LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 juillet 2024
Renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne
M. SOMMER, président
Arrêt n° 798 FS-B
Pourvoi n° T 19-24.978
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 JUILLET 2024
La société Locatrans, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° T 19-24.978 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2019 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [S] [X], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Locatrans, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [X], et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 juin 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Arsac, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 2 mai 2019), M. [X] a été engagé en qualité de conducteur, par contrat de travail conclu le 15 octobre 2002, à compter du 21 octobre suivant, par la société Locatrans, dont le siège social se trouve à [Localité 2] au Luxembourg. Son temps de travail mensuel était fixé à 166 heures. Le contrat de travail stipulait que la loi applicable était la loi luxembourgeoise et que les pays essentiellement concernés par les transports étaient l'Allemagne, le Bénélux, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et l'Autriche.
2. Par lettre du 14 janvier 2014, l'employeur a informé le salarié de sa décision de réduire son nombre d'heures de travail hebdomadaire à 35 heures, soit 151,55 heures mensuelles à compter du 16 juillet 2014.
3. Par lettre du 7 février 2014, le salarié a informé son employeur de son opposition à la modification de son contrat de travail.
4. Par lettre du 31 mars 2014, l'employeur a informé le salarié qu'à la suite de l'analyse de son activité sur les dix-huit derniers mois, il avait constaté qu'il effectuait une part substantielle de son activité salariée (plus de 50 %) en France et qu'il avait l'obligation de l'affilier à la sécurité sociale française.
5. L'employeur a confirmé une proposition d'embauche au bénéfice du salarié au sein d'une société française par lettre du 17 avril 2014 et a indiqué à celui-ci qu'il ne ferait plus partie des effectifs de l'entreprise à compter du 16 juillet 2014 à la suite de son refus de diminution de son temps de travail.
6. Le 8 janvier 2015, contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Dijon de diverses demandes indemnitaires.
7. Par jugement du 4 avril 2017, le conseil de prud'hommes a dit que la loi luxembourgeoise était applicable à l'exécution et à la rupture du contrat de travail du salarié, que sa démission était claire et sans équivoque et qu'il n'y avait pas lieu de la requalifier en résiliation abusive et a débouté le salarié de ses demandes.
8. Sur l'appel du salarié, la cour d'appel de Dijon, par arrêt du 2 mai 2019, a infirmé le jugement déféré, dit qu'en application de l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 le choix par les parties de la loi luxembourgeoise ne pouvait avoir pour résultat de priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi française, applicables au litige, requalifié la rupture du contrat de travail en licenciement, dit que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, condamné l'employeur à verser au salarié certaines sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de préavis et des congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et au titre des frais irrépétibles.
9. Dans son arrêt du 2 mai 2019, la cour d'appel a relevé que les parties avaient conclu à [Localité 2] (Luxembourg), le 15 octobre 2002, un contrat de travail à durée indéterminée aux termes duquel il était stipulé que « Le présent contrat sera régi par les dispositions de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, la Convention Collective (pour les transports professionnels de marchandises par route de la confédération du Commerce Luxembourgeois), ainsi que par le Règlement Intérieur de la société. (...) Les parties conviennent expressément que le point d'attache se situera à [Localité 2], étant entendu que ce lieu de travail pourra être transféré pour des raisons liées à l'organisation technique et commerciale de notre entreprise. Ce transfert, de votre lieu de travail, constituera alors une modification de vos conditions de travail présentant le caractère non substantiel que vous acceptez par avance. Les pays essentiellement concernés par les transports, sont : l'Allemagne, le Bénélux, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et l'Autriche. (...) Pour toutes les questions non prévues par le présent contrat, nous nous référons aux dispositions légales et réglementaires en vigueur, à la Convention Collective et plus particulièrement par la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, ainsi qu'aux usages en vigueur au sein de la Société » et qu'il résultait de façon certaine et expresse des dispositions du contrat que les parties avaient fait le choix d'appliquer à la relation de travail le droit luxembourgeois.
10. La cour d'appel a également relevé que M. [X] faisait valoir que la liberté contractuelle ne devait, cependant, pas le priver de la protection des dispositions impératives de la loi qui serait applicable au contrat à défaut de choix et qu'en l'absence de choix, la loi française aurait trouvé à s'appliquer en raison du lieu d'accomplissement habituel de son travail.
