LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 octobre 2024
Cassation sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 999 FP-B
Pourvoi n° H 22-12.882
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 OCTOBRE 2024
La Régie des transports poitevins, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 22-12.882 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2022 par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (section : accidents du travail (A)), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit et de M. Cardini, conseillers référendaires, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Régie des transports poitevins, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, M. Cardini, conseiller référendaire co-rapporteur, Mmes Durin-Karsenty, Renault-Malignac, Isola, conseillers doyens, MM. Martin, Leblanc, Mmes Chauve, Vendryes, M. Pédron, M. Waguette, conseillers, Mmes Brouzes, Philippart, Chevet, Lerbret-Féréol, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, 12 janvier 2022), la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne (la caisse) a pris en charge au titre de la législation professionnelle la maladie de l'un des salariés (la victime) de la Régie des transports poitevins (l'employeur) et a fixé, par décision du 5 décembre 2013, à 12 % le taux d'incapacité permanente de la victime.
2. L'employeur a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de l'incapacité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de péremption de l'instance, alors « que selon l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; qu'une simple demande de renseignement adressée au greffe sur l'état d'avancement du dossier, sans demander la fixation de l'affaire, ne constitue pas une diligence de nature à faire progresser l'affaire susceptible d'interrompre le délai de péremption ; qu'au cas présent, la Régie des Transports Poitevins faisait valoir qu'aucune diligence n'avait été accomplie par la CPAM pendant plus de deux ans à compter du 18 octobre 2018 ; qu'en se bornant, pour écarter la péremption à relever que la CPAM avait fait une demande d'état d'avancement le 5 août 2020, la CNITAAT a statué par un motif impropre à caractériser une diligence de nature à faire progresser l'affaire et a violé le texte susvisé, ensemble l'article 390 du même code. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 386 du code de procédure civile, rendu applicable à la procédure devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (la Cour nationale) par l'article R. 143-20-1 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligence pendant deux ans.
5. Selon l'article R. 143-26 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à son abrogation par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, la procédure devant la Cour nationale est orale. Toutefois, les parties qui adressent à la Cour nationale un mémoire dans les conditions prévues par l'article R. 143-25 sont dispensées de se présenter à l'audience conformément à l'article 446-1 du code de procédure civile.
6. Il résulte des articles R. 143-27 et R. 143-28-1 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction antérieure à leur abrogation par le décret précité, que lorsque l'affaire n'est pas en état d'être jugée, le président de la section à laquelle elle a été confiée en assure l'instruction et que, dans ce cas, une ordonnance de clôture, mentionnant la date de l'audience, est notifiée à chacune des parties.
7. En l'absence d'instruction, les parties sont, en application de l'article R. 143-28-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à son abrogation par le décret précité, convoquées à l'audience par le secrétariat de la Cour nationale. La convocation les informe de la possibilité qu'elles ont d'y présenter des observations orales.
8. La Cour de cassation a jugé (2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n° 19-21.401, publié au Bulletin), d'une part, qu'à défaut d'un texte spécial subordonnant l'application de l'article 386 du code de procédure civile à une injonction particulière du juge, la péremption est constatée lorsque les parties n'ont accompli aucune diligence dans un délai de deux ans, quand bien même le juge n'en aurait pas mis à leur charge, d'autre part, que les pouvoirs du président de la section, prévus à l'article R. 143-27 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, de mettre en état l'affaire et le rôle du secrétaire général de la Cour nationale, prévu à l'article R. 143-25 du même code, alors en vigueur, qui assure la communication des mémoires et des pièces entre les parties, ne privent pas ces dernières de la faculté d'effectuer des diligences pour accélérer le cours de l'instance, et notamment de demander la fixation de l'affaire à une audience.
9. Or, en matière de procédure d'appel avec représentation obligatoire, par quatre arrêts rendus le 7 mars 2024 (2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-23.230, publié au Bulletin ; 2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-19.475, publié au Bulletin ; 2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-19.761, publié au Bulletin ; 2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-20.719, publié au Bulletin), la Cour de cassation a jugé que lorsque le conseiller de la mise en état n'a pas été en mesure de fixer, avant l'expiration du délai de péremption de l'instance, la date de la clôture ainsi que celle des plaidoiries, il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de la date des débats à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption et qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière.
