LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 décembre 2024
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1311 F-D
Pourvoi n° G 23-11.507
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 DÉCEMBRE 2024
Mme [W] [D], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 23-11.507 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société General Electric Energy Power Conversion France, société par actions simplifiée à associé unique, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Nirdé-Dorail, conseiller, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [D], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société General Electric Energy Power Conversion France, après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Nirdé-Dorail, conseiller rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2022) et les productions, Mme [D] a été engagée en qualité de cadre affectée à la direction commerciale export le 2 novembre 1989 par la société Cégélec aux droits de laquelle vient la société General Electric Energy Power Conversion France (la société). Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable développement ressources humaines.
2. Placée en arrêt de travail à compter du 3 septembre 2014, la salariée a repris son activité en mi-temps thérapeutique selon un avis du médecin du travail du 5 novembre 2015 puis a été à nouveau en arrêt de travail le 1er février 2016.
3. Déclarée inapte à son poste le 21 novembre 2017, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 28 mai 2018.
4. Elle a saisi la juridiction prud'homale en résiliation judiciaire de son contrat de travail puis en contestation de son licenciement ainsi qu'en paiement de diverses sommes avec capitalisation des intérêts.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et quatrième moyens
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, et le quatrième moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, et le deuxième moyen qui sont irrecevables.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire, des congés payés afférents et au titre de la rupture, avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts, alors « que la résiliation judiciaire du contrat de travail doit être prononcée en cas de manquement(s) de l'employeur suffisamment grave(s) pour empêcher la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'employeur n'avait pas repris, à l'expiration du délai d'un mois à compter de l'avis d'inaptitude de la salariée, le paiement de son salaire et ce jusqu'à la date du licenciement, la privant ainsi indûment, sur la période du 22 décembre 2017 au 31 mai 2018, d'une somme de [31 197,60] euros, des congés payés afférents de 3 719,80 euros ; qu'en jugeant que ce manquement, ayant privé la salariée d'une somme à caractère alimentaire particulièrement conséquente, était à lui seul insuffisant à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles 1124 à 1230 du code civil dans leur rédaction postérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article L. 1231-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1231-1 et L. 1226-4, alinéa 1, du code du travail :
7. Selon le premier de ces textes, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord.
8. Aux termes du second, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
9. Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements de son employeur à ses obligations, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
10. Pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail, l'arrêt retient que seul le manquement de l'employeur en application de l'article L. 1226-4 du code du travail est caractérisé et ne peut justifier à lui seul le prononcé de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur n'avait pas repris, à l'expiration du délai d'un mois à compter de l'avis d'inaptitude jusqu'au licenciement, le paiement du salaire et avait privé la salariée d'une somme de 37 197,60 euros outre les congés payés afférents pour la période du 22 décembre 2017 au 31 mai 2018, ce dont il résultait un manquement suffisamment grave justifiant que la résiliation judiciaire du contrat de travail fût prononcée à ses torts, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
12. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de capitalisation des intérêts, alors « qu'en application de l'article 1343-2, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ; que les seules conditions pour que les intérêts échus des capitaux produisent des intérêts sont que la demande en ait été judiciairement formée et qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande d'anatocisme formée par la salariée, la cour d'appel a relevé que la longueur de la procédure n'était pas le fait de l'employeur, les dernières conclusions ayant été signifiées le 6 mai 2020 et l'affaire fixée à l'audience du 28 septembre 2022 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1343-2 du code civil :
13. Aux termes de ce texte, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.
14. Pour rejeter la demande de la salariée tendant à ce que la condamnation de la société à lui payer diverses sommes soit assortie de la capitalisation des intérêts, l'arrêt retient que la longueur de la procédure n'est pas imputable à l'employeur.
15. En statuant ainsi, alors que les seules conditions pour que les intérêts échus des capitaux produisent des intérêts sont que la demande en ait été judiciairement formée et qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation des chefs de dispositif déboutant la salariée de ses demandes au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail et de la capitalisation des intérêts n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [D] de ses demandes au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail, de rappel de salaires, de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, du complément d'indemnité de licenciement, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et tendant à ce que la capitalisation soit ordonnée, l'arrêt rendu le 23 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société General Electric Energy Power Conversion France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société General Electric Energy Power Conversion France et la condamne à payer à Mme [D] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.