11. La cour d'appel a ensuite relevé que par lettre du 31 mars 2014, la société Locatrans avait reconnu que le salarié accomplissait l'essentiel de son travail en France en ces termes « Comme précisé à votre délégation du personnel lors des deux dernières réunions des 7 décembre 2013 et 1er février 2014, nous avons été amenés à analyser l'ensemble de votre activité sur les 18 derniers mois. Nous avons ainsi constaté que, désormais, vous effectuez une part substantielle de votre activité salariée (plus de 50 %) sur le territoire de votre Etat de résidence à savoir la France. Dans ces conditions nous sommes dans l'obligation de vous affilier à la sécurité sociale française », qu'il résultait de la lecture des bulletins de salaire de M. [X] qu'il avait cotisé au régime de la sécurité sociale française dès le mois d'avril 2014, que le salarié rapportait la preuve qu'il accomplissait l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur en France, que dès lors, la loi française, à défaut de choix des parties, aurait trouvé à s'appliquer en raison du lieu d'accomplissement habituel du travail, et qu'il en résultait que le choix par les parties de la loi luxembourgeoise ne pouvait avoir pour résultat de priver M. [X] de la protection que lui assuraient les dispositions impératives de la loi française.
12. La cour d'appel a enfin retenu que constituaient des dispositions impératives celles auxquelles il ne pouvait être dérogé par contrat, que constituaient notamment des normes françaises légales et impératives tendant à protéger les salariés les dispositions de la loi française concernant la modification et la rupture du contrat de travail et qu'ainsi, la loi française avait vocation à s'appliquer au litige.
13. La société Locatrans s'est pourvue en cassation.
Enoncé du moyen
14. Par son moyen, pris en sa première branche, l'employeur fait grief à l'arrêt de dire qu'en application de l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, le choix par les parties de la loi luxembourgeoise ne peut avoir pour résultat de priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi française, applicables au présent litige, de requalifier la rupture du contrat de travail du salarié en licenciement, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à verser diverses sommes subséquentes, alors « que le lieu de travail habituel est l'endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de la période d'activité du travailleur ; qu'en cas de périodes stables de travail dans des lieux successifs différents, le dernier lieu d'activité devrait être retenu dès lors que, selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable ses activités ; que pour dire que le choix par les parties de la loi luxembourgeoise ne pouvait avoir pour résultat de priver le salarié de la protection que lui assuraient les dispositions impératives de la loi française, la cour d'appel a retenu que, par courrier du 31 mars 2014, l'employeur avait reconnu que le salarié, lequel avait été engagé le 15 octobre 2002 en qualité de chauffeur routier pour effectuer des transports de marchandises dans plusieurs pays, accomplissait l'essentiel de son travail en France en ces termes : ''[...] nous avons été amenés à analyser l'ensemble de votre activité sur les 18 derniers mois. Nous avons ainsi constaté que, désormais, vous effectuez une part substantielle de votre activité salariée (plus de 50 %) sur le territoire de votre Etat de résidence à savoir la France. Dans ces conditions nous sommes dans l'obligation de vous affilier à la sécurité sociale française'', et qu'il résultait de la lecture des bulletins de salaire que le salarié avait cotisé au régime de la sécurité sociale française dès le mois d'avril 2014 ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la France était le pays de travail habituel où le salarié avait accompli la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de sa période d'activité ou qu'il avait été décidé selon la volonté claire des parties que le salarié y exercerait de façon stable et durable ses activités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. »
Rappel des textes applicables
Le droit de l'Union
15. Aux termes de l'article 3 de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980,
1. Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.
2. Les parties peuvent convenir, à tout moment, de faire régir le contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant soit en vertu d'un choix antérieur selon le présent article, soit en vertu d'autres dispositions de la présente Convention. Toute modification quant à la détermination de la loi applicable, intervenue postérieurement à la conclusion du contrat, n'affecte pas la validité formelle du contrat au sens de l'article 9 et ne porte pas atteinte aux droits des tiers.
