LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 avril 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 198 F-D
Pourvoi n° G 22-22.221
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 AVRIL 2024
1°/ La société vétérinaire Le loup blanc, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ M. [R] [B], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° G 22-22.221 contre l'ordonnance rendue le 6 octobre 2022 par la cour d'appel de Nancy (première présidence), dans le litige les opposant :
1°/ à la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations des Vosges, domiciliée [Adresse 7],
2°/ à la direction départementale de la protection des populations du Bas-Rhin, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Nancy, en son parquet général [Adresse 2],
4°/ au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, [Adresse 8],
5°/ au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, domicilié [Adresse 6],
6°/ au ministre de la santé et de la prévention, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société vétérinaire Le loup blanc, de M. [B], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations des Vosges, du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Alt, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Nancy, 6 octobre 2022), par ordonnance du 16 novembre 2021, un juge des libertés et de la détention a, sur le fondement des articles L. 421-1 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique, autorisé des agents de la brigade nationale d'enquête vétérinaire et phytosanitaire, de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités de la protection des populations des Vosges et de la direction départementale de la protection des populations du Bas-Rhin à réaliser une visite dans les locaux de la clinique vétérinaire exploitée par la société Le loup blanc, ayant pour représentant légal M. [B], les 2 et 3 décembre 2021.
2. La société Le loup blanc et M. [B] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen pris en ses première et deuxième branches, et le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. La société Le loup blanc et M. [B] font grief à l'ordonnance attaquée d'autoriser Mme [Z], M. [G] et Mme [O], en qualité de vétérinaires officiels, respectivement, de la brigade nationale d'enquête vétérinaire et phytosanitaire, de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations des Vosges et de la direction départementale de la protection des populations du Bas-Rhin, le cas échéant accompagnés des services de gendarmerie territorialement compétents, à accéder aux locaux occupés par la société vétérinaire Le loup blanc, représentée par le docteur vétérinaire M. [B], sise [Adresse 3] à [Localité 5], les 2 et 3 décembre 2021 entre 8 heures et 20 heures pour y procéder à une visite de contrôle, et de rejeter toutes les demandes formées par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B], alors :
« 3°/ que la visite domiciliaire, prévue par les dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé, ne peut être autorisée par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux que l'administration souhaite visiter qu'à la condition que leur occupant en refuse l'accès à l'administration ; que cette condition n'est remplie que lorsque le refus opposé par l'occupant à l'accès aux lieux que l'administration souhaite visiter est contemporain de la saisine du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire aux fins que l'administration soit autorisée à procéder à la visite domiciliaire ; qu'en énonçant, dès lors, pour autoriser la visite domiciliaire des locaux occupés par la société vétérinaire Le loup blanc, que l'administration avait décidé de procéder à un contrôle inopiné des locaux occupés par la société vétérinaire Le loup blanc le 4 octobre 2019, que le procès-verbal établi par l'administration le 4 octobre 2019 faisait état ce jour-là de l'absence de M. [B], gérant de la société vétérinaire Le loup blanc, en congé, et de celle du docteur vétérinaire [I], parti en tournée dans le Nord, et du refus du contrôle formulé par l'avocat de la société vétérinaire Le loup blanc et de M. [B], contacté en raison de l'absence de ce dernier, que le recours à une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire faisait suite au refus formé par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B] quant à la réalisation de ce premier contrôle et que la saisine de l'autorité judiciaire par l'administration était parfaitement fondée par le refus de réalisation du premier contrôle par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B], quand elle constatait que le prétendu refus d'accès aux locaux occupés par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B], sur lequel elle se fondait, était antérieur de plus de deux ans aux saisines du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Épinal aux fins que l'administration soit autorisée à procéder à la visite domiciliaire, la juridiction du premier président de la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique ;
4°/ qu'en énonçant, pour écarter le moyen soulevé par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B], tiré de la violation de leur droit à une information préalable, qu'il ne pouvait être déduit un lien de continuité entre le contrôle que souhaitait effectuer l'administration le 4 octobre 2019 et la visite domiciliaire autorisée par l'ordonnance entreprise et une obligation d'information préalable de la part de l'administration, quand elle avait énoncé que l'administration avait décidé de procéder à un contrôle inopiné des locaux occupés par la société vétérinaire Le loup blanc le 4 octobre 2019, que le procès-verbal établi par l'administration le 4 octobre 2019 faisait état ce jour-là de l'absence de M. [B], gérant de la société vétérinaire Le loup blanc, en congé, et de celle du docteur vétérinaire [I], parti en tournée dans le Nord, et du refus du contrôle formulé par l'avocat de la société vétérinaire Le loup blanc et de M. [B], contacté en raison de l'absence de ce dernier, que le recours à une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire faisait suite au refus formulé par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B] quant à la réalisation de ce premier contrôle et que la saisine de l'autorité judiciaire par l'administration était parfaitement fondée par le refus de réalisation du premier contrôle par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B] et, donc, quand elle avait elle-même retenu qu'il existait un lien de continuité entre le contrôle que souhaitait effectuer l'administration le 4 octobre 2019 et la visite domiciliaire autorisée par l'ordonnance entreprise, la juridiction du premier président de la cour d'appel a violé les dispositions des articles 6 et 7 de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, les stipulations de l'article 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article L. 1421-2 du code de la santé publique que, lorsque l'occupant de locaux en refuse l'accès aux pharmaciens inspecteurs de santé publique, aux médecins inspecteurs de santé publique, aux inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, aux ingénieurs du génie sanitaire, aux ingénieurs d'études sanitaires ou aux techniciens sanitaires, l'autorité judiciaire peut autoriser cet accès dans les conditions prévues à l'article L. 1421-2-1 du même code.
