LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 décembre 2024
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1291 F-D
Pourvoi n° P 23-14.525
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
La société Dachser France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 23-14.525 contre l'arrêt rendu le 28 février 2023 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à l'association Fongecfa-transport, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Dachser France, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de l'association Fongecfa-transport, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Bouvier, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 28 février 2023), le Fonds national de gestion paritaire du congé de fin d'activité - dénommé association Fongecfa-transport (l'association) - créé par un accord du 11 avril 1997 en application de l'article 7 de l'accord de branche du 28 mars 1997 sur le congé de fin d'activité des conducteurs routiers de transport de marchandises et du transport de déménagement, a pour mission de gérer le financement du régime conventionnel de départ anticipé à la retraite des conducteurs routiers.
2. La société Dachser France (la société) ayant employé en qualité de chauffeur routier un salarié qui a bénéficié d'un congé de fin d'activité (CFA) à compter du 1er juillet 2017, l'association lui a rappelé son obligation de recruter un nouveau salarié en contrat à durée indéterminée dans les trois mois de ce congé sous peine d'être tenue de lui verser une somme égale aux allocations qu'elle-même verserait au bénéficiaire. La société a transmis en réponse une attestation employeur justifiant de l'embauche d'un salarié en contrat à durée déterminée pendant trois mois pour remplacer un chauffeur en arrêt, puis de l'embauche de cette personne en contrat à durée indéterminée à compter du 30 décembre 2017 en remplacement du salarié bénéficiaire d'un congé de fin d'activité depuis le 1er juillet 2017.
3. Considérant que la société n'avait pas ainsi satisfait à son obligation de recruter un nouveau salarié dans le délai de trois mois, l'association l'a fait assigner, par acte du 5 septembre 2019, devant le tribunal de commerce pour obtenir sa condamnation, en application des accords des 28 mars 1997 et 11 mars 2014, à lui payer une somme correspondant aux allocations versées au salarié bénéficiaire d'un CFA pour la période du 1er octobre au 29 décembre 2017, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2018, date de la mise en demeure.
Examen du moyen
Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter la société de ses demandes, fins et prétentions faites à titre liminaire
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.
Sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société à payer à l'association une certaine somme et de la débouter de ses demandes
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'association une certaine somme et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « que le principe de liberté d'entreprendre garantit à l'employeur le droit de décider librement des modalités d'organisation de son entreprise ; que le juge doit écarter l'application de toute disposition résultant d'un accord collectif de travail qui apporte à cette liberté une restriction injustifiée et disproportionnée ; qu'en l'espèce, l'article 6 de l'accord collectif du 28 mars 1997 relatif au congé de fin d'activité des conducteurs routiers de transport de marchandises et de transport de déménagement à partir de 55 ans, étendu par arrêté du 25 juin 1997, dispose que toute cessation d'activité d'un salarié bénéficiaire d'un congé de fin d'activité obtenu à sa seule initiative doit donner lieu, dans l'entreprise qui employait le bénéficiaire du CFA, à l'embauche d'un salarié cotisant au dispositif CFA, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein" et doit intervenir au plus tard dans les 3 mois suivant la date de départ effectif de l'entreprise du bénéficiaire du CFA (?)" ; que la société Dachser soutenait que cette disposition portait une atteinte injustifiée et disproportionnée à sa liberté d'organisation de son entreprise et donc à sa liberté d'entreprendre, dès lors que l'obligation d'embauche, qui ne résultait d'aucune disposition législative, imposait le maintien du nombre de salariés dans l'entreprise tout comme les modalités de remplacement du salarié (obligation de conclure un contrat à durée indéterminée dans un délai restreint de trois mois) ; qu'en jugeant que la société Dachser n'est pas légalement contrainte d'embaucher un conducteur pour remplacer celui qui part en CFA et que le montant de la pénalité financière encourue en cas de manquement n'est pas d'une importance telle qu'il ait de fait pour effet de l'y contraindre", pour en conclure que l'obligation conventionnelle ne portait aucune atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'entreprendre, et en jugeant en conséquence que la société Dachser qui n'avait pas recruté un nouveau salarié (M. [X]) sous contrat à durée indéterminée dans le délai de trois mois, mais sous contrat à durée déterminée, n'a donc pas satisfait à son obligation de contrepartie d'embauche, prévue à l'article VI de l'accord" en sorte qu'elle devait payer au Fongefca à titre de pénalité une somme correspondant au montant de l'allocation versée au titre du congé, la cour d'appel a violé le principe de liberté d'entreprendre, ensemble l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. »
Réponse de la Cour
6. Le Conseil constitutionnel juge qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, les limitations justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, à la condition que lesdites limitations n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée (décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998 sur la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, considérant n° 26).
7. Le Conseil constitutionnel juge également qu'aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », que l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale, qu'ainsi, c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre, que, sur le fondement de ces dispositions, il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs représentants, le soin de préciser, après une concertation appropriée, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte (décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000 sur la loi relative à la réduction négociée du temps de travail, considérant n° 28).
8. En l'espèce, l'arrêt retient qu'après qu'un salarié de la société, conducteur livreur dans le dernier état de ses fonctions, a bénéficié d'un congé de fin d'activité à compter du 1er juillet 2017, la société n'a procédé au recrutement en contrat à durée indéterminée d'un autre salarié pour compenser ce départ que le 30 décembre 2017 et n'a ainsi satisfait qu'à cette date à son obligation de contrepartie d'embauche prévue à l'article 6 de l'accord.
