LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 novembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 610 F-D
Pourvoi n° H 22-24.543
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 NOVEMBRE 2024
1°/ M. [Y] [E],
2°/ Mme [Z] [H], épouse [E],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° H 22-24.543 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de M. [E] et de Mme [H], épouse [E], la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas, et l'avis de M. Bonthoux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2022), la société Ambulance 17 (la société), ayant pour activité le transport sanitaire de personnes, a été constituée le 20 septembre 2013, avec pour gérant et associé unique, M. [E].
2. Par un acte du 30 décembre 2013, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à la société un prêt de 280 000 euros, garanti par le nantissement du fonds de commerce exploité par la société ainsi que par les cautionnements solidaires de M. [E] et de Mme [H], son épouse (M. et Mme [E]), dans la limite de 80 500 euros chacun.
3. Par un acte du 5 mars 2015, M. [E] a cédé ses parts sociales à Mme [I].
4. Le 7 juillet 2015, la banque a résilié ses concours accordés à la société, laquelle a été mise en liquidation judiciaire le 13 avril 2016.
5. Le 9 octobre 2017, la banque a assigné en paiement M. et Mme [E], qui ont demandé à être déchargés de leurs engagements de caution sur le fondement de l'article 2314 du code civil.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [E] font grief à l'arrêt de condamner M. [E] à payer à la banque la somme de 65 714,55 euros et de condamner Mme [E] à payer à la banque la somme de 60 254,50 euros, chacun avec intérêts au taux légal et dans la limite de la somme de 80 500 euros, alors « que la déchéance prévue par l'article 2314 du code civil est encourue lorsque l'efficacité de la sûreté dans laquelle la caution aurait pu être subrogée est compromise par la faute du créancier ; que pour refuser de décharger les époux [E], l'arrêt retient qu'alors que le nantissement prévu au contrat de prêt a effectivement été inscrit le 10 janvier 2014, c'est vainement que les époux [E] reprochent à la société BNP Paribas le défaut de poursuites diverses non prévues qu'il est loisible au créancier d'exercer ou non étant ajouté qu'ils ne démontrent pas l'effectivité potentielle desdites mesures" ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la banque, en s'abstenant d'exercer en temps utile ses droits de créancier nanti sur le fonds de commerce, n'avait pas nui gravement aux intérêts des cautions, la valeur du fonds nanti ayant été irrémédiablement dépréciée par l'effet de la liquidation judiciaire de la société Ambulance 17, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 2314 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :
7. Selon ce texte, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
8. Pour refuser de décharger les cautions, l'arrêt retient que, dès lors que le nantissement prévu au contrat de prêt a effectivement été inscrit le 10 janvier 2014, c'est vainement que M. et Mme [E] reprochent à la banque le défaut de poursuites diverses, non prévues, qu'il est loisible au créancier d'exercer ou non.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en s'abstenant d'exercer en temps utile ses droits de créancier nanti sur le fonds de commerce, la banque n'avait pas fait perdre aux cautions un droit qui aurait pu leur bénéficier par subrogation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
10. M. et Mme [E] font le même grief à l'arrêt, alors « qu'il appartient au créancier, pour ne pas encourir la déchéance de ses droits contre la caution, d'établir que la perte d'un droit préférentiel a causé à celle-ci un préjudice inférieur au montant de son engagement ou ne lui en a causé aucun ; qu'en retenant, pour refuser de prononcer la décharge des époux [E], qu'alors que le nantissement prévu au contrat de prêt a effectivement été inscrit le 10 janvier 2014, c'est vainement que les époux [E] reprochent à la société BNP Paribas le défaut de poursuites diverses non prévues qu'il est loisible au créancier d'exercer ou non étant ajouté qu'ils ne démontrent pas l'effectivité potentielle desdites mesures", la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 2314 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1315, devenu 1353, et 2314, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, du code civil :
11. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'il incombe au créancier de prouver que la perte du droit préférentiel invoquée par la caution n'a causé aucun préjudice à celle-ci.
12. Pour refuser de décharger les cautions, l'arrêt retient encore que M. et Mme [E] ne démontrent pas l'effectivité potentielle des mesures qu'ils reprochent à la banque de ne pas avoir mises en oeuvre.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [E] à payer à la société BNP PARIBAS la somme de 65 714,55 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2017 sur la somme de 60 254,50 euros dans la limite de la somme de 80 500 euros, en ce qu'il condamne Mme [H], épouse [E], à payer à la société BNP PARIBAS la somme de (241 018,03 / 4) = 60 254,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2017 dans la limite de la somme de 80 500 euros, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribas et la condamne à payer à M. [E] et Mme [H], épouse [E], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Labat, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.