LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 septembre 2024
Cassation partielle sans renvoi
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 892 F-D
Pourvoi n° D 23-16.655
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 août 2023.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
La République de Tunisie, représentée par le consulat général de Tunisie, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 23-16.655 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2023 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l'opposant à M. [N] [C], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la République de Tunisie, de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de M. [C], après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 avril 2023), M. [C] a été engagé en qualité d'agent local par le consulat général de Tunisie à [Localité 3] (le consulat) le 1er novembre 1996. Le directeur général de l'office des tunisiens à l'étranger a mis fin à ses missions à compter du 1er mars 2011.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail formée contre le consulat le 4 avril 2011.
3. Par jugement du 25 janvier 2013, le conseil de prud'hommes de Lyon a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction soulevée par le consulat, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné le consulat à verser diverses sommes au salarié.
4. Par arrêt du 27 mai 2015, la cour d'appel de Lyon a infirmé le jugement et déclaré irrecevable l'action engagée par le salarié à l'encontre du consulat.
5. Par arrêt du 26 octobre 2017, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le salarié contre cet arrêt.
6. Par requête du 16 mai 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale des mêmes demandes, formées contre la République de Tunisie.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La République de Tunisie fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action du salarié, alors « que la prescription n'est suspendue qu'en cas d'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; que ni la demande en justice formée par le salarié d'un Etat étranger contre une émanation de cet Etat dépourvue de la personnalité morale, ni la formation d'un pourvoi en cassation contre l'arrêt déclarant cette demande irrecevable n'ont pour effet d'empêcher le salarié d'introduire la même action contre l'Etat employeur, même à titre conservatoire ; qu'en l'espèce, il est constant que M. [C], qui travaillait pour le consulat général de Tunisie à [Localité 3] et prétend avoir été licencié le 17 février 2011, a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, le 4 avril 2011, de demandes dirigées contre le consulat général de Tunisie à [Localité 3] et liées à l'exécution et la rupture de son contrat de travail, que par arrêt du 27 mai 2015 la cour d'appel de Lyon a déclaré son action irrecevable en raison de l'absence de personnalité morale du consulat général de Tunisie et que la Cour de cassation, par un arrêt du 26 octobre 2017, a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt ; qu'en retenant que le délai de prescription de l'action fondée sur l'exécution et la rupture de son contrat a été suspendu à compter du 27 mai 2015 en raison du pourvoi formé contre l'arrêt du 27 mai 2015 et qu'à compter de l'arrêt de la Cour de cassation, il restait en conséquence au salarié un délai de neuf mois moins dix jours avant l'expiration du délai de prescription de 5 ans ayant couru à compter du 17 février 2011, pour former une action contre la République de Tunisie, cependant que la formation d'un pourvoi en cassation n'empêchait pas le salarié de préserver ses droits en saisissant, fût-ce à titre conservatoire, le conseil de prud'hommes de demandes dirigées contre la République de Tunisie, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif impropre à caractériser une impossibilité d'agir, a violé l'article 2234 du code civil, ensemble les articles L. 1471-1 et L. 3245-1 du code du travail dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2234 du code civil :
8. Aux termes de ce texte, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
9. Pour déclarer l'action du salarié recevable, l'arrêt retient que le délai de prescription a été suspendu à compter du 27 mai 2015 en raison du pourvoi formé contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon, de sorte qu'à cette date, le délai restant à courir était de neuf mois moins dix jours et que le délai a recommencé à courir le 26 octobre 2017, date de l'arrêt de la Cour de cassation rejetant le pourvoi.
10. En statuant ainsi, alors que le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon statuant sur la demande formée par le salarié contre le consulat n'empêchait pas l'intéressé d'agir contre la République de Tunisie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
13. La cour d'appel ayant constaté qu'elle n'était saisie d'aucune demande au fond, l'appel est sans objet.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare l'action de M. [C] contre la République de Tunisie recevable et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que l'appel est sans objet ;
Condamne M. [C] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes de Lyon et la cour d'appel de Lyon ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.