9. Il relève également que si le salarié recruté le 30 décembre 2017 a d'abord été embauché, le 25 septembre 2017, c'était sous contrat de travail à durée déterminée et pour remplacer un autre chauffeur absent pour cause de maladie et non pour compenser le départ du bénéficiaire du congé de fin d'activité, de sorte que ce recrutement invoqué par la société ne peut être regardé comme conforme à son obligation de contrepartie d'embauche.
10. La cour d'appel, qui en a déduit que la société n'était pas fondée à soutenir que l'obligation de contrepartie d'embauche portait une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'entreprendre, notamment en ce que celle-ci implique la liberté d'organiser le travail dans l'entreprise et de contracter ou non, relevant que celle-ci n'était pas légalement contrainte d'embaucher un conducteur pour remplacer celui qui partait en CFA et que le montant de la pénalité financière encourue en cas de manquement n'était pas d'une importance telle qu'il ait de fait pour effet de l'y contraindre, a légalement justifié sa décision.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il fait les mêmes griefs à l'arrêt
Enoncé du moyen
11. La société fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, toute sanction ayant le caractère d'une punition doit être individualisée et proportionnée ; qu'il incombe au juge qui prononce une sanction pécuniaire résultant d'un accord collectif étendu de s'assurer que le montant de la condamnation prononcée n'est pas disproportionné au regard de l'importance de l'obligation sanctionnée et de la gravité du manquement constaté ; qu'en l'espèce, la société Dachser France faisait encore valoir que le montant de la pénalité égale au total de l'allocation perçue par le bénéficiaire du CFA pendant toute la période correspondant au non-respect de son obligation d'embauche" était, d'une part, sans commune mesure avec l'éventuelle perte de cotisation subie par le Fongefca du fait de l'absence d'embauche d'un nouveau conducteur à la suite du départ d'un conducteur de plus de 55 ans" et, d'autre part, totalement disproportionné par rapport au manquement reproché de l'employeur" d'autant que la sanction pécuniaire est d'un montant très supérieur aux sommes dont il se serait acquitté s'il avait procédé au licenciement du salarié ; qu'en retenant que le régime du CFA est financé avec une cotisation assise sur la masse des salaires bruts des chauffeurs concernés par le dispositif et que l'absence d'embauche d'un nouveau chauffeur cotisant au CFA prive le régime de cette cotisation et donc de la ressource nécessaire", pour en déduire que le montant de la sanction n'a rien de disproportionné, sans s'interroger non comme elle l'a fait à tort sur la justification même de l'obligation d'embauche mais, comme il le lui était demandé, sur la proportionnalité du montant de la sanction équivalant au montant des allocations versées, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
12. L'arrêt retient d'abord que l'association est en droit d'invoquer l'article 6.4 de l'accord selon lequel en cas de non-respect de l'obligation de contrepartie d'embauche dans les conditions prévues aux articles 6.1 et 6.2 l'entreprise est tenue de verser au Fonds une somme égale au montant des allocations perçues par le bénéficiaire du CFA pour toute la période correspondant au non-respect de son obligation d'embauche et que le manquement de la société à son obligation ayant pris fin le 30 décembre 2017 et ayant ainsi duré trois mois, l'association est fondée à lui réclamer une pénalité financière d'un montant égal aux allocations versées au salarié bénéficiaire du CFA pendant cette période.
13. Il ajoute que le montant de la pénalité financière encourue en cas de manquement n'est pas d'une importance telle qu'il ait de fait pour effet de l'y contraindre et que cette pénalité n'est ni injustifiée ni disproportionnée par rapport au manquement, alors que le régime du CFA est financé avec une cotisation assise sur la masse des salaires bruts des conducteurs de véhicules de plus de 3,5 tonnes de PTAC affectés au transport de marchandises ou de déménagement incombant à proportion de 60 % aux employeurs et de 40 % aux salariés et qu'ainsi, dans la mesure où l'importance de la masse des salaires bruts des chauffeurs affecte directement le financement du régime du CFA, l'obligation d'embauche assure l'équilibre financier du système, en alimentant la masse salariale.
14. L'arrêt souligne ensuite que l'objet du litige est l'obligation pour la société de payer à l'association une pénalité financière à titre de sanction de son manquement à l'obligation d'embauche et qu'il n'existe à cet égard aucun déséquilibre, a fortiori significatif, entre les droits et obligations respectives de la société et du Fongecfa, dans la mesure où celui-ci supporte lui-même une charge substantielle en tant qu'il est chargé de gérer le régime de congé de fin d'activité des chauffeurs routiers et qu'il sert les allocations aux bénéficiaires de ce congé.
15. Il relève enfin que le financement du système repose sur une cotisation assise sur la masse des salaires bruts des conducteurs de véhicules de plus de 3,5 tonnes de PTAC affectés au transport de marchandises ou de déménagement et que l'absence d'embauche d'un nouveau chauffeur cotisant au CFA prive le régime de cette cotisation et donc de la ressource nécessaire.
16. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que la pénalité équivalente au montant de l'allocation versée par l'association au chauffeur en CFA, mise à la charge de l'employeur qui ne satisfait pas à son obligation d'embauche, n'était pas disproportionnée.
17. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Dachser France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dachser France et la condamne à payer à l'association Fongecfa-transport la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.