LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président,
Arrêt n° 54 F-B
Pourvoi n° S 23-20.784
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
1°/ La société Régie immobilière de la ville de [Localité 4], société anonyme,
2°/ la société L'Habitat social français, société anonyme,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 1],
3°/ la société Hénéo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° S 23-20.784 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige les opposant à la société E-Pango, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat des sociétés Régie immobilière de la ville de Paris, L'Habitat social français, et Hénéo, de la SCP Richard, avocat de la société E-Pango, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2023) et les productions, la société Régie immobilière de la ville de Paris (la société RIVP) et ses filiales, la société L'Habitat social français et la société Hénéo, constituées en groupement, ont, après publication d'un appel d'offres, conclu avec la société E-Pango un accord-cadre multi-attributaires et un marché subséquent n° 1 portant sur la fourniture de gaz naturel pendant deux ans, moyennant un prix ferme.
2. L'article 26 du cahier des clauses particulières (CCP) de l'accord-cadre, renvoyant aux articles 29 à 36 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) alors en vigueur, permettait à la société RIVP de le résilier et de confier l'exécution des prestations à un tiers en cas de faute du titulaire.
3. Après avoir, le 17 décembre 2021, mis en demeure la société E-Pango de confirmer qu'elle poursuivrait l'exécution du marché au-delà du 27 décembre 2021, en la menaçant d'une résiliation du marché, et conclu le même jour un marché de substitution avec la société Gaz de [Localité 4], la société RIVP a, le 22 décembre 2021, notifié à la société E-Pango la résiliation du marché initial à ses frais et risques. La société Gaz de [Localité 4] a assuré la fourniture de gaz à compter du 28 décembre 2021.
4. Le 18 février 2022, la société RIVP a signifié à la société E-Pango le marché conclu avec la société Gaz de [Localité 4].
5. Invoquant leur créance au titre du surcoût de la prestation fournie par la société Gaz de [Localité 4] en exécution du marché de substitution par rapport au prix convenu dans le marché initial, les sociétés RIVP, L'Habitat social français et Hénéo ont obtenu, sur requête, l'autorisation de procéder à des saisies conservatoires à l'encontre de la société E-Pango. Celle-ci a alors saisi le juge de l'exécution en contestation des ordonnances sur requête ayant autorisé ces mesures.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Les sociétés RIVP, Hénéo et L'Habitat social français font grief à l'arrêt
d'ordonner la mainlevée de l'ensemble des saisies conservatoires qu'elles avaient pratiquées à l'encontre de la société E-Pango en exécution de l'ordonnance sur requête du 13 octobre 2022 et de rejeter l'ensemble de leurs demandes, alors :
« 1°/ que les marchés privés de la commande publique ne relèvent pas des règles générales applicables aux contrats administratifs ; qu'en appliquant
les règles générales des contrats administratifs, pour dire que la société RIVP avait méconnu le droit de suivi de la société E-Pango, cependant que ce droit de suivi était inapplicable au marché privé de fourniture de gaz conclu entre les deux sociétés, lequel relevait de ses seules dispositions contractuelles, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil, ensemble les règles générales applicables aux contrats administratifs ;
2°/ que le juge, tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, doit préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en appliquant le droit de suivi, tel qu'il est défini pour les contrats administratifs, au marché conclu entre la société RIVP et la société E-Pango qui était un marché privé de la commande publique, sans préciser le fondement juridique de sa décision, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
3°/ qu'il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l'acheteur public qui a vainement mis en demeure son cocontractant d'exécuter les prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux dispositions du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci aux frais et risques de son cocontractant par une entreprise tierce ; que si l'acheteur public doit notifier le contrat de substitution au cocontractant évincé afin de le mettre en mesure d'exercer son droit de suivi sur l'exécution du marché de substitution, aucune disposition ni aucune règle des contrats administratifs ne lui impose de procéder à cette notification avant la signature du contrat de substitution ; qu'en relevant, pour ordonner la mainlevée de l'ensemble des mesures conservatoires mises en place par les sociétés RIVP, Hénéo et L'Habitat social français, que leur créance ne paraissait pas suffisamment fondée dès lors que la société RIVP n'avait pas, préalablement à sa conclusion, notifié le marché de substitution à la société E-Pango, la cour d'appel a violé les règles générales applicables aux contrats administratifs ;
4°/ qu'il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l'acheteur public qui a vainement mis en demeure son cocontractant d'exécuter les prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux dispositions du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce ; que si l'acheteur public doit notifier au cocontractant évincé le marché de substitution afin de lui permettre d'exercer son droit de suivi sur l'exécution dudit marché, cette notification doit seulement avoir lieu en temps utile ; qu'en relevant, pour ordonner la mainlevée de l'ensemble des mesures conservatoires mises en place par les sociétés RIVP, Hénéo et L'Habitat social français, qu'elles ne pouvaient se prévaloir d'une créance suffisamment fondée dès lors que le marché de substitution n'avait été notifié à la société E-Pango que deux mois après sa conclusion, cependant que cette circonstance était insuffisante à caractériser une méconnaissance du droit de suivi de la société E-Pango, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des règles générales applicables aux contrats administratifs. »
Réponse de la Cour
7. Lorsqu'un contrat privé de la commande publique stipule, par un renvoi à un cahier des clauses administratives générales, que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice peut, après vaine mise en demeure de son cocontractant d'exécuter les prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce et que les montants découlant des surcoûts liés à l'achèvement des travaux par un nouvel entrepreneur seront à la charge du cocontractant défaillant, celui-ci doit être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts. A cet effet, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice doit notifier le marché de substitution au titulaire du marché résilié.
8. En premier lieu, après avoir relevé que le CCP de l'accord-cadre, qui renvoie au CCAG-FCS en vigueur, prévoit que l'entité adjudicatrice peut faire procéder à l'exécution du marché par un tiers, aux frais et risques du titulaire, et que l'augmentation des dépenses, par rapport au prix du marché, résultant de l'exécution du marché par ce tiers, sera à la charge du titulaire, la cour d'appel, qui n'a pas fait application des règles générales applicables aux contrats administratifs mais des stipulations du contrat liant les parties, a retenu à bon droit que le cocontractant défaillant devait être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution conclu avec la société Gaz de [Localité 4] et qu'à cette fin, la société RIVP devait lui notifier ce marché.
9. En second lieu, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le marché de substitution a commencé à recevoir exécution le 28 décembre 2021, mais n'a été notifié à la société E-Pango que le 18 février 2022, et en déduit que celle-ci a été placée dans l'impossibilité de vérifier en temps et en heure le montant des sommes que la société RIVP aurait à verser au tiers substitué, et donc des indemnités dont elle serait redevable.
10. En l'état de ces seules énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas exigé que la notification du marché de substitution à la société E-Pango intervienne avant la signature du contrat passé avec la société Gaz de [Localité 4], mais avant son commencement d'exécution et qui a caractérisé que le droit de suivi de la société E-Pango avait été méconnu, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Régie immobilière de la ville de [Localité 4], Hénéo et L'Habitat social français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Régie immobilière de la ville de [Localité 4], Hénéo et L'Habitat social français et les condamne in solidum à payer à la société E-Pango la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Mollard, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau, président, empêché, le conseiller référendaire rapporteur et le greffier de chambre conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.