LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 octobre 2024
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 522 F-D
Pourvoi n° H 22-21.162
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 OCTOBRE 2024
1°/ La société Chubb European Group SE, société européenne, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de sa filiale la société Ace European Group Limited, dont le siège est [Adresse 7] (Allemagne),
2°/ la société Chubb European Group SE, dont le siège est [Adresse 7] (Allemagne), anciennement dénommée Ace Insurance Group Limited,
3°/ la société Pantaenius Sam, dont le siège est [Adresse 3] (Monaco),
ont formé le pourvoi n° H 22-21.162 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [U] [K],
2°/ à Mme [T] [Y], épouse [K],
tous deux domiciliés domiciliée [Adresse 1],
3°/ à la société Nouvelle Haris Yachting, société à responsabilité limitée, dont le siège est Port [8], [Adresse 4], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat des sociétés Chubb European Group SE, et Pantaenius Sam, de la SCP Duhamel, avocat de la société Nouvelle Haris Yachting, de la SCP Spinosi, avocat de M. et Mme [K], et l'avis de M. Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 7 juillet 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 20 octobre 2021, pourvoi n° 19-12.349), le 7 mai 2009, M. et Mme [K] ont commandé un voilier Elan 450 à la société Nouvelle Haris Yachting (la société Haris), concessionnaire et importateur en France de voiliers de la marque Elan, construits en Slovénie. Ce navire a été financé par moitié par une location avec option d'achat consentie par la société CM-CIC Bail. Le 19 août 2019, M. [K] a signé un procès-verbal de livraison et le 20 août, le navire ayant été acheminé sur le chantier naval Izola où il devait être préparé pour sa mise en eau, M. et Mme [K] l'ont fait assurer par la société Ace European Group Limited (la société Ace) aux droits de laquelle se trouve la société Chubb European Group SE (la société Chubb), par l'intermédiaire d'un courtier, la société Pantaenius.
2. Le navire ayant été endommagé à la suite d'une chute, survenue le 5 septembre 2009 sur le chantier naval, M. et Mme [K] ont assigné la société Haris en indemnisation de leur préjudice et leur assureur en paiement de diverses sommes au titre de la police d'assurance qu'ils avaient souscrite.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, cinquième et sixième branches
Enoncé du moyen
3. La société Chubb fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [K] les sommes de 379 868,64 euros en réparation de leur préjudice matériel et de 300 000 euros en réparation de leur préjudice immatériel résultant de la perte de chance de pouvoir naviguer sur leur voilier déclaré à l'état d'épave, alors :
« 1°/ que la vente d'un navire, même de série, est soumise aux dispositions de l'article L. 5113-3 du code des transports, protectrices du consommateur, puisque retardant le transfert des risques du navire à construire jusqu'à sa recette, après essais ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 5113-3 du code des transports ;
2°/ qu'à supposer que la vente d'un navire pût relever du droit commun de la vente, seul le serait un navire fabriqué d'avance et en série ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Chubb European Group SE et Pantaenius ont fait valoir que le navire litigieux avait "été clairement identifié au chantier lors de la venue de M. [K] en Slovénie, et spécialement préparé avec un montage électrique en 24 volts, au lieu et place du 12 volts de série, moyennant réserves du chantier Elan sur ce montage", ce dont se déduisait qu'il ne pouvait s'agir d'un navire fabriqué d'avance et en série ; que, pour décider d'écarter l'application de l'article 5113-3 du code des transports et d'« examiner les demandes des époux [K] au regard du régime de droit commun de la vente », la cour d'appel a énoncé que "les pièces produites aux débats établissent que les époux [K] ont acheté à la société Haris un voilier produit en série puisque l'ensemble des caractéristiques étaient définies à l'avance par le fabricant Elan, le voilier Augalau étant désigné dans le contrat de vente comme le navire n° 31 de la série par Elan, ce type de voilier étant produit en série pour être commercialisé sous la dénomination ¿¿Elan 450''" ; qu'en statuant ainsi par des motifs dont il ne résulte pas, en l'état des conclusions qui lui étaient soumises, que le voilier Augalau était un navire fabriqué d'avance et en série, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 5113-3 du code des transports ;
