LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 novembre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 609 FS-B
Pourvoi n° F 21-14.901
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 NOVEMBRE 2024
La société Dunkerque Bonded stores, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° F 21-14.901 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant :
1°/ à la directrice générale des douanes et droits indirects, domiciliée [Adresse 1],
2°/ au directeur chargé de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières,
3°/ à la receveuse régionale des douanes et droits indirects,
tous deux domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, sept moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Dunkerque Bonded stores, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la directrice générale des douanes et droits indirects, du directeur chargé de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et de la receveuse régionale des douanes et droits indirects, et l'avis de M. Bonthoux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, Mme Graff-Daudret, Mme Daubigney, Mme Ducloz, M. Alt, Mme de Lacaussade, M. Thomas, M. Chazalette, Mme Gouarin, conseillers, Mme Vigneras, Mme Lefeuvre, Mme Tostain, Mme Buquant, conseillers référendaires, M. Bonthoux, avocat général, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mars 2021) et les productions, la société Dunkerque Bonded Stores (la société DBS) exerce une activité d'entrepositaire agréé pour la réception, le stockage, et l'expédition de boissons alcooliques en suspension de droits d'accise, pour le compte de ses clients. A ce titre, elle établit un document administratif électronique (DAE) à l'expédition de ses marchandises, l'entrepositaire destinataire émettant un document d'apurement à la réception.
2. L'administration des douanes a diligenté un contrôle auprès de la société DBS au titre des exercices 2011 et 2012 et lui a, le 26 juillet 2012, notifié un procès-verbal d'intervention établi sur le fondement de l'article L. 34 du livre des procédures fiscales.
3. Estimant que plusieurs sociétés étrangères situées dans l'Union européenne, déclarées comme destinataires de marchandises expédiées par la société DBS, étaient fictives ou n'avaient jamais reçu lesdites marchandises, elle a, les 2 mai 2016, 2 août 2016 et 16 septembre 2016, notifié trois avis préalables de taxation, pour un redressement total définitif de 1 303 189 euros portant sur les droits fraudés. Ces avis préalables de taxation ont tous été contestés par la société DBS.
4. Le 24 novembre 2016, le redressement a été confirmé par procès-verbal de notification d'infractions, et un avis de mise en recouvrement (AMR) a été émis, le 12 décembre 2016, pour un montant de 1 303 189 euros de droits fraudés.
5. Après le rejet de sa contestation, la société DBS a assigné l'administration des douanes en annulation de l'AMR et de la décision de rejet.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, et cinquième moyens, et sur le sixième moyen, pris en sa première branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. La société DBS fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes et de confirmer l'AMR du 12 décembre 2016 et la décision de rejet de la réclamation, alors « que la notification d'un procès-verbal n'interrompt la prescription que dans la limite du montant des droits fraudés ou compromis, dont l'omission est constatée et à l'égard des seuls impôts et taxes qui y figurent ; qu'en l'espèce, la société DBS faisait valoir que selon l'article L. 178 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux impositions dues avant le 1er janvier 2012, le délai de reprise de l'administration ne s'exerçait que jusqu'à l'expiration de la première année suivant celle au cours de laquelle se situe le fait générateur et que pour l'année 2011, ce délai d'un an n'avait été interrompu que par un procès-verbal en date du 26 juillet 2012, mais seulement pour les droits prétendument dus au titre des constatations diligentées chez DBS (environ 6 000 euros) ; qu'en se bornant à affirmer que le procès-verbal du 26 juillet 2012 était régulier et avait valablement interrompu la prescription, de sorte que les impositions dues au titre de l'année 2011 ne sont pas prescrites, au lieu de rechercher quels étaient les droits dont l'omission était visée dans le procès-verbal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 178 du Livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte de l'application combinée des articles L. 26 et L. 34 du livre des procédures fiscales que les agents de l'administration des douanes peuvent intervenir dans les locaux professionnels des entrepositaires agréés, pour y procéder à des inventaires, aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et généralement aux contrôles qualitatifs et quantitatifs prévus par la législation des contributions indirectes. Chaque intervention fait l'objet d'un procès-verbal relatant les opérations effectuées.
