LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 119 FS-B
Pourvoi n° T 24-13.429
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025
La société GRDF, Gaz réseau distribution France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 24-13.429 contre l'arrêt rendu le 14 mars 2024 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [P], domicilié [Adresse 3],
2°/ au syndicat CGT énergie [Localité 6], dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Intervenantes volontaires :
La société Electricité de France (EDF), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
La société RTE Réseau de transport d'électricité, société anonyme à directoire et conseil de surveillance, dont le siège est [Adresse 4],
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Redon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société GRDF, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [P] et du syndicat CGT énergie Paris, de la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat des sociétés Electricité de France et RTE Réseau de transport d'électricité, les plaidoiries de Mes Célice, Goulet et Sevaux, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents M. Sommer, président, M. Redon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Panetta, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Examen de la recevabilité de l'intervention volontaire des sociétés Electricité de France et RTE Réseau de transport d'électricité, contestée par la défense
1. Les défendeurs au pourvoi contestent la recevabilité de l'intervention volontaire des sociétés Electricité de France (la société EDF) et RTE Réseau de transport d'électricité (la société RTE) en soutenant qu'elles ne justifient pas d'un intérêt, pour la préservation de leurs droits, à soutenir une partie.
2. Il résulte des articles 327 et 330 du code de procédure civile que les interventions volontaires sont admises si elles sont formées à titre accessoire à l'appui des prétentions d'une partie et si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
3. Le litige portant notamment sur l'interprétation de la circulaire PERS 846 du 16 juillet 1985 applicable aux Industries électriques et gazières (les IEG), les sociétés EDF et RTE justifient d'un intérêt, pour la préservation de leurs droits, à soutenir les prétentions de la société Gaz réseau distribution France (la société GRDF).
4. Les interventions volontaires sont donc recevables.
Faits et procédure
5. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2024) statuant en matière de référé, la société GRDF a refusé à plusieurs reprises de faire droit aux demandes formées par certains de ses salariés, convoqués en entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, tendant à se faire assister, lors de l'entretien, par le syndicat CGT énergie Paris (le syndicat) et M. [P], salarié de la société Engie.
6. Le syndicat et M. [P] ont fait assigner la société GRDF devant le juge des référés d'un tribunal judiciaire notamment pour qu'il lui ordonne de laisser pénétrer dans ses locaux tout salarié appartenant à l'une quelconque des entreprises relevant du statut des IEG afin d'assurer la défense des personnels poursuivis à titre disciplinaire et d'obtenir une provision à valoir sur le préjudice résultant de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième à cinquième branches
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
8. La société GRDF fait grief à l'arrêt de rejeter les fins de non-recevoir qu'elle soulève et, en conséquence, d'ordonner que soient appliqués les textes statutaires dont elle relève notamment, les articles 222, 223 et 224 de la circulaire PERS 846 autorisant les représentants du personnel à accéder aux locaux et à assister des salariés convoqués en procédure disciplinaire dès lors que ces derniers sont membres d'un établissement relevant des IEG (EP1 et EP2), de lui ordonner de laisser pénétrer dans ses locaux tout agent appartenant à l'une quelconque des entreprises des IEG et ce, afin d'assurer la défense des personnels poursuivis à titre disciplinaire et ce, notamment, dans le cadre de la tenue des entretiens préalables phase 1 et 2, de la condamner à payer au syndicat une provision à valoir sur les dommages-intérêts pour l'atteinte portée aux intérêts collectifs de la profession qu'il représente, et de la débouter de ses demandes, alors :
« 1°/ que dans le cadre des garanties de la procédure disciplinaire, l'article L. 1332-2 du code du travail dispose que le salarié convoqué à un entretien disciplinaire ''peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise'' ; que l'article 210 de la circulaire PERS 846 du 16 juillet 1985, prise en application de l'article 6 du statut national du personnel des industries électriques et gazières du 22 juin 1946, érige en ''principe'' régissant la phase de l'entretien préalable et reprend intégralement les dispositions de l'article L. 122-41 du code du travail [devenu l'article L. 1332-2] selon lesquelles ''au cours de l'entretien, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise'' ; qu'il en résulte qu'un salarié de la société GRDF convoqué à un entretien disciplinaire peut se faire assister par la personne de son choix, sous réserve qu'elle appartienne au personnel de l'entreprise ; qu'au cas présent, la cour d'appel a affirmé ''que la mention d'agent appartenant au personnel des établissements visés à l'article 222 fait référence à toutes les entreprises membres des IEG'' pour en déduire, en substance, que la société GRDF serait tenue de laisser pénétrer dans ses locaux, pour assister un de ses salariés convoqué à un entretien disciplinaire, n'importe quelle personne extérieure dès lors que celle-ci est employée par l'une quelconque des autres entreprises ¿ potentiellement concurrentes ¿ relevant de la branche professionnelle des industries électriques et gazières ; qu'en statuant ainsi, cependant que les dispositions légales et statutaires applicables à la société GRDF n'autorisent pas le salarié à se faire assister, lors d'un entretien disciplinaire, par une personne extérieure au personnel de l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles 210, 222 et 223 de la circulaire PERS 846 du 16 juillet 1985, ensemble l'article L. 1332-2 du code du travail et l'article 6 du statut national du personnel des Industries électriques et gazières du 22 juin 1946 ;
