LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 23-85.498 F-D
N° 01548
GM
18 DÉCEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 DÉCEMBRE 2024
M. [T] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 6 septembre 2023, qui, pour abus de confiance, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [T] [V], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le mandataire liquidateur de la société [4], dont M. [T] [V] était le président, a signalé le 8 octobre 2015 au procureur de la République le défaut de restitution de dix véhicules de la société.
3. Les sociétés [5] et [6] ont déposé plainte les 7 mars 2016 et 31 mars 2017 auprès du procureur de la République pour abus de confiance en raison de la non-restitution de certains d'entre eux.
4. Trois véhicules ont été découverts à [Localité 7], mis à disposition d'une tierce société exerçant une activité de location de places de parking, prises à bail auprès de la société [3], dirigée par M. [V].
5. Interpellé le 4 mars 2019, M. [V] a reconnu avoir cessé de payer les mensualités des véhicules litigieux, omis de restituer neuf des véhicules, en avoir vendu un, et s'être éloigné de la gestion de ses affaires en raison d'une dépression.
6. Huit des dix véhicules ont été restitués.
7. Par jugement en date du 7 juillet 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [V] coupable du délit d'abus de confiance et l'a notamment condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis et trois ans d'interdiction de gérer. Sur l'action civile, le tribunal a reçu les constitutions de partie civile des sociétés [1], [6] et [5] et a notamment condamné M. [V] à leur payer les sommes respectives de 52 019,84euros, 12 866,66euros, et 41 370,54 euros.
8. M. [V] et le procureur de la République ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des sociétés [1], [6] et [5] et a condamné M. [V] à payer à la société [1] la somme de 14 294,16 €, à la société [6] la somme de 12 866,66 euros en réparation du préjudice matériel et à la société [5] la somme de 41 370,54 euros en réparation du préjudice matériel, alors :
« 1°/ que seul le préjudice découlant directement des faits objet de la poursuite peut donner lieu à indemnisation ; qu'en condamnant M. [V] à verser à la société [1] la somme 14 9294,16 euros et à la société [5] la somme de 41 370,54 euros correspondant au montant des loyers échus impayés, cependant que l'objet du détournement constitutif de l'abus de confiance est le véhicule automobile et non les loyers versés dans le cadre du contrat de crédit-bail ou de location avec option d'achat, la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale ;
2°/ que le préjudice né d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en condamnant M. [V] à payer à la société [6] la somme de 12 866,66 euros au titre du préjudice matériel résultant de la déduction du prix de vente du véhicule de la valeur de celui-ci estimée au jour de son détournement, cependant que par stipulation contractuelle, à l'article 9 des contrats de location avec option d'achat conclus entre la société [6] et la société [4], la société [6] a limité son indemnisation en cas de non-restitution du bien dans le cadre d'une résiliation anticipée du contrat pour non-paiement des loyers au montant de l'option d'achat finale majoré de 10 % soit 11 % du prix de vente du véhicule TTC, soit au total pour les trois contrats à la somme de 5 021,027 euros, la cour d'appel a méconnu le principe de réparation intégrale et a violé l'article 1240 du code civil, ensemble l'article 2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale :
11. Il résulte du premier de ces textes que seul le préjudice découlant directement des faits objet de la poursuite peut donner lieu à indemnisation.
12. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Pour condamner M. [V] à payer au [1] la somme de 14 294,16 euros en réparation de son préjudice matériel, l'arrêt attaqué énonce que ce dernier est fondé à solliciter le remboursement des loyers échus impayés, à l'exclusion de l'indemnité de résiliation, du prix de la valeur résiduelle finale du véhicule et des frais de contentieux.
14. Pour condamner M. [V] à payer à la société [5] la somme de 41 370,54 euros, les juges précisent que celle-ci est fondée à solliciter la réparation de son préjudice financier résultant de la restitution tardive du seul véhicule Mercedes Classe E immatriculé [Immatriculation 2].
15. Pour condamner M. [V] à payer à la société [6] la somme de 12 866,66 euros, les juges ajoutent que celle-ci est fondée à solliciter la réparation de son préjudice matériel résultant, pour chacun de ses trois véhicules, de la différence entre, d'une part, la valeur de ceux-ci estimée au jour de leur détournement et, d'autre part, leur prix de vente.
16. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si les indemnités allouées résultent des obligations contractuelles ou si elles constituent la réparation du préjudice découlant directement de l'infraction, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l'action civile. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 6 septembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.