9. Selon l'article L. 189 du livre des procédures fiscales, la prescription de l'article L. 178 du même livre est interrompue par la notification d'un procès-verbal.
10. Il en résulte que l'effet interruptif de prescription attaché à un procès-verbal d'intervention établi par les agents des douanes agissant sur le fondement de l'article L. 34 du livre des procédures fiscales en vue de procéder aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt ne se limite pas aux seuls droits fraudés ou compromis dont l'omission a été constatée dans ce procès-verbal, mais s'étend à l'ensemble des faits au sujet desquels des justifications ou des précisions ont été demandées au contribuable par les agents des douanes dès lors que ces faits se rapportent à ces mêmes impositions.
11. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
12. La société DBS fait le même grief à l'arrêt, alors « que selon l'article 302 P, III, du code général des impôts, l'administration dispose d'un délai de trois ans à compter de la date d'expédition figurant sur le document d'accompagnement, pour mettre en recouvrement les droits consécutifs à une infraction commise en France ; que ce délai de trois ans est un délai préfix ; qu'en l'espèce, ainsi que le faisait valoir l'exposante les DAE dont la régularité de l'apurement est contesté par l'administration sont tous antérieurs de plus de trois ans à l'avis de mise en recouvrement du 12 décembre 2016 ; qu'en décidant que le délai de trois ans de l'article 302 P, III, du code général des impôts avait été interrompu par les procès-verbaux notifiés à la société DBS, la cour d'appel a violé ce texte. »
Réponse de la Cour
13. Aux termes du premier alinéa de l'article 302 P, III, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, l'administration dispose d'un délai de trois ans à compter de la date d'expédition figurant sur le document d'accompagnement pour mettre en recouvrement les droits consécutifs à une infraction commise en France.
14. Ce texte, issu de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992, transpose en droit interne les dispositions de l'article 20, paragraphe 4, de la directive 92/12/CEE du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, reprises à l'article 10, paragraphe 5, de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE.
15. Selon l'article 10, paragraphe 5, de la directive 2008/118 précitée, lorsqu'une irrégularité est réputée avoir été commise au sens du paragraphe 4 du même article, si, avant l'expiration d'une période de trois ans à compter de la date à laquelle le mouvement a débuté, l'Etat membre dans lequel l'irrégularité a réellement été commise vient à être déterminé, les autorités compétentes de cet Etat informent les autorités compétentes de l'Etat membre dans lequel les droits d'accise ont été prélevés, qui les remboursent ou les remettent dès que la preuve du prélèvement des droits d'accise dans l'autre État membre a été fournie.
16. Il en résulte que le délai de trois ans, prévu au premier alinéa de l'article 302 P, III, du code général des impôts, courant à compter de la date d'expédition figurant sur le document d'accompagnement, s'applique au recouvrement par la France de droits d'accise exigibles, lorsqu'elle est l'Etat membre où l'irrégularité a réellement été commise et que ces droits ont déjà été prélevés dans un autre Etat membre où l'irrégularité est réputée avoir été commise.
17. Ce délai n'est donc pas applicable à l'espèce qui concerne des droits d'accise faisant l'objet d'une reprise par l'administration à la suite d'une irrégularité réputée avoir été commise en France.