3. Le choix par les parties d'une loi étrangère, assorti ou non de celui d'un tribunal étranger, ne peut, lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés au moment de ce choix dans un seul pays, porter atteinte aux dispositions auxquelles la loi de ce pays ne permet pas de déroger par contrat, ci-après dénommées « dispositions impératives ».
4. L'existence et la validité du consentement des parties quant au choix de la loi applicable sont régies par les dispositions établies aux articles 8, 9 et 11.
16. Aux termes de l'article 6 de la même Convention,
1. Nonobstant les dispositions de l'article 3, dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article.
2. Nonobstant les dispositions de l'article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l'article 3, le contrat de travail est régi :
a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays
ou
b) si le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur,
à moins qu'il ne résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable.
17. Le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO, 4 juillet 2008, L 177, p. 6), a remplacé la Convention de Rome. Ce règlement s'applique aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009.
18. Aux termes de l'article 8, paragraphe 2, de ce règlement, intitulé « Contrats individuels de travail », à défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.
19. Selon l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la Convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la « Convention de Bruxelles »), le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; en matière de contrat individuel de travail, ce lieu est celui où le travailleur accomplit habituellement son travail ; lorsque le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, l'employeur peut être également attrait devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur.
20. Le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), a remplacé la Convention de Bruxelles. Il est entré en vigueur le 1er mars 2002.
21. L'article 19 du règlement n° 44/2001 dispose qu'un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un État membre peut être attrait :
1) devant les tribunaux de l'État membre où il a son domicile, ou 2) dans un autre État membre :
a) devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail, ou
b) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur.
22. Le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), a remplacé le règlement (CE) n° 44/2001. Il est entré en vigueur le 10 janvier 2015.
23. Aux termes de l'article 21, paragraphe 1, de ce règlement, un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait :
a) devant les juridictions de l'État membre où il a son domicile ; ou
b) dans un autre État membre :
i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou
ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur.
Le droit luxembourgeois
24. Aux termes de l'article L. 121-7 du code du travail luxembourgeois, toute modification en défaveur du salarié portant sur une clause essentielle du contrat de travail doit, sous peine de nullité, être notifiée au salarié dans les formes et délais visés aux articles L. 124-2 et L. 124-3 et indiquer la date à laquelle elle sort ses effets. Dans ce cas, le salarié peut demander à l'employeur les motifs de la modification et l'employeur est tenu d'énoncer ces motifs dans les formes et délais prévus à l'article L. 124-5. La modification immédiate pour motif grave doit être notifiée au salarié, sous peine de nullité, dans les formes et délais prévus aux articles L. 124-2 et L. 124-10. La résiliation du contrat de travail découlant du refus du salarié d'accepter la modification lui notifiée constitue un licenciement susceptible du recours judiciaire visé à l'article L. 124-11.
25. Aux termes de l'article L. 124-11 du code du travail luxembourgeois,
(1) Est abusif et constitue un acte socialement et économiquement anormal, le licenciement qui est contraire à la loi ou qui n'est pas fondé sur des motifs réels et sérieux liés à l'aptitude ou à la conduite du salarié ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. Il en est de même lorsque le licenciement est contraire aux critères généraux visés à l'article L. 423-1, sous 3.
(2) L'action judiciaire en réparation de la résiliation abusive du contrat de travail doit être introduite auprès de la juridiction du travail, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à partir de la notification du licenciement ou de sa motivation. A défaut de motivation, le délai court à partir de l'expiration du délai visé à l'article L. 124-5, paragraphe (2). Ce délai est valablement interrompu en cas de réclamation écrite introduite auprès de l'employeur par le salarié, son mandataire ou son organisation syndicale. Cette réclamation fait courir, sous peine de forclusion, un nouveau délai d'une année.
(3) En cas de contestation, la charge de la preuve de la matérialité et du caractère réel et sérieux des motifs incombe à l'employeur. L'employeur peut en cours d'instance apporter des précisions complémentaires par rapport aux motifs énoncés.
(4) L'abstention du salarié de prester son travail en raison d'une grève professionnelle, décrétée dans des conditions légitimes et licites, ne constitue ni un motif grave au sens de l'article L. 124-10, ni un motif sérieux au sens du paragraphe (1) du présent article.
