LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 septembre 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 473 F-D
Pourvoi n° C 23-12.905
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
La société Central Bank of Libya, dont le siège est [Adresse 2] (Libye), agissant en la personne du gouverneur et représentée par le département du contentieux du comité des différends avec les pays étrangers, autrement dénommé direction des affaires de l'état ou service du contentieux, a formé le pourvoi n° C 23-12.905 contre l'arrêt rendu le 3 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (chambre commerciale internationale, pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi et fils, dont le siège est [Adresse 1] (Koweit), société de droit étranger,
2°/ au gouvernement libyen,
3°/ au ministère de l'économie libyen,
4°/ au ministère des finances libyen,
tous trois ayant leur siège [Adresse 4] (Libye) et agissant par le président du département du contentieux et du comité des différents avec les pays étrangers, en représentation du gouvernement libyen,
5°/ à la société Libyan Investment Authority, dont le siège est [Adresse 3] (Libye),
6°/ au Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation, dont le siège est [Adresse 4] (Libye), prise en la personne du gouvernement libyen et agissant par le président du département du contentieux et du comité des différents avec les pays étrangers, en représentation du gouvernement libyen,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Central Bank of Libya, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi et fils, de la SCP Krivine et Viaud, avocat de le gouvernement libyen, du ministère de l'économie libyen, du ministère des finances libyen et du Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, M. Bruyère, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 janvier 2023), la Central Bank of Libya (la banque) a fait tierce opposition à un arrêt du 28 octobre 2014 ayant accordé l'exequatur à une sentence rendue au Caire à l'encontre de l'Etat libyen, au motif qu'elle avait subi un préjudice du fait d'une saisie-attribution pratiquée sur son compte bancaire dans les livres du Crédit Agricole Corporate & Investment Bank sur le fondement de l'arrêt d'exequatur auquel elle n'était pas partie.
2. Statuant sur renvoi après cassation (1re Civ., 26 mai 2021, pourvoi n° 19-23.996), la cour d'appel a déclaré irrecevable la tierce opposition formée par la banque.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, le troisième moyen, pris en sa seconde branche, et les quatrième et cinquième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. En son premier moyen, la banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la tierce opposition qu'elle a formée contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 ayant confirmé l'ordonnance rendue le 13 mai 2013 par le président du tribunal de grande instance de Paris qui a déclaré exécutoire en France la sentence arbitrale rendue au Caire le 22 mars 2013, alors « que le droit effectif au juge implique que le tiers dont les biens ont été saisis en exécution d'une ordonnance d'exequatur d'une sentence arbitrale soit recevable à former tierce opposition à l'encontre de cette ordonnance ou de l'arrêt ayant rejeté l'appel interjeté à son encontre ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 583 du code de procédure civile. »
5. En son troisième moyen, pris en sa première branche, la banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; qu'il n'est pas requis à cet égard, en l'absence de représentation, que l'intérêt dont se prévaut le tiers opposant soit distinct de celui des parties au jugement contesté ; qu'en déclarant la tierce opposition de la banque irrecevable pour cette raison que son intérêt à agir n'était pas distinct de celui de l'État de Libye et des autres parties à la procédure d'exequatur, la cour d'appel a violé, en y ajoutant, l'article 583 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le droit d'accès au tribunal ne revêt pas un caractère absolu et que des limitations peuvent être instaurées à la condition que ces limites ne restreignent l'accès d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même, qu'elles poursuivent un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
7. En application de l'article 583 du code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.
8. Ayant énoncé que la recevabilité d'une tierce opposition à l'encontre d'un arrêt ayant accordé l'exequatur à une sentence arbitrale rendue à l'étranger était subordonnée à l'existence d'un intérêt légitime, personnel, direct, né et actuel, et relevé souverainement, d'une part, que la banque ne justifiait d'aucun intérêt personnel distinct de celui de l'État de Libye et de ses émanations pour remettre en cause la décision qu'elle attaquait par la voie de la tierce opposition, et, d'autre part, qu'elle ne pouvait se prévaloir de l'existence d'un préjudice non intégralement indemnisé résultant de la saisie opérée sur ses avoirs, le recours en tierce opposition formé dans le cadre de l'instance n'ayant ni pour objet ni pour finalité la réparation d'un tel préjudice, ni se prévaloir du risque de nouvelle saisie à raison de la décision d'exequatur, qui présente un caractère hypothétique, la cour d'appel en a exactement déduit, sans ajouter une condition à la loi et sans méconnaître l'article 6, § 1 précité, en l'état d'un recours ouvert devant le juge de l'exécution et formé par la banque pour contester le bien fondé de la saisie, que la tierce opposition n'était pas recevable.
9. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Central Bank of Libya aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Central Bank of Libya ainsi que les demandes formées par le gouvernement libyen, le ministère de l'économie libyen, le ministère des finances libyen et le Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation et condamne la société Central Bank of Libya à payer à la société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi et fils la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.