LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 novembre 2024
Rejet
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1109 F-D
Pourvoi n° S 23-17.679
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 NOVEMBRE 2024
M. [G] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 23-17.679 contre l'arrêt rendu le 7 avril 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans le litige l'opposant à la société H. Reinier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations écrites de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [H], de la SARL Boré, Salve, de Bruneton et Mégret, avocat de la société H. Reinier, après débats en l'audience publique du 2 octobre 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Deltort, conseiller et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 avril 2023), M. [H] a été engagé en qualité d¿ouvrier-nettoyeur, le 1er décembre 2013, par la société H. Reinier.
2. Le salarié a été licencié le 14 août 2017.
3. Il a saisi, le 21 février 2018, la juridiction prud'homale de demandes en paiement de sommes au titre de la rupture et de l'exécution de son contrat de travail.
Sur les premier et troisième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur la demande de saisine préjudicielle de la Cour de justice de l'Union européenne
Enoncé de la question préjudicielle
5. Le salarié demande que la question préjudicielle suivante soit transmise à la Cour de justice de l'Union européenne :
« La période d'attente au cours de laquelle un travailleur exerçant sa prestation de travail dans un train en circulation doit rester physiquement présent dans le lieu de destination de ce train, en tenue de travail avec l'obligation de répondre aux appels téléphoniques de son employeur, afin de prendre le train de retour pour y exercer son second service doit-elle être qualifiée de "temps de travail" au sens de l'article 2 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ? »
Réponse de la Cour
6. D'abord, par arrêt du 3 octobre 2000, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit : « Le temps de garde qu'effectuent les médecins des équipes de premiers soins selon le régime de la présence physique dans l'établissement de santé, doit être considéré dans sa totalité comme du temps de travail et, le cas échéant, comme des heures supplémentaires au sens de la directive 93/104. S'agissant des gardes selon le système qui veut que lesdits médecins soient accessibles en permanence, seul le temps lié à la prestation effective de services de premiers soins doit être considéré comme du temps de travail » (CJUE 3 octobre 2000, Simap, C-303/98).
7. Ensuite, par arrêt du 9 septembre 2003, la Cour de Justice de l'Union européenne a dit pour droit :
« 1°) La directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il convient de considérer un service de garde ("bereitschaftsdienst") qu'un médecin effectue selon le régime de la présence physique dans l'hôpital comme constituant dans son intégralité du temps de travail au sens de cette directive, alors même que l'intéressé est autorisé à se reposer sur son lieu de travail pendant les périodes ou ses services ne sont pas sollicités, en sorte que celle-ci s'oppose à la réglementation d'un Etat membre qui qualifie de temps de repos les périodes d'inactivité du travailleur dans le cadre d'un tel service de garde.
2° ) La directive 93/104 doit également être interprétée en ce sens que dans des circonstances telles que celles au principal, elle s'oppose à la réglementation d'un Etat membre qui, s'agissant du service de garde effectué selon le régime de la présence physique dans l'hôpital, a pour effet de permettre, le cas échéant au moyen d'une convention collective ou d'un accord d'entreprise fondé sur une telle convention, une compensation des seules périodes de garde pendant lesquelles le travailleur a effectivement accompli une activité professionnelle » (CJCE, 9 septembre 2003, Jaeger, C-151/02).
8. Enfin, la Cour de justice de l'Union européenne juge que relève de la notion de « temps de travail effectif », au sens de la directive 2003/88, l'intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d'astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d'une période de garde déterminée n'atteignent pas un tel degré d'intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d'une telle période constitue du « temps de travail », aux fins de l'application de la directive 2003/88 (CJUE 9 mars 2021, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, points 37 et 38).
9. Dès lors, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ne laissant aucun doute quant à l'interprétation de l'article 2 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle proposée par le salarié.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que les périodes de travail et de temps d'attente ne constituent pas du temps de travail effectif et de le débouter de ses demandes au titre de rappels d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, alors :
« 1°/ que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; que la cour de justice de l'Union européenne juge que relève de la notion de "temps de travail effectif", au sens de la directive 2003/88/CE du parlement européen et du conseil du 4 novembre 2003, l'intégralité des périodes de garde au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts (CJUE 9 mars 2021, C-344/19, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, points 37 et 38) ; qu'elle a aussi jugé que le facteur déterminant pour considérer que les éléments caractéristiques de la notion de "temps de travail", au sens de la directive 2003/88, sont présents est le fait que le travailleur est contraint d'être physiquement présent sur le lieu déterminé par l'employeur et de s'y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir ses services en cas de besoin ; qu'en s'abstenant de rechercher si, durant les périodes d'attente entre deux trains, l'obligation faite au salarié, ouvrier nettoyeur spécialisé, de rester physiquement dans la ville de destination du train aller dans lequel il a reçu l'ordre d'effectuer sa prestation de travail afin de prendre le train de retour pour y exécuter son second service de nettoyage ainsi que la contrainte de devoir, sous peine d'avertissement, répondre aux appels téléphoniques de son employeur pour recevoir des informations et consignes, ajoutée encore à l'obligation de conserver sa tenue de travail durant ces périodes généraient des contraintes qui, prises dans leur ensemble, étaient d'une intensité telle qu'elles affectaient objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts faisant de ses périodes un temps de travail effectif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-1 du code du travail et de l'article 2 de la directive 2003/88/CE du parlement européen et du conseil du 4 novembre 2003 ;
2°/ que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en s'abstenant de rechercher si le fait que M. [H], arrivé dans la gare de destination du train aller dans lequel il avait exécuté son premier service de nettoyage, était contraint d'attendre sur place le départ du prochain train afin d'y réaliser son service de l'après-midi, l'obligation qui lui était de répondre aux appels téléphoniques de son employeur afin de recevoir des informations et consignes et la contrainte de devoir conserver sa tenue de travail durant les périodes d'attente lui interdisaient de vaquer à ses occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a constaté qu'il ne résultait pas des seules notes de service n°7 et 11 que le salarié avait été soumis, au cours des périodes d'attente entre deux trains (période de transfert), à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles. Elle a ajouté que le fait de devoir répondre aux appels de l'employeur sous peine, le cas échéant, d'avertissement, et en tenue de travail, n'empêchait pas le salarié de vaquer librement à des occupations personnelles.
12. En l'état de ses constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.