LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 24-82.023 F-B
N° 01331
GM
6 NOVEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 NOVEMBRE 2024
Mme [J] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 21 février 2024, qui, dans l'information suivie contre elle du chef de blanchiment aggravé, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 27 mai 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [J] [H], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une information a été ouverte le 27 mai 2019 des chefs, notamment, d'escroquerie en vue de l'obtention d'une allocation ou prestation indue, exécution d'un travail dissimulé, blanchiment aggravé, à la suite d'une plainte déposée par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône contre M. [G] [E].
3. La saisine du juge d'instruction a été étendue à des faits de blanchiment aggravé commis le 11 mai 2015 par réquisitoire supplétif du 2 octobre 2019, puis, par réquisitoire du 19 février 2021, à des faits commis entre le 23 mai 2014 et le 25 novembre 2020, relatifs au remploi par [F] [D] des fonds provenant de la cession de la maison dont il était propriétaire avec sa compagne, Mme [J] [H].
4. Après que des investigations financières ont été diligentées afin d'éclairer les circonstances dans lesquelles Mme [H] a procédé à un virement de 250 000 euros les 14 et 15 mai 2014, portant sur les fonds qu'elle avait perçus de la vente immobilière, elle a été placée en garde à vue le 29 juin 2021 et son domicile perquisitionné.
5. Par réquisitoire du 1er juillet 2021, le juge d'instruction a été supplétivement saisi de faits de blanchiment en bande organisée commis entre le 30 avril et le 22 mai 2014.
6. Mme [H] a été mise en examen le même jour du chef de blanchiment en bande organisée en raison d'une opération réalisée les 14 et 15 mai 2014, consistant en un virement de 250 000 euros de son compte bancaire vers celui d'une tierce personne.
7. Elle a saisi la chambre de l'instruction d'une demande d'annulation de pièces.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses première et quatrième branches
8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation déposée le 4 décembre 2023 par la demanderesse au pourvoi et a renvoyé le dossier de la procédure au juge d'instruction pour poursuite de l'information, alors :
« 2°/ que lorsque des faits non visés au réquisitoire sont portés à la connaissance du juge d'instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes ou les procès-verbaux qui les constatent ; que si le juge d'instruction peut, avant toute communication au procureur de la République, consigner la substance des faits nouveaux dans un procès-verbal et le cas échéant, effectuer d'urgence des vérifications sommaires pour en apprécier la vraisemblance, il ne peut sans excéder ses pouvoirs, procéder à des investigations approfondies ou présentant un caractère coercitif, sur des faits antérieurs à ceux compris dans sa saisine, dont ils ne sont pas le prolongement ; qu'en se fondant sur des arrêts dérogatoires au principe de la saisine in rem propres à la lutte contre le trafic de stupéfiants, pour rejeter le moyen de nullité soulevé et énoncer que l'« établissement d'une réquisition », « la réalisation de surveillances téléphoniques », « l'interception de conversations téléphoniques, leur retranscription et leur exploitation », ne constituent pas « un acte de coercition prohibé » et ne sont pas « proscrites pas nature », « y compris si cette mesure a duré plusieurs mois », et en jugeant que « dès lors, l'ensemble des investigations diligentées sur commission rogatoire - pour lesquelles il n'a pas été fait usage de mesures coercitives, telles qu'interpellation, garde à vue ou mandat - ne saurait faire l'objet d'une annulation », quand les faits de l'espèce concernaient non seulement une prétendue opération de blanchiment et non pas une infraction à la législation sur les stupéfiants, mais encore un fait antérieur et distinct de ceux visés dans la saisine du magistrat instructeur, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 80, 81 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité des investigations bancaires et fiscales concernant Mme [H] tiré du dépassement par le juge d'instruction de sa saisine, l'arrêt attaqué énonce que les investigations réalisées sur les comptes bancaires du couple [D]-[H] relèvent de la saisine du juge d'instruction en ce qu'elles font suite à un réquisitoire supplétif délivré le 2 octobre 2019 du chef de blanchiment aggravé, relatif à un virement suspect de la société [2] de 70 000 euros en date du 11 mai 2015 sur le compte de la société [3] et justifié par la mention « remboursement [D]. »
11. Les juges retiennent que les vérifications ont permis de mettre au jour l'achat par le couple [D]-[H] en 2012 et la revente en 2014 d'un terrain sis aux [Localité 6] sur lequel avait été réalisée la construction d'une maison dont les modalités de financement ne ressortent pas de l'analyse des comptes bancaires du couple, et que la cession immobilière du 30 avril 2014 a dégagé une très importante plus-value, de l'ordre de 289 000 euros pour chaque conjoint, qui a fait l'objet d'opérations qui ont suscité des interrogations de la part des enquêteurs, en ce que Mme [H] a transféré quasiment dans leur intégralité les fonds qui lui revenaient dès le 15 mai 2014 sur un compte tiers ouvert à la banque d'[Localité 1] au nom de [I] [C], laquelle a ensuite viré les fonds à [Localité 5] et en Suisse, et qu'[F] [D] a viré le 23 mai 2014 une somme de 270 000 euros sur le compte bancaire de la société [2], laquelle serait par ailleurs impliquée dans d'autres faits de blanchiment objet de l'information.
