LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 124 F-D
Pourvoi n° Z 23-12.373
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025
La société Lesaffre International, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 23-12.373 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [S] [X], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, direction régionale Ile de France, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Lesaffre International, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [X], après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 16 décembre 2022) et les productions, Mme [X] a été engagée en qualité de juriste en droit des sociétés, avec le statut de cadre, par la société Lesaffre International (la société), selon contrat à durée indéterminée à compter du 2 mars 2009.
2. Par lettre du 16 octobre 2017, la salariée a été convoquée pour le 26 octobre suivant, à un entretien préalable à un éventuel licenciement et, par lettre du 13 novembre suivant, elle a été licenciée pour négligences répétées et manquements délibérés à ses obligations professionnelles.
3. Affirmant avoir été victime d'un harcèlement moral, par acte du 9 novembre 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à la nullité du licenciement et à l'indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée des sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, de dire le licenciement nul, de la condamner à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et de lui ordonner de rembourser les indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de six mois d'indemnités, alors :
« 1°/ que l'existence d'un harcèlement moral suppose que soient caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel, après avoir relevé que la matérialité de la plupart des faits invoqués par la salariée n'était pas établie, s'est bornée à relever que Mme [Y] avait pris la décision de demander à Mme [X] d'être mise en copie de ses courriels, que des reproches dans la gestion de dossiers lui avaient été adressés par courriel après qu'elle avait manifesté sa désapprobation concernant cette pratique et son sentiment d'être soumise à cette règle avec plus de rigueur que sa collègue assistante, que cette pratique avait persisté malgré les protestations de la salariée, qu'en avril 2017, la mesure était présentée comme pouvant avoir un caractère temporaire mais que Mme [Y] avait renouvelé expressément sa consigne par courriel du 28 septembre 2017 et que l'employeur ne démontrait pas que cette pratique était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui n'a en réalité relevé que différentes occurrences d'un agissement unique, a violé l'article L. 1152-1 du code du travail ;
2°/ que l'existence d'un harcèlement moral suppose que soient caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel s'est bornée à relever que Mme [Y], arrivée dans l'entreprise en avril 2017, avait pris la décision de demander à Mme [X] d'être mise en copie de ses courriels, que des reproches dans la gestion de dossiers lui avaient été adressés par courriel après qu'elle avait manifesté sa désapprobation concernant cette pratique et son sentiment d'être soumise à cette règle avec plus de rigueur que sa collègue assistante, que cette pratique avait persisté malgré les protestations de la salariée, qu'en avril 2017, la mesure était présentée comme pouvant avoir un caractère temporaire mais que Mme [Y] avait renouvelé expressément sa consigne par courriel du 28 septembre 2017, que ces faits étaient de nature à dégrader les conditions de travail de la salariée et à compromettre son avenir professionnel, et que l'employeur ne démontrait pas que cette pratique était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence de faits laissant supposer un harcèlement moral, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
3°/ que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en retenant à l'appui de sa décision, que Mme [Y] avait demandé à Mme [X], avec insistance, d'être mise en copie de tous ses courriels, quand elle relevait dans le même temps que Mme [Y] avait indiqué, par courriel du 28 septembre 2017 : ''J'ai pourtant rappelé à plusieurs reprises la règle, mise en place dès mon arrivée, selon laquelle je souhaite être mise en copie de tous les mails que toi et [M] vous envoyez (sauf mails personnels et administratifs), notamment pour des raisons d'efficacité de pilotage'', la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que tout jugement doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir que Mme [T], à laquelle il était également demandé de mettre Mme [Y] en copie des courriels autres qu'administratifs et personnels, respectait cette directive en mettant cette dernière en copie cachée des courriels concernés ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que la demande de Mme [Y] d'être mise en copie des courriels de Mme [X] pouvait avoir pour objet ou pour effet de marquer un défaut de confiance, être légitimement perçue comme une mesure de contrôle permanent et susciter le discrédit auprès des partenaires destinataires, et que l'employeur