyme Inc. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Halozyme Inc. et la condamne à payer au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille vingt-trois.