12. Ils indiquent que l'article 80 du code de procédure pénale ne fait pas obstacle à ce que le juge d'instruction puisse procéder spontanément à des investigations et notent que la seule limite posée en jurisprudence est constituée par la prohibition de l'usage de mesures présentant un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique.
13. Les juges observent que les investigations concernant le virement litigieux visaient à circonstancier cette opération, soulignant qu'elle présentait un caractère absolument similaire à celle réalisée par [F] [D] le 23 mai 2014, et visaient ainsi à rechercher d'éventuels liens avec les diverses infractions dont le juge d'instruction était déjà saisi, ce qui pouvait permettre de caractériser un délit nouveau.
14. Les juges ajoutent que la jurisprudence admet que doivent être effectuées les vérifications sommaires qui s'imposent visant à obtenir la confirmation de la vraisemblance objective de la commission du délit constitutif d'un fait nouveau.
15. Ils remarquent qu'en l'espèce, les investigations dont s'agit sont constituées pour l'essentiel de réquisitions et de l'exploitation des réponses y apportées, que l'établissement d'une réquisition ne constitue pas en soi un acte de coercition prohibé, et concluent que dès lors, l'ensemble des investigations diligentées sur commission rogatoire, pour lesquelles il n'a pas été fait usage de mesures coercitives telles qu'interpellation, garde à vue ou mandat, ne saurait faire l'objet d'une annulation.
16. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
17. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt, d'une part, que les investigations sur les comptes bancaires de Mme [H] portaient sur des faits dont le juge d'instruction était régulièrement saisi.
18. Il s'en déduit, d'autre part, que le caractère délictuel du virement bancaire des 14 et 15 mai 2014 ne pouvait être établi qu'après l'identification des comptes bénéficiaires des fonds.
19. En second lieu, une réquisition adressée à un établissement bancaire est un acte d'investigation dépourvu de tout caractère coercitif à l'égard de la personne mise en cause.
20. Ainsi, en adressant les réquisitions bancaires contestées et en exploitant leurs résultats, les officiers de police judiciaire ont procédé aux vérifications sommaires qui s'imposaient pour apprécier la vraisemblance des faits nouveaux de blanchiment aggravé découverts à l'occasion de l'exécution de la commission rogatoire.
21. Par conséquent, le grief doit être écarté.
Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation déposée le 4 décembre 2023 par la demanderesse au pourvoi et a renvoyé le dossier de la procédure au juge d'instruction pour poursuite de l'information, alors :
« 3°/ que manque de base légale l'arrêt qui déclare justifié par l'exécution d'une commission rogatoire, bien que se rapportant à des faits non visés dans la saisine du juge d'instruction, le placement en garde à vue d'une personne par des officiers de police judiciaire ; que dans ses écritures, la demanderesse au pourvoi rappelait que son interpellation, sa garde à vue et la perquisition effectuée à son domicile étaient intervenus le 29 juin 2021, soit antérieurement au réquisitoire supplétif ; qu'elle soulignait qu'elle avait été auditionnée sur l'opération du 14 mai 2014, pourtant non comprise dans la saisine initiale du juge d'instruction qui débutait le 23 mai 2014, et que la notification de la prolongation de sa garde à vue mentionnait d'ailleurs que la mesure portait sur des faits de blanchiment aggravé, commis sur la période du 1er janvier 2014 au 25 novembre 2020 ; qu'en rejetant les moyens de nullité soulevés, aux prétendus motifs que la mention de la date du 1er janvier 2014 relèverait « plus d'une erreur matérielle quant à l'appréciation du départ de la prescription que d'une volonté délibérée des enquêteurs d'étendre la portée de la mesure de garde à vue à des faits antérieurs au 23 mai 2014 », et en énonçant que si certaines des questions posées avaient eu trait au virement litigieux du 14 mai 2014, il était « loisible aux enquêteurs de poser des questions sur les faits nouveaux constatés », quand ce fait n'avait en réalité rien de nouveau pour les enquêteurs lorsqu'ils ont interpellé et placé l'exposante en garde à vue le 29 juin 2021, dès lors qu'il ressortait d'un procès-verbal du 7 novembre 2019 que ceux-ci la suspectaient déjà de blanchiment aggravé suite à ce virement du 14 mai 2014, la chambre de l'instruction a manifestement méconnu le principe de la saisine in rem du juge d'instruction et violé les articles 80, 81 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le grief, en ce qu'il invoque la nullité de la garde à vue au regard de la mention des faits dans la prolongation de cette mesure