ne démontrait pas, en l'absence d'antécédents témoignant de difficultés de communication, que les objectifs poursuivis, à savoir permettre à Mme [Y] de prendre connaissance des dossiers et d'améliorer et fiabiliser la circulation d'informations, n'auraient pas pu être raisonnablement atteints en utilisant d'autre méthodes de partage d'informations ou de reporting moins intrusives et attentatoires au crédit d'une cadre expérimentée, sans vérifier si Mme [X] n'aurait pas pu, comme Mme [T], mettre sa supérieure en copie cachée des courriels concernés, ce qui aurait exclu tout défaut de confiance et risque de la discréditer auprès des tiers, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que tout jugement doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'en l'espèce, la société Lesaffre international faisait valoir que la demande de Mme [Y] d'être mise en copie des courriels de Mme [X] afin de se tenir informée, était parfaitement justifiée eu égard aux déplacements des unes et des autres et qu'il y avait précisément eu un problème dans la transmission d'information lorsque Mme [Y] était partie à Singapour fin septembre 2017, faute pour elle d'avoir été mise en copie de certains courriels par Mme [X] ; qu'en énonçant que l'employeur ne démontrait pas, en l'absence d'antécédents témoignant de difficultés de communication, que les objectifs poursuivis, à savoir permettre à Mme [Y] de prendre connaissance des dossiers et d'améliorer et fiabiliser la circulation d'informations, n'auraient pas pu être raisonnablement atteints en utilisant d'autre méthodes de partage d'informations ou de reporting moins intrusives et attentatoires au crédit d'une cadre expérimentée, et qu'il ne justifiait pas de la nécessité de maintenir cette pratique malgré les objections de Mme [X], sans s'expliquer sur le problème de transmission d'information survenu lors du voyage de Mme [Y] à Singapour, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de défaut de motivation, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de fait dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit l'existence de faits successifs, matériellement établis par le salarié qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et l'absence de justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée une sommes au titre de l'indemnité de congés payés afférente au rappel de prime d'objectifs pour l'année 2017, alors « que les primes allouées pour l'année entière, période de travail et période de congés confondues, n'ont pas à être incluses dans l'assiette de l'indemnité compensatrice de congés payés ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir que la prime d'objectifs couvrait les périodes travaillées et non travaillées et n'était pas affectée par la prise de congés ni proratisée en fonction du temps de présence dans l'entreprise, de sorte qu'elle n'entrait pas dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés ; qu'en accordant à la salariée une indemnité de congés payés afférente au rappel de prime d'objectifs 2017, sans s'expliquer, ainsi qu'il lui était demandé, sur le fait que la prime ne subissait pas d'abattement pour les périodes d'absences pour congés payés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3141-24 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3141-24 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
8. Selon ce texte, l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés inclut les éléments de rémunération qui sont, au moins pour partie, versés en contrepartie directe ou indirecte du travail personnel du salarié et dont le montant est affecté par la prise des congés.
9. Pour condamner l'employeur au paiement d'une certaine somme au titre des congés payés afférents à la prime sur objectifs, l'arrêt énonce qu'il n'est pas contesté que la salariée percevait chaque année une prime annuelle correspondant à 6,5 % de son salaire annuel en cas d'atteinte des objectifs fixés et que l'employeur qui a tardé à notifier à l'intéressée ses objectifs au titre de l'année 2017 ne peut utilement invoquer une prétendue absence d'atteinte de ces objectifs pour s'opposer au paiement de la part variable de rémunération afférente.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si cette prime était ou non affectée par la prise de congés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
11. La cassation du chef de dispositif condamnant la société à payer à la salariée une somme au titre de l'indemnité de congés payés afférente au rappel de prime d'objectifs pour l'année 2017, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par les dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Lesaffre International à payer à Mme [X] la somme de 243 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente au rappel de prime d'objectifs pour l'année 2017, l'arrêt rendu le 16 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la société Lesaffre International aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, laisse à chacune des parties la charge des dépens par elles exposés ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.