LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 24 F-D
Pourvoi n° T 22-24.024
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JANVIER 2025
Mme [L] [P], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 22-24.024 contre l'arrêt rendu le 18 mai 2022 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile - 3e chambre famille), dans le litige l'opposant à M. [B] [W], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [W] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, six moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, sept moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Agostini, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme [P], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [W], après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Agostini, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 18 mai 2022), un jugement du 22 septembre 2015 a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision existant entre Mme [P] et M. [W] et désigné un notaire pour y procéder, lequel a dressé un procès-verbal de difficultés.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, sur les troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens du pourvoi principal et sur les troisième et quatrième moyens, sur le cinquième moyen, pris en ses première et deuxième branches et sur le sixième moyen du pourvoi incident
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. Mme [P] fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 50 940 euros la créance de l'indivision à l'encontre de M. [W] au titre des loyers perçus pour la villa n° 2, alors « que Mme [P] faisait valoir que la maison n° 2 était louée par M. [W] à M. et Mme [Y] depuis le 15 juin 2020 pour un montant mensuel de 692 euros et que M. [W] percevait seul les loyers, ce dont il résultait qu'il devait à ce titre à l'indivision une somme de 13 148 euros, devant s'ajouter aux sommes perçues au titre des loyers antérieurs ; qu'elle fondait cette demande sur le contrat de location conclu le 15 juin 2020 et sur une quittance de loyer établie par M. [W] pour la période du 15 juillet 2020 au 31 décembre 2021 ; qu'en ne tenant compte que des loyers perçus par M. [W] jusqu'en décembre 2019, au titre de baux antérieurs, sans répondre aux conclusions de Mme [P] et s'expliquer sur les loyers perçus à compter de juin 2020, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
5. Pour fixer à une certaine somme la créance de l'indivision sur M. [W] au titre des loyers perçus par lui pour la location de la villa n° 2, l'arrêt tient compte des loyers encaissés par celui-ci jusqu'en décembre 2019 au titre des contrats de bail consentis avant cette date.
6. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions d'appel de Mme [P] qui soutenait qu'à compter du mois de juin 2020, M. [W] avait perçu les loyers versés au titre d'un bail qui s'était poursuivi jusqu'en décembre 2021, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [W] fait grief à l'arrêt de fixer à 50 940 euros la créance de l'indivision à son encontre au titre des loyers perçus pour la villa n° 2, alors « que les juges ne peuvent pas modifier l'objet du litige dont ils sont saisis ; que, dans leurs conclusions d'appel, les parties s'accordaient sur le fait que les loyers d'un montant de 780 euros résultant de la mise en location de la villa n° 2, pour la période d'octobre 2012 à novembre 2013, avaient été versés au crédit du compte joint des parties et avaient donc bénéficié à l'indivision ; qu'en retenant, pour fixer à 50 940 euros la créance de l'indivision sur M. [W] au titre des loyers perçus pour la villa n° 2, que ladite villa avait été donnée à bail du 1er octobre 2012 jusqu'au mois de novembre 2013 pour un loyer de 780 euros et que, sur cette période, M. [W] avait perçu seul la somme de 10 140 euros (780 ¿ x 13 mois) dont il était désormais redevable à l'indivision, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
8. Aux termes de ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
9. Pour fixer comme elle l'a fait la créance de l'indivision sur M. [W] au titre des loyers perçus pour la location de la villa n° 2, l'arrêt prend également en compte les loyers versés entre octobre 2012 et novembre 2013, au titre d'un contrat de bail consenti le 1er octobre 2012.
10. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, Mme [P] indiquait que ces sommes avaient été versées au bénéfice de l'indivision, M. [W] soutenant à l'inverse dans ses écritures que les loyers, bien qu'encaissés sur le compte joint des concubins, l'avaient été au seul bénéfice de Mme [P], la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. Mme [P] fait grief à l'arrêt de fixer à la somme de 59 447,40 euros, arrêtée au mois de janvier 2021, sauf à parfaire au moment du partage, la créance de M. [W] à l'encontre de l'indivision au titre du remboursement des prêts immobiliers, alors « que pour retenir que M. [W] avait une créance de 59 447,40 euros sur l'indivision au titre du remboursement des emprunts à compter du mois de janvier 2017, la cour d'appel s'est fondée sur le montant des mensualités dues au titre de l'emprunt de janvier 2017 à janvier 2021 ; qu'en statuant ainsi sans justifier l'existence d'une créance de M. [W] et en particulier, sans s'expliquer sur les éléments de nature à établir que M. [W] aurait réglé seul les mensualités de l'emprunt à compter du mois de janvier 2017, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
12. Pour fixer à une certaine somme la créance de M. [W] sur l'indivision au titre du remboursement des échéances des emprunts affectés au financement des biens indivis, l'arrêt retient le montant cumulé des mensualités échues entre janvier 2017 et janvier 2021.
13. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions d'appel de Mme [P] qui soutenait qu'à compter de février 2017, chacun des indivisaires avait réglé la moitié de ces mensualités, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le cinquième moyen du pourvoi incident, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. M. [W] fait grief à l'arrêt de dire que Mme [P] a sur l'indivision une créance de 28 955 euros au titre des mensualités des prêts immobiliers communs, alors « que les juges sont tenus de ne pas dénaturer les conclusions qui les saisissent ; que, dans ses conclusions d'appel, M. [W] admettait que Mme [P] avait réglé en ses lieu et place ''les échéances de crédits suivantes imparties à M. [W] soit 495,39 euros fois 28 mois, de septembre 2014 à décembre 2016'' ; qu'en retenant, pour fixer à 28 955 euros la créance de Mme [P] sur l'indivision au titre du remboursement des mensualités des crédits immobiliers communs, que ''M. [W] reconnaît une créance de Mme [P] à ce titre du mois d'août 2014 au mois de décembre 2016 inclus, ce qui fait bien 29 mois'', la cour d'appel, qui a dénaturé les conclusions de M. [W], a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
15. Pour fixer à une certaine somme la créance de Mme [P] sur l'indivision au titre du remboursement des échéances des emprunts affectés au financement des biens indivis, l'arrêt retient que M. [W] reconnaît une telle créance du mois d'août 2014 au mois de décembre 2016 inclus.
16. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, M. [W] soutenait que Mme [P] n'avait réglé que les mensualités échues entre septembre 2014 et décembre 2016, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
17. M. [W] fait grief à l'arrêt de fixer à 147,27 euros seulement sa créance à l'encontre de l'indivision au titre de l'assurance de la villa n° 2 en qualité de propriétaire non occupant pour l'année 2021, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en d'espèce, la ''liste des pièces justificatives'', figurant en pages 36 et 37 des conclusions d'appel de M. [W], mentionnait la production, en pièce n° 49, d'un document récapitulant les assurances souscrites par M. [W] auprès de la compagnie Pro BTP pour l'année 2020, dont il ressortait que ce dernier s'était acquitté pour cet exercice d'une assurance habitation pour la villa n° 2 d'un montant annuel de 144,34 euros ; qu'en affirmant que M. [W] ''ne justifie aucunement de la souscription d'une assurance ''propriétaire non occupant'' pour les années 2016 à 2020'' et ''se borne à produire un récapitulatif des assurances souscrites en 2021 auprès de ''Pro BTP'' comprenant le montant annuel de 147,24 euros pour l'habitation concernée'', la cour d'appel, qui a fait abstraction du document produit par M. [W] en pièce n° 49 dénaturant ainsi par omission son bordereau de pièces, a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil, ensemble le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
18. Pour fixer à 147,27 euros la créance de M. [W] à l'encontre de l'indivision au titre des primes d'assurance propriétaire non occupant acquittées par lui au titre de la villa n° 2, l'arrêt retient que l'intéressé ne justifie pas de la souscription d'une telle assurance pour les années 2016 à 2020.
19. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait du bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions de M. [W] que celui-ci avait produit une pièce n° 49, laquelle comportait un avis d'échéance, au 6 novembre 2020, pour la souscription d'un contrat d'assurance propriétaire non occupant de la villa n° 2, la cour d'appel, qui a dénaturé, par omission, le bordereau de communication de pièces, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation des chefs de dispositif fixant les créances des indivisaires au titre des fruits et revenus et des dépenses de conservation des biens indivis n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt relatives aux dépens et rejetant les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement, d'une part, en ce qu'il fixe à 50 940 euros la créance de l'indivision à l'encontre de M. [W] au titre des loyers perçus pour la villa n° 2, d'autre part, en ce qu'il fixe à 59 447,40 euros la somme arrêtée au mois de janvier 2021, sauf à parfaire au moment du partage, la créance de M. [W] à l'encontre de l'indivision au titre du remboursement des prêts immobiliers et confirme le jugement en ce qu'il fixe à 28 955 euros la créance de Mme [P] sur l'indivision au titre des mensualités des prêts immobiliers communs et, de dernière part, en ce qu'il fixe à 147,27 euros la créance de M. [W] à l'encontre de l'indivision au titre de l'assurance de la villa n° 2 en qualité de propriétaire non occupant pour l'année 2021, l'arrêt rendu le 18 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.