23. Pour écarter le moyen de nullité de la garde à vue de Mme [H] tiré du dépassement de sa saisine par le juge d'instruction, l'arrêt retient, notamment, que la notification de la prolongation de garde à vue mentionnait que les faits portaient sur la période du 1er janvier 2014, au lieu du 23 mai 2014, au 25 novembre 2020, mais que la demande de prolongation de garde à vue et l'autorisation subséquente ne mentionnant pas ce point de départ, cette circonstance relève plus d'une erreur purement matérielle quant à l'appréciation du départ du délai de prescription que d'une volonté délibérée des enquêteurs d'étendre la portée de la mesure de garde à vue à des faits antérieurs au 23 mai 2014, soit ceux du 14 mai 2014.
24. En statuant ainsi, et dès lors qu'il ne pouvait être déduit que la garde à vue portait sur des faits non compris dans la saisine du juge d'instruction de la seule mention d'une date de début des faits erronée dans le procès-verbal de notification de la prolongation de garde à vue de Mme [H], au regard de l'exactitude des dates figurant dans le surplus des procès-verbaux relatifs à cette mesure, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
25. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le grief, en ce qu'il invoque la nullité de la garde à vue au regard des questions posées
Vu l'article 80 du code de procédure pénale :
26. Il résulte de ce texte que le juge d'instruction ne peut informer que sur les faits dont il est régulièrement saisi et, lorsqu'il acquiert la connaissance de faits nouveaux, doit communiquer le dossier au procureur de la République, le cas échéant après avoir procédé à des vérifications sommaires destinées à en apprécier la vraisemblance.
27. Pour écarter le moyen de nullité de la garde à vue de Mme [H] et de la perquisition de son domicile tiré du dépassement de sa saisine par le juge d'instruction, l'arrêt énonce que celle-ci a été placée en garde à vue des chefs de blanchiment aggravé, faits commis à [Localité 4] du 1er janvier 2017 au 30 juin 2018 d'une part, le 11 mai 2015 d'autre part, et entre le 23 mai 2014 et le 25 novembre 2020 enfin, et que la garde à vue et la perquisition du domicile, qui s'inscrit dans le même cadre qu'elle pour avoir été réalisée immédiatement après le placement en garde à vue, sont ainsi intervenues pour des faits commis à compter du 23 mai 2014, compris dans la saisine du magistrat instructeur.
28. Après avoir remarqué que certaines des questions posées à Mme [H] en garde à vue ont eu trait au virement litigieux du 14 mai 2014, les juges exposent qu'il reste loisible aux enquêteurs de poursuivre durant la garde à vue des vérifications sommaires sur les faits nouveaux constatés, le cas échéant en posant des questions sur des faits ne relevant pas expressément de leur saisine, notamment pour déterminer s'ils constituent ou non un prolongement de ceux dont le juge est déjà saisi.
29. Les juges en déduisent que, dès lors, la mesure de garde à vue de Mme [H] n'encourt aucun grief, d'autant que les éléments nouveaux ainsi recueillis, y compris ceux découlant des explications de l'intéressée retracés dans un procès-verbal de synthèse, ont été, en application de l'article 80 du code de procédure pénale, immédiatement portés à la connaissance du procureur de la République, lequel a alors délivré un réquisitoire supplétif le 1er juillet 2021.
30. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
31. En effet, dès lors que le virement litigieux découvert avait, préalablement au placement en garde à vue de Mme [H], fait l'objet d'investigations constitutives de vérifications sommaires, les questions qui lui ont été posées au cours de ses auditions, dans un cadre coercitif, en ce qu'elles portaient essentiellement sur ledit virement, excédaient nécessairement le cadre de telles vérifications.
32. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
33. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions de l'arrêt ayant rejeté les moyens de nullité de la garde à vue de Mme [H]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 21 février 2024, mais en ses seules dispositions ayant rejeté les moyens de nullité de la garde à vue de Mme [H], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.