5°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Chubb et Pantaenius ont invoqué un arrêt de la Cour de cassation du 20 juin 2018 dans lequel, pour censurer la cour d'appel ayant jugé qu'il ne pouvait être opposé à l'acquéreur d'un navire mytilicole sa réception sans réserve, elle a jugé qu'elle ne pouvait se déterminer ainsi,"sans préciser en quoi le navire commandé était, par sa sophistication, un produit complexe, dont la recette sans réserve n'aurait pas été de nature à purger les défauts de conformité et les vices apparents"; qu'elles ont exposé que « le navire Augalau est un navire de mer prévu pour pouvoir opérer un tour du monde en catégorie A" et que, " faute de réception et recette à flot, aucun réglage du gréement, ou de ses doubles safrans après essais n'est intervenu, ni son moteur réceptionné, mise en route et essayé, ni ses différents apparaux de sécurité contre l'envahissement et l'incendie etc.", pour en déduire que "l'effectivité de la mise en route n'a en rien été établie, alors que la technicité sophistiquée des réglages et des savoir-faire ne pouvait être improvisée par M. [K]" ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur ces chefs de conclusion dont il résultait que le navire litigieux, eu égard à sa sophistication était un produit complexe ne pouvant avoir fait l'objet d'une recette, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ qu'aux termes de l'article L. 5113-3 du code des transports, sauf convention contraire, le transfert de propriété du navire à construire n'intervient qu'à la date de la recette du navire, après essais ; que, pour condamner la société Chubb, venant aux droits de la société Ace, à garantir le sinistre subi par le navire, la cour d'appel a énoncé que "les époux [K] avaient décidé, avant le sinistre, de décharger la société Haris de la réalisation des essais mer convenant avec cette dernière de faire leur affaire personnelle de la préparation et de la mise à l'eau", étant ajouté qu'"aucun élément du dossier n'établit l'existence d'un contrat de sous-traitance entre la société Haris et un chantier naval pour la préparation et la mise à l'eau du bateau" et que "les époux [K] (?) ont pris soin d'assurer leur voilier auprès de la société Ace lorsque le navire leur a été livré avant de contracter avec un chantier naval pour les derniers préparatifs de la mise en eau", ce dont elle a déduit que ces derniers avaient manifesté incontestablement leur volonté de prendre livraison du navire sans essai en mer ni recette ; qu'en statuant ainsi, par des motifs relatifs à la seule volonté des époux [K] et donc impropres à établir que la société venderesse Haris aurait conclu avec eux la convention contraire, prévue par l'article L. 5113-3 du code des transports, tendant au transfert anticipé de la propriété du bateau avant sa recette après essais, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ladite disposition. »
Réponse de la Cour
4. Les dispositions de l'article L. 5113-3 du code des transports ne s'appliquent pas lorsque le contrat porte sur un navire fabriqué d'avance et en série.
5. Après avoir relevé que l'ensemble des caractéristiques du voilier Augalau, désigné dans le contrat de vente comme le navire n° 31 de la série par la société Elan, était défini à l'avance par le fabricant Elan, et que ce type de voilier étant produit en série pour être commercialisé sous la dénomination « Elan 450 », et retenu que M. et Mme [K] avaient acheté à la société Haris un navire produit en série, la cour d'appel en a déduit à bon droit que les dispositions de l'article L. 5113-3 du code des transports n'étaient pas applicables.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième, septième et huitième branches
Enoncé du moyen
La société Chubb fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Chubb et Pantaenius ont exposé que la société Haris Yachting, "ne procédant pas à la préparation et à la mise à flot dans son chantier des Alpes-Maritimes a requis deux sous-traitants en Slovénie, le chantier Jahtni Yacht Center à [Localité 6] (Slovénie) et Nays Yachting pour la préparation locale du navire" et que le transport du navire "s'est opéré sous lettre de voiture internationale CMR n° 1235068 de [Localité 5] à [Localité 6] pour livraison chez Jahtni Yacht Center à [Localité 6] les 20 et 21 août 2009", étant précisé que la société Yacht Diffusion, en charge des prestations accessoires et destinataire de la lettre CMR" en a émargé la bonne réception le 21 août 2009 à 9 h 30" ; que la cour d'appel a pourtant énoncé qu' " il est établi que le 19 août 2009 la société Haris a signé avec les époux [K] un procès-verbal de livraison et de prise en charge du bateau, le matériel livré étant stipulé conforme à sa désignation et sans aucune réserve de propriété" et en estimant que ce "document", dont la "validité" n'était "pas remise en cause par les parties à la vente du navire litigieux","constitue l'écrit attestant de sa livraison au sens de l'article 1602 du code civil applicable au litige" ; qu'en se livrant à des telles appréciations, sans prendre en considération les éléments avancés par les sociétés Chubb et Pantaenius établissant que le navire litigieux ne pouvait avoir été, le 19 août 2009, livré aux époux [K] par la société Haris Yachting, laquelle, en ayant sous-traité la livraison, l'avait fait transporter à [Localité 6] où il a été reçu par la société Yacht Diffusion le 21 août 2009, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; que, dans leurs écritures d'appel, les sociétés Chubb et Pantaenius ont fait valoir que la Cour de cassation, dans son arrêt du 20 octobre 2021, n'avait pas retenu le procès-verbal de livraison du navire du 19 août 2009, qui était seulement "relatif à la seule convention de crédit-bail, et visé par elle", pouvait "constituer" la "convention