10. Dès lors, il y a lieu de reconsidérer la jurisprudence, rappelée au paragraphe 8, qui concerne la procédure orale applicable devant la Cour nationale.
11. Il résulte des dispositions précitées, interprétées à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'à moins que les parties ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n'ont, dès lors, pas de diligences à accomplir en vue de l'audience à laquelle elles sont convoquées par le secrétariat de la Cour nationale.
12. En particulier, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l'affaire à une audience à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif.
13. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui ne mentionne pas qu'une diligence particulière avait été mise à la charge des parties par la juridiction, se trouve légalement justifié.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à inopposabilité de la décision attributive de rente, alors « que selon l'article R. 143-8 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, la caisse est tenue de transmettre au secrétariat du tribunal les documents médicaux concernant l'affaire et d'en adresser copie au requérant ou, le cas échéant, au médecin qu'il a désigné ; que cette obligation porte sur les documents qu'elle détient en vertu d'une dérogation au secret médical prévue par la loi, tels que le certificat médical initial, les certificats de prolongation, le certificat de guérison ou de consolidation, et l'avis du service du contrôle médical ; que le non respect par la CPAM de son obligation de communication rend la décision fixant le taux d'incapacité permanente partielle inopposable à l'employeur ; qu'au cas présent, la Régie des Transports Poitevins soulignait que la caisse n'avait pas adressé, avant tout débats devant le tribunal de l'incapacité, l'ensemble des certificats médicaux, notamment les différents certificats médicaux de prolongation ainsi que le certificat médical de consolidation, ni l'avis du service du contrôle médical, de sorte que la décision de la CPAM fixant un taux d'incapacité permanente lui était inopposable ; que, pour écarter ce moyen, la CNITAAT s'est bornée à énoncer que la CPAM avait transmis à l'employeur le certificat médical initial et que le service médical avait adressé au médecin désigné par l'employeur son rapport médical, de sorte que l'employeur avait bénéficié d'un recours effectif et n'était pas fondé à reprocher à la caisse un manquement à son obligation de communication des pièces médicales ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs inopérants, sans constater la communication par la caisse des certificats médicaux de prolongation, du certificat médical de consolidation et de l'avis du médecin conseil, dont elle disposait en vertu d'une dérogation au secret médical, la CNITAAT n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article R. 143-8 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, ensemble les articles L. 441-6, R. 441-7 et R. 434-31 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 143-8 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2003-614 du 3 juillet 2003, alors en vigueur :
15. Selon ce texte, la caisse est tenue de transmettre au secrétariat du tribunal du contentieux de l'incapacité les documents médicaux concernant l'affaire et d'en adresser copie au requérant ou, le cas échéant, au médecin qu'il a désigné.
16. Cette obligation porte sur les documents qu'elle détient en vertu d'une dérogation au secret médical prévue par la loi, tels que le certificat médical initial, les certificats de prolongation, le certificat de guérison ou de consolidation et l'avis du service du contrôle médical.
17. Pour rejeter le recours de l'employeur, ayant constaté que la caisse avait produit en première instance le certificat médical initial et que le service du contrôle médical avait communiqué à l'expert le rapport d'incapacité permanente, la Cour nationale retient que ce rapport a permis au médecin consultant de donner son avis sur le taux d'incapacité permanente de la victime, de sorte que l'employeur a bénéficié d'un recours effectif et qu'il n'est, dès lors, pas fondé à reprocher à la caisse un manquement à son obligation de communication des pièces.
18. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la caisse n'avait adressé au secrétariat du tribunal que le certificat médical initial, la Cour nationale a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
21. Il résulte des paragraphes 15, 16 et 18 que la décision de la caisse du 5 décembre 2013 doit être déclarée inopposable à l'employeur.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 janvier 2022, entre les parties, par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
INFIRME le jugement rendu le 29 mai 2017 par le tribunal du contentieux de l'incapacité de Poitiers, sauf en ce qu'il déclare le recours recevable ;
DIT que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne du 5 décembre 2013 est inopposable à la Régie des transports poitevins.
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes, tant au titre de la procédure suivie devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail que de celle suivie devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du dix octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.