LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 23-80.088 F-B
N° 00651
RB5
23 MAI 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024
M. [O] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 20 octobre 2022, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à trente-six mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, une confiscation, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. [O] [T], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques et la direction départementale des finances publiques de la Moselle, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [1], pris en qualité de mandataire de M. [O] [T], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 22 avril 2021, le tribunal correctionnel a condamné M. [O] [T] du chef de fraude fiscale pour des faits commis entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2013 à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, une confiscation et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
3. Par jugement du 9 septembre 2021, il a condamné M. [T] du chef de fraude fiscale, pour des faits commis entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, à douze mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, une publication, une confiscation et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
4. M. [T] a relevé appel de ces décisions, le ministère public formant appel incident.
5. Par un arrêt du 8 septembre 2022, la cour d'appel a prononcé la liquidation judiciaire de M. [T] et désigné la société [1] en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation de deux maisons dont M. [T] était propriétaire à [Localité 3] et de trois immeubles lui appartenant à [Localité 4], alors :
« 2°/ que la confiscation d'un élément du patrimoine sur le fondement du cinquième alinéa de l'article 131-21 du code pénal suppose que le propriétaire du bien ait été mis en mesure de s'expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée et d'en justifier l'origine ; qu'en ordonnant la confiscation de plusieurs immeubles appartenant à M. [T], sans lui avoir permis de s'expliquer sur leur origine, ni constater qu'il n'aurait pas justifié de celle-ci, quand il faisait valoir pouvoir justifier les avoir achetés grâce à des emprunts et que cela n'avait jamais été contesté (ses conclusions p. 5), la cour d'appel a méconnu le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 131-21, alinéa 5, du code pénal :
8. Il se déduit de ce texte que si, lorsque l'infraction poursuivie est un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation peut porter sur tous biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, le condamné ou le propriétaire doivent avoir été mis en mesure de s'expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée et n'avoir pu en justifier l'origine.
9. Pour prononcer une peine de confiscation de trois immeubles situés à [Localité 3] et à [Localité 4], l'arrêt attaqué énonce, notamment, après avoir relevé que le prévenu reconnaît les faits de fraude fiscale, que les profits issus de la commission répétée pendant plusieurs années de ces délits ont manifestement contribué, si ce n'est à la constitution, à tout le moins à la conservation de son patrimoine principalement immobilier.
10. Il ne ressort pas des motifs de l'arrêt que M. [T] a été, à un quelconque stade de la procédure, invité à s'expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée et à en justifier l'origine.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Et sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [T] à la peine de privation de ses droits civiques, civils et de famille pendant une durée de cinq ans, alors « que si toute personne condamnée pour fraude fiscale peut être privée des droits civiques, civils et de famille, cette peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que la cour d'appel a condamné M. [T] à la peine de privation de ses droits civiques, civils et de famille pendant une durée de cinq ans, soit la durée encourue la plus longue, sans motiver cette peine au regard de la gravité des faits, de la personnalité de M. [T] et de sa situation personnelle ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les articles 1741 du code général des impôts, 131-26 et 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1741 du code général des impôts, 485-1 et 593 du code de procédure pénale :
14. Selon le deuxième de ces textes, en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. Il en résulte qu'à l'exception de ces cas, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle.
15. Aux termes du premier, toute personne condamnée en application de ses dispositions peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal.
16. Selon le dernier, tout arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
17. Après avoir retenu la culpabilité du prévenu du chef de fraude fiscale pour des faits commis du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2017, l'arrêt ordonne à titre de peine complémentaire à son encontre la privation des droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq ans conformément aux dispositions des articles 1741 du code général des impôts et 131-26 du code pénal.
18. En se déterminant ainsi, alors que la peine complémentaire de privation des droits civiques, civils et de famille présentait un caractère facultatif et devait être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la diffusion du dispositif de l'arrêt dans le journal [2] pendant une durée de deux mois dans la limite de 2 000 euros, alors « que dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2011 au 25 octobre 2018, applicable aux faits commis par M. [T] entre 2010 et 2016, l'article 1741 du code général des impôts disposait que « la juridiction peut, en outre, ordonner l'affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal » ; qu'en énonçant que la diffusion du dispositif de l'arrêt dans [2] pendant une durée de deux mois était une peine obligatoire, pour prononcer cette peine sans la motiver au regard de la gravité des faits, de la personnalité de M. [T] et de sa situation personnelle (arrêt p. 14, § 3), cependant que cette peine était facultative et devait dès lors être motivée au regard des critères précités, la cour d'appel a méconnu les articles 1741 du code général des impôts, 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 112-1, alinéa 2, du code pénal, 1741, alinéa 3, devenu alinéa 9, du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 :
21. Il résulte du premier de ces textes que peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la date de la commission des faits.
22. Selon le second, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, le tribunal qui prononce une condamnation du chef de fraude fiscale est tenu d'ordonner la publication intégrale ou par extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables. Les frais de la publication et de l'affichage dont il s'agit sont intégralement à la charge du condamné.
23. Le Conseil constitutionnel a déclaré ce texte non conforme à la Constitution (Cons. const., 10 décembre 2010, décision n° 2010-72/75/82 QPC).
24. Aux termes de ces dispositions, dans leur rédaction issue de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, la juridiction qui prononce une condamnation du chef de fraude fiscale peut ordonner l'affichage de la décision et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal.
25. Après avoir retenu la culpabilité du prévenu du chef de fraude fiscale pour des faits commis du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2017, l'arrêt ordonne à titre de peine complémentaire à son encontre la publication de son dispositif dans [2] pendant une durée de deux mois dans la limite de 2 000 euros, en indiquant qu'il s'agit d'une peine obligatoire.
26. En statuant ainsi, alors que la peine complémentaire obligatoire de publication réprimant le délit de fraude fiscale avait été abrogée par la décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010 et que la peine complémentaire de publication introduite à compter du 1er janvier 2011 ne présentait qu'un caractère facultatif, la cour d'appel a méconnu les textes suvisés et les principes ci-dessus rappelés.
27. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 20 octobre 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.