2°/ que si la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, c'est à la condition d'avoir préalablement caractérisé l'existence d'un tel trouble ; que l'article L. 1332-2 du code du travail dispose que le salarié convoqué à un entretien disciplinaire ''peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise'' ; que ni les droits de la défense, ni aucun autre droit à caractère fondamental, n'ont vocation à autoriser un salarié à se faire assister par une personne extérieure à l'entreprise lors d'un entretien disciplinaire ; qu'il en résulte que la seule divergence d'interprétation d'une disposition statutaire relative aux modalités d'assistance des salariés lors d'un entretien disciplinaire ne peut suffire à caractériser un trouble manifestement illicite, dès lors qu'il est acquis aux débats que les salariés peuvent effectivement être assistés par toute personne de leur choix appartenant au personnel de l'entreprise conformément aux dispositions légales applicables, de sorte qu'ils ne sont privés d'aucune garantie de fond et ne sont pas empêchés d'exercer utilement ses droits de la défense ; qu'au cas présent, pour faire droit aux demandes adverses, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que l'absence de possibilité ouverte aux salariés de la société GRDF de se faire assister par tout agent statutaire, dès lors que celui-ci est employé par l'une quelconque des entreprises dont l'activité relève de la branche professionnelle des industries électriques et gazières, ''a nécessairement pour conséquence de priver les agents concernés de leur droit d'être assistés lors des procédures disciplinaires ou de les contraindre à prendre un agent qu'ils n'ont pas choisi et avec lequel, nécessairement, ils n'ont pu échanger avant leur entretien. Dans ces conditions, la violation évidente des droits de la défense des salariés et des dispositions statutaires applicables constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de réparer'' ; qu'en statuant ainsi, sans qu'il ne ressorte de ses constatations que la possibilité ouverte au salarié de se faire assister par un salarié de son choix appartenant au personnel de la société GRDF, à l'exclusion de toute personne extérieure à l'entreprise, priverait l'intéressé de la possibilité d'assurer utilement sa défense dans le cadre des poursuites disciplinaires engagées contre lui, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite, a excédé ses pouvoirs de juge des référés, en violation des articles 835 du code de procédure civile et R. 1455 6 du code du travail, ensemble l'article L. 1332-2 du code du travail, les droits de la défense garantis par l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, la liberté syndicale et le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises respectivement reconnus par les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1946. »
Réponse de la Cour
9. Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
10. Selon l'article 223, relatif à la procédure disciplinaire, de la circulaire PERS 846 du 16 juillet 1985 prise en exécution de l'article 6 du statut national du personnel des IEG issu du décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 modifié par le décret n° 2008-653 du 2 juillet 2008, l'agent, au cours du premier entretien, peut se faire assister d'un agent statutaire représentant de l'organisation syndicale à laquelle il appartient ou de tout autre agent statutaire, la convocation à cet entretien devant lui avoir préalablement rappelé, en application de l'article 222, cette possibilité d'assistance par une personne de son choix appartenant au personnel des Établissements.
11. Il en résulte que les dispositions de la circulaire PERS 846, toujours en vigueur, autorisent un salarié d'une entreprise électrique et gazière poursuivi disciplinairement à se faire assister lors de l'entretien préalable par tout salarié appartenant à l'une quelconque des autres entreprises relevant de la branche des IEG.
12. La transformation, par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, des établissements publics à caractère industriel et commercial EDF et GDF en sociétés de droit privé, n'a nullement modifié l'ordonnancement juridique applicable aux industries électriques et gazières, étant rappelé que la circulaire PERS 846 a déjà été appliquée à des entreprises de droit privé, la décision ministérielle ENN 85-7 du 30 septembre 1985 l'ayant étendue aux entreprises exclues de la nationalisation.
13. C'est en conséquence à bon droit que la cour d'appel a retenu que les dispositions de la circulaire PERS 846 étaient applicables à la société GRDF.
14. Ayant ensuite constaté que l'interdiction faite au salarié de la société Engie, membre du syndicat, d'entrer dans les locaux où se déroulaient les entretiens afin d'assister les agents de GRDF convoqués lors de procédures disciplinaires, avait pour conséquence de priver les agents concernés de leur droit d'être assistés par la personne de leur choix, elle a pu en déduire que cette violation des droits de la défense des salariés et des dispositions statutaires applicables constituait un trouble manifestement illicite.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société GRDF aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société GRDF et la condamne à payer à M. [P] et au syndicat CGT énergie [Localité 6] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé le cinq février deux mille vingt-cinq, par mise à disposition au greffe de la Cour, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.