contraire" exigée par l'article L. 5113-3 du code des transports, dès lors qu'elle en aurait "tiré un moyen de rejet du premier moyen 1re branche" soulevée devant elle, de sorte que les époux [K] ne pouvaient "tirer un élément de la sphère contractuelle du financement pour en tirer argument dans la sphère contractuelle de la vente de navire", étant précisé que le procès-verbal de livraison du 19 août 2009 "afférent à la seule convention de crédit-bail, est insusceptible de faire preuve d'une vente anticipée au sinistre du 5 septembre 2009" ; qu'en se fondant sur le procès-verbal du 19 août 2009, pour décider que, "au jour du sinistre survenu le 5 septembre 2009", les époux [K] étaient propriétaires du navire, procès-verbal pourtant à en-tête de "CM CIC BAIL", tel que reproduit dans les conclusions des exposantes, seulement, nécessaire à la mobilisation du crédit-bail souscrit et donc "afférent à la seule convention de crédit-bail", la cour d'appel, qui a déduit d'un procès-verbal établi à la demande du crédit-bailleur la conclusion d'une vente entre le "fournisseur" du navire, la société Harris, et le "locataire", les époux [K], a violé l'article 1165, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, du code civil. »
7°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Chubb et Pantaenius ont exposé que "la vente initiale du navire s'est trouvée ¿¿départ usine'' (EXW = ex works) [Localité 5] (Slovénie) entre Elan et Yacht Diffusion le 20 août 2009, cette dernière le revendant le 21 suivant à Haris Yachting après son arrivée à [Localité 6]", que "Haris Yachting l'a revendu avec ¿¿transport et préparation'' et donc conséquente mise à l'eau pour une ¿¿livraison à flot'' à la banque CM-CIC qui en est devenue le ¿¿présumé'' propriétaire" et que "Haris Yachting ne procédant pas à la préparation et à la mise à flot dans son chantier des Alpes-Maritimes a requis deux sous-traitants en Slovénie, le chantier Jahtni Yacht Center à [Localité 6] (Slovénie) et Nays Yachting pour la préparation locale du navire" ; qu'en énonçant qu'"aucun élément du dossier n'établit l'existence d'un contrat de sous-traitance entre la société Haris et un chantier naval pour la préparation et la mise à l'eau du bateau", sans se prononcer sur les chefs de conclusions précités établissant le contraire, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Chubb et Pantaenius ont rappelé que "l'expert judicaire a relevé que le manuel du propriétaire assujetti à une norme ISO 10.240/2004 n'a pas même été remis à M. [K]" ; qu'elles ont souligné que ce manuel, "qui doit être à bord et fait partie du navire, démontre que l'utilisation en sécurité du navire exige un nécessaire transfert de connaissances qui ne peut être acquis qu'après : - une ¿¿recette'' spécifique au navire, comportant l'essai de ses différents modes de propulsions, et de la totalité de ses accessoires et apparaux - que son acquéreur maitrise l'utilisation en toute sécurité de ses différents composants : thermiques électriques et électroniques, - qu'il maitrise les différentes consignes de sécurité du constructeur afin de pouvoir en assumer une utilisation en toute sécurité, et au plan de ses propres responsabilités" ; qu'elles ont ajouté que "l'effectivité de la ¿¿mise en route'' s'avère également impossible faute d'information de l'utilisateur sur ces consignes de sécurité réglementées" ; qu'elles en ont déduit que, "faute de réglages et de remise du manuel du propriétaire, Haris n'a en rien délivré le navire et transféré les risques complexes aux acquéreurs" et qu'ainsi "le procès-verbal du 19 août 2009 ne pouvant se substituer à ce manuel et aux opérations de prise en mains, ne peut donc valoir réception d'un voilier hauturier" ; qu'en estimant que la volonté des époux [K] de "prendre livraison du navire sans essai en mer ni recette" s'expliquait "par le fait que le navire avait reçu son certificat de conformité CE de la part du constructeur", sans se prononcer sur les éléments rapportés par les sociétés Chubb et Pantaenius établissant, nonobstant le certificat de conformité CE, l'absence de toute délivrance du navire litigieux et de transport de ses risques complexes aux époux [K], la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt retient que le prix du voilier a été intégralement payé le 27 août 2009, que, le 19 août 2009, la société Haris a signé avec M. et Mme [K] un procès-verbal de livraison et de prise en charge du bateau, le matériel livré étant stipulé conforme à sa désignation et sans aucune réserve de propriété, que la validité de ce document n'est pas remise en cause et qu'un écrit émanant de la société Haris explique que cette livraison est intervenue après que M. [K] avait décidé de confier la préparation du navire à un chantier local suivant une prestation réglée par lui. Il retient encore qu'aucun élément du dossier n'établit l'existence d'un contrat de sous-traitance entre la société Haris et le chantier naval, que dès le 24 août 2009, M. et Mme [K] ont procédé aux formalités administratives de francisation du voilier et ont souscrit une police d'assurance portant sur le navire à effet du 20 août 2009, soit le lendemain de la signature du procès-verbal de livraison.