6. Si une visite ne peut être autorisée, sur le fondement de ces textes, qu'aux fins de procéder au contrôle que le refus d'accès aux locaux visités a rendu impossible, aucune disposition légale ou réglementaire n'impose le respect d'un délai maximal entre le refus opposé par l'occupant de locaux à l'accès d'agents de santé publique et la demande faite au juge des libertés et de la détention d'autoriser ces agents à visiter lesdits locaux.
7. Ayant relevé que, le 4 octobre 2019, les employés de la société Le loup blanc s'étaient opposés à un contrôle, c'est sans encourir les griefs du moyen, abstraction faite des motifs surabondants visés à la quatrième branche, que le premier président a retenu que la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations du département des Vosges était fondée à obtenir du juge des libertés et de la détention l'autorisation d'accéder aux locaux de la société Le loup blanc.
8. Inopérant en sa quatrième branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Le loup blanc et M. [B] font le même grief à l'arrêt, alors que « dans l'hypothèse où il serait retenu que la procédure d'autorisation de la visite domiciliaire, prévue par les dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé, n'entre pas dans le champ d'application du règlement 2016/679/UE du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et des dispositions du titre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes ou de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces, est assurée par les dispositions de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et par les dispositions du titre III de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; qu'en énonçant, par conséquent, pour écarter le moyen soulevé par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B], tiré de la nullité de l'ordonnance entreprise résultant de l'absence de mention, dans cette ordonnance, de garanties relatives à la protection des données à caractère personnel, que les opérations de visite des locaux prescrites par l'article L. 1421-2-1 du code de la santé publique sont effectuées dans le cadre d'investigations en vue de prévenir et de détecter des infractions potentiellement pénales et à caractère sanitaire et qu'il en résulte que le règlement général de protection des données ne s'applique pas aux demandes d'autorisation de visites domiciliaires, la juridiction du premier président de la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a violé les dispositions de la directive (UE) 2016/680 et les dispositions du titre III de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte de l'article L. 1421-2-1 que l'acte de notification de l'ordonnance du juge comporte la mention des voies et délais de recours contre l'ordonnance ayant autorisé la visite et contre le déroulement des opérations de visite. Il mentionne également que le juge ayant autorisé la visite peut être saisi d'une demande de suspension ou d'arrêt de cette visite.
11. Ce texte n'impose pas de mention, dans cette ordonnance, des garanties relatives à la protection des données à caractère personnel.
12. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. La société Le loup blanc et M. [B] font le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que, parce que la visite prévue par les dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique a, en partie, pour objet de constater la commission d'infractions pénales par l'occupant des lieux à visiter, l'occupant de locaux dont la visite est autorisée sur le fondement des dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique constitue un accusé, au sens des stipulations de l'article 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, partant, bénéficie du droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination qui est garanti par ces stipulations ; qu'en retenant, par conséquent, le contraire, pour écarter le moyen soulevé par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B], tiré de la nullité de l'ordonnance entreprise résultant de l'absence de mention, dans cette ordonnance, du droit de l'occupation des lieux à visiter de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la juridiction du premier président de la cour d'appel a violé les stipulations de l'article 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions des articles L. 1421-1, L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique ;
2°/ que le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination découle du principe du respect de la présomption d'innocence, tel qu'il est garanti par les dispositions de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, par les stipulations de l'article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par les dispositions de l'article 7 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, et bénéficie, en conséquence, à l'occupant de locaux dont la visite est autorisée sur le fondement des dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique ; qu'en retenant, dès lors, pour écarter le moyen soulevé par la société vétérinaire Le loup blanc et par M. [B], tiré de la nullité de l'ordonnance entreprise résultant de l'absence de mention, dans cette ordonnance, du droit de l'occupation des lieux à visiter de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, que l'obligation d'une information préalable à toute personne soupçonnée ne s'appliquait pas à la procédure de visite prévue par les dispositions des articles L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique, la juridiction du premier président de la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, les stipulations de l'article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les dispositions de l'article 7 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, et les dispositions des articles L. 1421-1, L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
14. Ayant énoncé à bon droit qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1421-2-1 du code de la santé publique que la personne chez laquelle une visite domiciliaire est autorisée n'est pas un accusé au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la procédure ne relevant pas du droit pénal, le premier président en a exactement déduit qu'il n'y avait pas lieu d'informer la personne concernée du droit de se taire et de ne pas contribuer à la propre incrimination.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société vétérinaire Le loup blanc et M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société vétérinaire Le loup blanc et M. [B] et les condamne à payer au ministre de l'agriculture et de la solidarité alimentaire la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.