(5) Sans préjudice des dispositions du livre V, titre Ier, chapitre Ier relatif aux mesures destinées à prévenir les licenciements conjoncturels, pour autant qu'elles régissent l'indemnisation des chômeurs partiels, le refus par un salarié occupé à temps plein d'effectuer un travail à temps partiel ne constitue ni un motif grave, ni un motif légitime de licenciement. Il en est de même pour le salarié occupé à temps partiel qui refuse d'accepter ou de reprendre un travail à temps plein. Toutefois, si le salarié occupé à temps partiel est inscrit à l'Agence pour le développement de l'emploi au titre de demandeur d'un emploi à plein temps, son refus d'accepter un emploi à plein temps lui offert par son employeur, correspondant à sa qualification, ses connaissances, ses aptitudes et son expérience professionnelle, et conforme aux critères de l'emploi approprié visé à l'article L. 521-3, peut constituer un motif légitime de licenciement, s'il n'est pas dûment justifié par des causes réelles et sérieuses.
(6) Le refus du salarié à temps partiel d'effectuer des heures de travail au-delà des limites fixées par le contrat ou à d'autres conditions et modalités que celles prévues au contrat ne constitue ni un motif grave, ni un motif légitime de licenciement.
(7) Doit être considéré comme abusif le licenciement du salarié au motif qu'il renonce à prétendre à l'indemnité de préretraite.
Le droit national
26. Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
27. Aux termes de l'article L. 1231-1, alinéa 1er, du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre.
28. Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
29. Aux termes de l'article L. 1233-2 du code du travail, tout licenciement pour motif économique est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
30. Aux termes de l'article L. 1235-1, alinéas 3 à 5, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
31. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'employeur ne peut imposer à un salarié, sans son accord, la modification de son contrat de travail et la rupture du contrat de travail résultant du refus du salarié d'accepter une modification de son contrat s'analyse en un licenciement. Le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail n'est pas fautif et le licenciement motivé uniquement par le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Soc., 7 juillet 1998, pourvois n° 96-40.256, 96-45.047, Bull. 1998, V, n° 367 ; Soc., 15 juillet 1998, pourvoi n° 97-43.985, Bull. 1998, V, n° 381 ; Soc., 16 décembre 1998, pourvoi n° 96-41.845, Bull. 1998, V, n° 557 ; Soc., 24 novembre 1999, pourvoi n° 97-45.202, Bull. 1999, V, n° 456).
Motifs justifiant le renvoi préjudiciel
32. L'article 6 de la Convention de Rome édicte des règles de conflit spéciales relatives au contrat individuel de travail qui dérogent aux règles générales contenues aux articles 3 et 4 de cette Convention, portant respectivement sur la liberté de choix de la loi applicable et sur les critères de détermination de celle-ci en l'absence d'un tel choix.
33. Ainsi, l'article 6 de la Convention de Rome prévoit, à son paragraphe 1, que le choix par les parties de la loi applicable au contrat de travail ne peut pas conduire à priver le travailleur des garanties prévues par les dispositions impératives de la loi qui serait applicable au contrat en l'absence d'un tel choix. Le paragraphe 2 dudit article énonce les critères de rattachement du contrat de travail sur la base desquels doit être déterminée la lex contractus, à défaut de choix des parties.
34. Ces critères sont, en premier lieu, celui du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail » [article 6, paragraphe 2, sous a)], et, à titre subsidiaire, en l'absence d'un tel lieu, celui du siège de « l'établissement qui a embauché le travailleur » [article 6, paragraphe 2, sous b)].
35. En outre, selon la dernière phrase de ce paragraphe 2, ces deux critères de rattachement ne sont pas applicables lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable.
36. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé les critères d'interprétation de la notion de lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, dans l'hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d'un État contractant, au sens de la Convention de Rome, dans les arrêts Heiko Koelzsch du 15 mars 2011 (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10) et Voogsgeerd du 15 décembre 2011 (arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C-384/10).
37. Elle a dit pour droit dans l'arrêt Heiko Koelzsch que l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d'un État contractant, le pays dans lequel le travailleur, dans l'exécution du contrat, accomplit habituellement son travail au sens de cette disposition est celui où ou à partir duquel, compte tenu de l'ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s'acquitte de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur.
38. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans l'arrêt Voogsgeerd que l'article 6, paragraphe 2, de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale saisie doit tout d'abord établir si le travailleur, dans l'exécution du contrat, accomplit habituellement son travail dans un même pays, qui est celui dans lequel ou à partir duquel, compte tenu de l'ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s'acquitte de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur.
39. La Cour de justice de l'Union européenne a indiqué que le critère du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail » doit être interprété de manière autonome, dans le sens que le contenu et la portée de cette règle de renvoi ne peuvent pas être déterminés sur la base du droit du juge saisi, mais doivent être établis selon des critères uniformes et autonomes pour assurer à la Convention de Rome sa pleine efficacité dans la perspective des objectifs qu'elle poursuit (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 32).
40. En outre, une telle interprétation ne doit pas faire abstraction de celle relative aux critères prévus à l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles lorsqu'ils fixent les règles de détermination de la compétence juridictionnelle pour les mêmes matières et édictent des notions similaires. En effet, il découle du préambule de la Convention de Rome que celle-ci a été conclue afin de poursuivre, dans le domaine du droit international privé, l'oeuvre d'unification juridique amorcée par l'adoption de la Convention de Bruxelles (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 33).
41. À cet égard, il ressort du rapport concernant la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, de MM. Giuliano et Lagarde (JO 1980, C 282, p. 1), que l'article 6 de celle-ci a été conçu pour « donner une réglementation plus appropriée dans des matières où les intérêts d'un des contractants ne se posent pas sur le même plan que ceux de l'autre et d'assurer [ainsi] une protection adéquate à la partie qui est à considérer, d'un point de vue socio-économique, comme la plus faible dans la relation contractuelle » (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 40).
42. La Cour de justice s'est inspirée également de ces principes dans l'interprétation des règles de compétence relatives aux contrats de travail qui sont fixées par la Convention de Bruxelles. Elle a en effet jugé que, dans une hypothèse où le travailleur exerce ses activités professionnelles dans plus d'un État contractant, il importe de tenir dûment compte du souci d'assurer une protection adéquate au travailleur en tant que partie contractante la plus faible (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 41).
43. Il s'ensuit que, dans la mesure où l'objectif de l'article 6 de la Convention de Rome est d'assurer une protection adéquate au travailleur, cette disposition doit être lue comme garantissant l'applicabilité de la loi de l'État dans lequel il exerce ses activités professionnelles plutôt que celle de l'État du siège de l'employeur. En effet, c'est dans le premier État que le travailleur exerce sa fonction économique et sociale et que l'environnement professionnel et politique influence l'activité de travail. Dès lors, le respect des règles de protection du travail prévues par le droit de ce pays doit, dans la mesure du possible, être garanti (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 42).
44. Ainsi, compte tenu de l'objectif poursuivi par l'article 6 de la Convention de Rome, il y a lieu de constater que le critère du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail », édicté au paragraphe 2, sous a), de celui-ci, doit être interprété de façon large, alors que le critère du siège de « l'établissement qui a embauché le travailleur », prévu au paragraphe 2, sous b), du même article, devrait s'appliquer lorsque le juge saisi n'est pas en mesure de déterminer le pays d'accomplissement habituel du travail (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 43 ; arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C-384/10, point 35).
45. Il découle de ce qui précède que le critère contenu à l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la Convention de Rome a vocation à s'appliquer également dans une hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d'un État contractant, lorsqu'il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l'État avec lequel le travail présente un rattachement significatif (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 44 ; arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C-384/10, point 36).
46. Selon la jurisprudence de la Cour de justice relative à l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles (arrêt du 13 juillet 1993, Mulox IBC, C-125/92, Rec. p. I-4075, points 21 à 23 ; arrêt du 9 janvier 1997, Rutten, C-383/95, Rec. p. I-57, point 23 ; arrêt du 27 février 2002, Weber, C-37/00, Rec. p. I-2013, point 42), qui reste pertinente dans l'analyse de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention de Rome, lorsque les prestations de travail sont exécutées dans plus d'un État membre, le critère du pays de l'accomplissement habituel du travail doit faire l'objet d'une interprétation large et être entendu comme se référant au lieu dans lequel ou à partir duquel le travailleur exerce effectivement ses activités professionnelles et, en l'absence de centre d'affaires, au lieu où celui-ci accomplit la majeure partie de ses activités (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 45).