8. De ces constatations et appréciations relevant de son appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, répondant aux conclusions prétendument omises visées dans les troisième et septième branches et qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée à la huitième branche que ses constatations rendaient inopérante, a pu déduire que M. et Mme [K] avaient manifesté leur volonté de prendre livraison du navire sans essais en mer ni recette et qu'ils étaient propriétaires du voilier au jour du sinistre, le 5 septembre 2009.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. La société Chubb European Group SE fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [K] la somme de 300 000 euros en réparation de leur préjudice immatériel résultant de la perte de chance de pouvoir naviguer sur leur voilier déclaré à l'état d'épave, alors « que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans ses écritures d'appel, la société Chubb a fait valoir que la police excluait de la garantie les "pertes et dommages indirects" (art. 6.1 de la police) et partant le trouble de jouissance dont les époux [K] demandaient l'indemnisation ; qu'en condamnant cependant l'assureur à indemniser leur préjudice immatériel à hauteur d'une somme de 300 000 euros au titre de leur "perte de chance de naviguer sur leur bateau", sans se prononcer sur la clause d'exclusion de ce préjudice invoquée devant elle, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. Après avoir relevé que M. et Mme [K] réclamaient, outre la réparation de leur préjudice matériel causé par l'assuré de la société Chub et résultant de la perte de leur navire, un préjudice distinct causé directement par la faute de la société Chubb qui, en faisant obstacle à la réparation de leur préjudice matériel, les avait privés de la chance de naviguer sur leur voilier dont la préparation était achevée lorsque le sinistre causant sa perte est survenu, la cour d'appel a pu accueillir cette dernière prétention sans procéder à la recherche visée au moyen que ses constatations rendaient inopérante.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. La société Chubb European Group SE fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [K] la somme de 379 868,64 euros en réparation de leur préjudice matériel, alors « que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que "l'assureur garantit les pertes et dommages subis par le navire assuré" ; qu'en condamnant l'assureur à indemniser les époux [K] à hauteur d'une somme de 7 224 euros en réparation du "préjudice matériel lié aux droits annuels de navigation qu'ils ont été contraints de régler depuis le sinistre", lequel n'était pourtant pas couvert par la police, garantissant seulement les "pertes et dommages subis par le navire", la cour d'appel a méconnu la loi des parties et a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 , alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
14. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
15. Pour condamner la société Chubb à payer à M. et Mme [K] la somme de 7 224 euros en réparation du préjudice matériel au titre des droits annuels de navigation qu'ils ont été contraints de régler depuis le sinistre, l'arrêt retient que M. et Mme [K] justifient avoir été contraints de régler depuis le sinistre la somme de 7 224 euros correspondant à des droits annuels de 612 euros par an.
16. En statuant ainsi, alors que la police d'assurance ne couvrait que les pertes et dommages subis par le navire assuré, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
19. Le contrat d'assurance conclu avec la société Chubb stipule que l'assureur garantit les pertes et dommages subis par le navire assuré. Dès lors, les droits annuels de navigation payés par M. et Mme [K] ne sont pas garantis par l'assureur.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Chubb European Group SE à payer à M. et Mme [K] la somme de 7 224 euros au titre des droits de navigation, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande de M. et Mme [K] en paiement de la somme de 7 224 euros au titre des droits de navigation ;
Condamne la société européenne Chubb European group SE, venant aux droits de sa filiale la société Ace Euripean Group Limited, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes et condamne la société européenne Chubb European group SE, venant aux droits de sa filiale la société Ace Euripean Group Limited, à payer à M. et Mme [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.