18. En conséquence, le moyen est inopérant.
Sur le sixième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
19. La société DBS fait le même grief à l'arrêt, alors « que selon l'article 10, § 2, de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise lorsque l'irrégularité a été constatée au cours d'un mouvement de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, entraînant leur mise à la consommation conformément à l'article 7 paragraphe 2 point a), et qu'il n'est pas possible de déterminer le lieu où l'irrégularité a été commise, celle-ci est réputée avoir été commise dans l'Etat membre et au moment où elle a été constatée ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué, comme des pièces de la procédure, que les irrégularités ont été commises dans les pays de destination, en Allemagne et en République Tchèque, où des entrepositaires fictifs ont réussi à se faire agréer et ont émis des apurements également qualifiés de fictifs ; qu'en décidant que les droits d'accises pouvaient néanmoins être réclamés dans l'Etat membre d'expédition, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
20. Ayant, par motifs adoptés, constaté, en premier lieu, que la société tchèque Alliconect ne disposait pas d'un entrepôt fiscal et que les marchandises de la société DBS n'avaient jamais été réceptionnées, en deuxième lieu, que la société allemande T&U n'avait pas transmis la déclaration fiscale correspondant aux expéditions de la société DBS et qu'aucun lieu de livraison n'avait été déterminé, en troisième lieu, que la société allemande Weinbar Florence n'avait pas la possibilité de recevoir les quantités concernées compte tenu de sa taille, en quatrième lieu, que les locaux de la société allemande Getranke étaient vides et qu'il n'existait pas de comptabilité de livraisons de bières, l'arrêt énonce à bon droit qu'en application de l'article 10, paragraphe 4, de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CE, lorsqu'aucune irrégularité n'a été détectée au cours du mouvement de produits, qui ne sont pas arrivés à destination, l'irrégularité est réputée commise dans l'Etat membre d'expédition.
21. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que l'Etat membre d'expédition, en l'occurrence la France, était l'Etat membre compétent pour recouvrer les droits d'accise.
22. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le septième moyen
Enoncé du moyen
23. La société DBS fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'entrepositaire agréé qui a expédié en suspension de droits des produits soumis à accises est déchargé de sa responsabilité par l'apurement de régime suspensif lorsqu'il produit le document d'accompagnement rempli par le destinataire ; qu'en l'espèce, en refusant toute valeur aux apurements des DAE, la cour d'appel a violé l'article 24 de la directive n° 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008, l'article 302 P du code général des impôts et l'article 111 H quaterdecies de l'annexe III du code général des impôts ;
2°/ que le caractère fictif des destinataires ne rend pas fictif les apurements des DAE résultant des décisions administratives des Etats membres de destination, et ne saurait être imputé à l'entrepositaire agréé qui a expédié les produits sauf à établir sa participation à la fraude ; qu'en affirmant que les apurements étaient fictifs, et que la société DBS était dans l'impossibilité de justifier la réalité de la livraison et de la réception de la marchandise, la cour d'appel qui s'est déterminée par des motifs erronés et inopérants, a encore violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
24. D'une part, après avoir rappelé qu'en vertu des dispositions de l'article 302 P du code général des impôts, dans sa rédaction applicable, l'entrepositaire agréé est déchargé de sa responsabilité par l'apurement du régime suspensif, par l'obtention de l'accusé de réception ou du rapport d'exportation établi dans les conditions et selon les modalités fixées par voie réglementaire, l'arrêt énonce à bon droit que cette règle ne s'applique qu'à la condition que les apurements ne soient pas fictifs.
25. D'autre part, la Cour de justice de l'Union Européenne ayant dit pour droit que la responsabilité de l'entrepositaire agréé expéditeur ne peut être dégagée que par la preuve de la prise en charge des produits par le destinataire (arrêt du 24 février 2021, Silcompa, C-95/19), l'arrêt n'encourt pas la critique formulée par la seconde branche, dès lors que, après avoir relevé que le contrôle opéré par l'administration des douanes avait révélé que la société DBS avait expédié des marchandises vers des pays de l'Union européenne en déclarant des sociétés destinataires qui étaient en réalité fictives, il retient que la défaillance de la société DBS est établie en raison de son incapacité à justifier la réalité des livraisons alléguées et de la réception des marchandises.
26. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Dunkerque Bonded Stores aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dunkerque Bonded Stores ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Labat, greffier, qui assisté au prononcé de l'arrêt.