LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 23-80.152 F-D
N° 01330
GM
6 NOVEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 NOVEMBRE 2024
M. [E] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 22 septembre 2022, qui, notamment, pour fraude fiscale, abus de biens sociaux et escroquerie, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement, une interdiction professionnelle définitive, l'interdiction définitive de gérer, cinq ans d'inéligibilité, une confiscation, a ordonné la révocation d'un sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [E] [O], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction départementale des finances publiques de Haute-Savoie, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 8 avril 2022, M. [E] [O] a été déclaré coupable notamment du chef de fraude fiscale en récidive, pour avoir volontairement et frauduleusement soustrait la société Cabinet [E] [O], dont il était le gérant, à l'établissement et au paiement de la TVA, et condamné à deux ans d'emprisonnement, la révocation totale d'une peine d'emprisonnement avec sursis prononcée antérieurement à son encontre, une interdiction définitive de gérer, une privation de son droit d'éligibilité pour une durée de cinq ans ainsi que la confiscation en valeur des sommes saisies au cours de l'information judiciaire.
3. Sur l'action civile, le tribunal a, notamment, déclaré recevable la constitution de partie civile de l'administration fiscale et dit que M. [O] sera tenu solidairement avec la société Cabinet [E] [O] au paiement des impôts fraudés et des pénalités, en application de l'article 1745 du code général des impôts.
4. M. [O], le ministère public et l'administration fiscale ont formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, les deuxième et troisième moyens
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [O] à une peine d'emprisonnement délictuel de deux ans, a ordonné la révocation totale de la peine de dix-huit mois d'emprisonnement délictuel avec sursis prononcée par le tribunal correctionnel d'Annecy le 5 février 2013, l'a condamné, à titre de peine complémentaire, à une interdiction définitive d'exercer la profession d'expert-comptable et de gérer, a ordonné la confiscation des sommes saisies au cours de l'information judiciaire et a dit qu'il sera tenu solidairement avec la société Cabinet [E] [O] au paiement des impôts fraudés et des pénalités y afférentes en application de l'article 1745 du code général des impôts, alors :
« 1°/ que la condamnation, pour fraude à la TVA, du dirigeant d'une personne morale assujettie à s'acquitter solidairement avec cette dernière, non seulement du paiement de l'impôt fraudé, mais également des pénalités fiscales y afférentes, constitue une sanction de nature pénale au sens des articles 2 de la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes du 26 juillet 1995, 273 de la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que la condamnation de M. [O] à s'acquitter solidairement avec la société Cabinet [E] [O] des impôts fraudés - dont la TVA - et des pénalités y afférentes n'avait pas à être incluse dans l'appréciation de la proportionnalité des sanctions pénales prononcées à son encontre au titre de la fraude fiscale, que cette solidarité ne constituait pas une peine au sens du droit conventionnel, la cour d'appel a méconnu les texttes précités et les articles 1741 et 1745 du code général des impôts ;
2°/ que sauf à méconnaître le principe de proportionnalité, la juridiction nationale doit veiller à ce que la sévérité de l'ensemble des sanctions imposées, qu'elles soient de même nature ou de natures différentes, n'excède pas la gravité de l'infraction constatée ; qu'en ne s'assurant pas que l'ensemble des sanctions prononcées à l'encontre de M. [O] n'excèdent pas la gravité de l'infraction de fraude fiscale constatée, la cour d'appel a méconnu le principe de proportionnalité, et ainsi les articles 2 de la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes du 26 juillet 1995, 273 de la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et 1741 et 1745 du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer le prévenu tenu solidairement avec la société redevable de l'impôt au paiement des impôts fraudés et des pénalités en application de l'article 1745 du code général des impôts, l'arrêt attaqué énonce que cette solidarité, ne constituant pas une peine au sens du code pénal ou du droit conventionnel, ne saurait être incluse dans l'appréciation de la proportionnalité entre les faits commis par M. [O] et les sanctions pénales prononcées à son encontre notamment au titre de la fraude fiscale.
8. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
9. Le droit garanti à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut être invoqué que si le prévenu à l'encontre duquel le juge envisage de prononcer une ou plusieurs sanctions pénales pour fraude fiscale s'est déjà vu infliger, pour les mêmes faits, une sanction administrative définitive de nature pénale.
10. Ces dispositions conventionnelles ne peuvent ainsi s'appliquer à un prévenu qui ne justifie pas avoir fait l'objet, à titre personnel, antérieurement à sa condamnation pénale, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, dès lors que la rectification d'imposition assortie de majorations n'a concerné que la société qu'il dirige.
11. En outre, la solidarité fiscale prévue à l'article 1745 du code général des impôts, qui constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public et ne poursuit pas de finalité répressive, ne constitue pas une sanction de nature pénale au sens des dispositions conventionnelles invoquées.
12. Il s'en déduit que l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'applique pas au prononcé d'une mesure de solidarité fiscale à l'encontre du prévenu, dirigeant de société, lorsque celle-ci est la redevable légale de l'impôt.
13. L'interprétation correcte du droit de l'Union s'imposant avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, la question préjudicielle portant sur le point de savoir si le principe de proportionnalité et les articles 50 et 52 de ladite Charte s'opposent à une réglementation nationale qui n'assure pas, dans les cas du cumul d'une sanction pécuniaire prononcée au titre de la responsabilité solidaire du prévenu et d'une peine privative de liberté, par des règles claires et précises, que l'ensemble des sanctions infligées n'excède pas la gravité de l'infraction constatée n'est pas utile.
14. Il en résulte que le juge répressif n'était pas tenu de constater le montant des pénalités fiscales appliquées, ni de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction commise par le prévenu.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.