47. Par ailleurs, cette interprétation se concilie également avec le libellé de la nouvelle disposition sur les règles de conflit relatives aux contrats individuels de travail, introduite par le règlement n° 593/2008, qui n'est pas applicable en l'espèce ratione temporis. En effet, selon l'article 8 de ce règlement, à défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Cette loi reste applicable également lorsque le travailleur accomplit des prestations temporairement dans un autre État. En outre, ainsi que l'indique le vingt-troisième considérant de ce règlement, l'interprétation de cette disposition doit être inspirée des principes du favor laboratoris car les parties les plus faibles au contrat doivent être protégées « par des règles de conflit plus favorables » (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 46).
48. Il ressort de ce qui précède que la juridiction de renvoi doit interpréter de manière large le critère de rattachement édicté à l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la Convention de Rome pour établir si le requérant au principal a accompli habituellement son travail dans l'un des États contractants et pour déterminer lequel d'entre eux (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 47).
49. À cette fin, en considération de la nature du travail dans le secteur du transport international, tel que celui en cause dans l'affaire au principal, la juridiction de renvoi doit tenir compte de l'ensemble des éléments qui caractérisent l'activité du travailleur (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 48).
50. Elle doit notamment établir dans quel État est situé le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. Elle doit également vérifier quels sont les lieux où le transport est principalement effectué, les lieux de déchargement de la marchandise ainsi que le lieu où le travailleur rentre après ses missions (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 49 ; arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C-384/10, point 38).
51. S'il ressort de ces constatations que le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport et reçoit également les instructions pour ses missions est toujours le même, ce lieu doit être considéré comme étant celui où il accomplit habituellement son travail, au sens de l'article 6, paragraphe 2, sous a). En effet, le critère du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail s'applique en priorité (arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C-384/10, point 39).
52. Dès lors, les éléments caractérisant la relation de travail, à savoir le lieu de l'occupation effective, le lieu où le travailleur reçoit les instructions ou celui où il doit se présenter avant d'accomplir ses missions, ont une incidence pour la détermination de la loi applicable à cette relation de travail en ce sens que, lorsque ces lieux sont situés dans le même pays, le juge saisi peut considérer que la situation relève de l'hypothèse prévue à l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la Convention de Rome (arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C-384/10, point 40).
53. Dans des litiges concernant un salarié affecté à une activité mobile internationale de transport aérien et un salarié technicien mécanicien mis à disposition d'une société de droit français exploitant une barge dans des eaux territoriales étrangères ou internationales, la Cour de cassation a fait application du critère du lieu où le salarié accomplit habituellement son travail, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne lorsque la Convention de Rome est applicable et a énoncé que le critère contenu à l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la Convention de Rome avait vocation à s'appliquer également dans une hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d'un Etat contractant, lorsqu'il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l'Etat avec lequel le travail présente un rattachement significatif (Soc., 11 avril 2012, pourvois n° 11-17.096, 11-17.097, Bull. 2012, V, n° 119 ; Soc., 13 janvier 2016, pourvoi n° 14-14.019).
54. La Cour de justice a également fait référence dans l'arrêt Heiko Koelzsch à sa jurisprudence relative à l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles (arrêt du 13 juillet 1993, Mulox IBC, C-125/92, points 21 à 23 ; arrêt du 9 janvier 1997, Rutten, C-383/95, point 23 ; arrêt du 27 février 2002, Weber, C-37/00, point 42) et a énoncé que selon cette jurisprudence, qui reste pertinente dans l'analyse de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention de Rome, lorsque les prestations de travail sont exécutées dans plus d'un État membre, le critère du pays de l'accomplissement habituel du travail doit faire l'objet d'une interprétation large et être entendu comme se référant au lieu dans lequel ou à partir duquel le travailleur exerce effectivement ses activités professionnelles et, en l'absence de centre d'affaires, au lieu où celui-ci accomplit la majeure partie de ses activités (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, point 45).
55. La Cour de justice a également indiqué dans l'arrêt Nogueira du 14 septembre 2017 que l'interprétation autonome de l'article 19, point 2, du règlement Bruxelles I ne s'oppose pas à ce qu'il soit tenu compte des dispositions correspondantes contenues dans la Convention de Rome, dès lors que cette Convention, ainsi qu'il ressort de son préambule, vise également à poursuivre, dans le domaine du droit international privé, l'oeuvre d'unification juridique déjà entreprise dans l'Union, notamment en matière de compétence judiciaire et d'exécution des jugements (arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira, C-168/16 et C-169/16, point 55).
56. La Cour de cassation constate dès lors que le renvoi à sa jurisprudence élaborée à propos de la Convention de Bruxelles sur la détermination de la juridiction compétente auquel la Cour de justice procède, alors qu'elle est saisie d'une question préjudicielle sur la Convention de Rome sur la loi applicable, démontre que la Cour de justice entend faire une interprétation univoque des critères de rattachement en matière de conflit de juridictions et de conflit de lois.
57. La Cour de justice a dit pour droit dans l'arrêt Weber du 27 février 2002 (arrêt du 27 février 2002, Weber, C-37/00) que l'article 5, point 1, de ladite Convention doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où le salarié exécute les obligations résultant de son contrat de travail dans plusieurs États contractants, le lieu où il accomplit habituellement son travail, au sens de cette disposition, est l'endroit où, ou à partir duquel, compte tenu de toutes les circonstances du cas d'espèce, il s'acquitte en fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur.
S'agissant d'un contrat de travail en exécution duquel le salarié exerce les mêmes activités au profit de son employeur dans plus d'un État contractant, il faut, en principe, tenir compte de toute la durée de la relation de travail pour déterminer le lieu où l'intéressé accomplissait habituellement son travail, au sens de ladite disposition.
À défaut d'autres critères, ce lieu est celui où le travailleur a accompli la plus grande partie de son temps de travail.
Il n'en serait autrement que si, au regard des éléments de fait du cas d'espèce, l'objet de la contestation en cause présentait des liens de rattachement plus étroits avec un autre lieu de travail, cas dans lequel ce lieu serait pertinent aux fins de l'application de l'article 5, point 1, de ladite Convention.
Au cas où les critères définis par la Cour ne permettraient pas à la juridiction nationale de déterminer le lieu habituel de travail visé par l'article 5, point 1, de ladite Convention, le travailleur aura le choix d'attraire son employeur soit devant le tribunal du lieu de l'établissement qui l'a embauché, soit devant les juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel est situé le domicile de l'employeur.
58. La Cour de justice a précisé que la période de travail la plus récente devrait être retenue lorsque le travailleur, après avoir accompli son travail pendant une certaine durée à un endroit déterminé, exerce ensuite ses activités de manière durable en un lieu différent, dès lors que, selon la volonté claire des parties, ce dernier est destiné à devenir un nouveau lieu de travail habituel au sens de l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles (arrêt du 27 février 2002, Weber, C-37/00, point 54).
59. En l'espèce, la société Locatrans soutient en substance que les critères de l'arrêt Weber sont également applicables en présence d'un conflit de lois nécessitant l'application de la Convention de Rome et que les juges du fond ont privé leur décision de base légale en faisant application de la loi française, sans rechercher si la France était le pays de travail habituel où M. [X] avait accompli la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de sa période d'activité, ni s'il avait été décidé selon la volonté claire des parties que le salarié y exercerait de façon stable et durable ses activités.
60. M. [X] soutient en substance que la cour d'appel a exactement caractérisé la loi du pays à partir duquel, en exécution du contrat de travail, il accomplissait habituellement son travail en constatant que le contrat de travail présentait avec la France des liens plus étroits, notamment parce que le salarié accomplissait effectivement la majeure partie de ses missions en France et qu'il en allait de même s'agissant du choix fait en matière de sécurité sociale. Il fait valoir que les dispositions des articles 3 et 6 de la Convention de Rome n'imposent pas au juge de prendre en considération l'intégralité de la période d'activité pour apprécier le lieu où le travail s'accomplit habituellement.
61. La Cour de cassation considère qu'un doute raisonnable subsiste sur ce point.
62. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne, dans l'arrêt Nogueira du 14 septembre 2017 (arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira, C-168/16, point 58), a jugé que l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles doit, au regard de la nécessité tant de déterminer le lieu avec lequel le litige présente le lien de rattachement le plus significatif aux fins de désigner le juge le mieux placé pour statuer que d'assurer une protection adéquate au travailleur en tant que partie contractante la plus faible et d'éviter la multiplication des tribunaux compétents, être interprété comme visant le lieu où, ou à partir duquel, le travailleur s'acquitte en fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur. En effet, c'est à cet endroit que le travailleur peut, à moindre frais, intenter une action judiciaire à l'encontre de son employeur ou se défendre et que le juge de ce lieu est le plus apte à trancher la contestation relative au contrat de travail.
63. Il n'est toutefois pas certain que ce critère du dernier lieu où le salarié accomplit habituellement son travail, pertinent pour déterminer quelle juridiction le salarié doit saisir puisque cela lui permet d'intenter une action judiciaire à moindre frais, le soit également pour déterminer la loi applicable à défaut de choix. Cela conduirait en outre à ce qu'un même contrat de travail soit soumis successivement à des lois impératives différentes en fonction des changements intervenant quant au lieu de travail.
64. Si les précisions apportées par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt Heiko Koelzsch (arrêt du 15 mars 2011, Heiko Koelzsch, C-29/10, points 40 et 46) sur l'interprétation de la notion du lieu où le salarié accomplit habituellement son travail pourraient conduire, en application du principe favor laboratoris, à retenir le critère du dernier lieu où le salarié accomplit habituellement son travail, cependant, dans le « dit pour droit » de l'arrêt Weber, la Cour de justice se réfère expressément à la prise en compte de « toute la durée de la relation de travail » sans reprendre le critère du dernier lieu où le salarié accomplit habituellement son travail, énoncé au § 54 de l'arrêt Weber.
65. Depuis lors, ce critère du dernier lieu où le salarié accomplit habituellement son travail a été consacré par le législateur européen lors de la refonte du règlement de Bruxelles I, à l'article 21 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
66. En revanche, il pourrait être déduit de l'arrêt Voogsgeerd que, si le travailleur, dans l'exécution du contrat, n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, alors le juge national doit appliquer le critère subsidiaire du lieu où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur.
67. Enfin, l'article 8, § 2, du règlement Rome I prévoit que le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays. Cette disposition est éclairée par le considérant n° 36 de ce règlement : « S'agissant des contrats individuels de travail, l'accomplissement du travail dans un autre pays devrait être considéré comme temporaire lorsque le travailleur est censé reprendre son travail dans le pays d'origine après l'accomplissement de ses tâches à l'étranger ».
68. Dès lors, se pose la question de savoir si les articles 3 et 6 de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 doivent être interprétés en ce sens que, dans l'hypothèse où le salarié exerce les mêmes activités au profit de son employeur dans plus d'un État contractant, il convient, pour déterminer la loi qui serait applicable à défaut de choix des parties, de tenir compte de toute la durée de la relation de travail pour déterminer le lieu où l'intéressé accomplissait habituellement son travail ou si la période de travail la plus récente devrait être retenue lorsque le travailleur, après avoir accompli son travail pendant une certaine durée à un endroit déterminé, exerce ensuite ses activités de manière durable en un lieu différent, destiné, selon la volonté claire des parties, à devenir un nouveau lieu de travail habituel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante :
« Les articles 3 et 6 de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans l'hypothèse où le salarié exerce les mêmes activités au profit de son employeur dans plus d'un État contractant, il convient, pour déterminer la loi qui serait applicable à défaut de choix des parties, de tenir compte de toute la durée de la relation de travail pour déterminer le lieu où l'intéressé accomplissait habituellement son travail ou si la période de travail la plus récente devrait être retenue lorsque le travailleur, après avoir accompli son travail pendant une certaine durée à un endroit déterminé, exerce ensuite ses activités de manière durable en un lieu différent, destiné, selon la volonté claire des parties, à devenir un nouveau lieu de travail habituel ? »
SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
RÉSERVE les dépens ;
DIT qu'une expédition du présent arrêt ainsi que le dossier de l'affaire seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffe de la Cour de justice de l'Union européenne.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille vingt-quatre.