LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 24-82.097 F-D
N° 00228
SL2
26 FÉVRIER 2025
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 FÉVRIER 2025
M. [N] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises du Haut-Rhin, en date du 7 février 2024, qui, pour meurtre et viol, aggravés, l'a condamné à vingt-sept ans de réclusion criminelle, l'interdiction définitive du territoire français et contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. [N] [R], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt du 19 mai 2022, la chambre de l'instruction a ordonné la mise en accusation de M. [N] [R] devant la cour d'assises, pour viol et meurtre, aggravés.
3. Par arrêt du 5 mai 2023, ladite cour a condamné l'accusé à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et l'interdiction définitive du territoire français. Par arrêt du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.
4. L'accusé a relevé appel de l'arrêt pénal et de l'arrêt civil. Le ministère public a interjeté appel incident de l'arrêt pénal. Seule l'une des parties civiles, M. [T] [E], a formé appel incident contre l'arrêt civil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt pénal attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable d'avoir à [Localité 3], entre le [Date décès 1] et le [Date décès 2] 2019, donné volontairement la mort à Mme [X] [D], avec cette circonstance qu'ils étaient liés par un pacte civil de solidarité, et l'a déclaré coupable d'avoir à [Localité 3], entre le 17 et le 18 avril 2019, par violence, contrainte, menace ou surprise, commis un acte de pénétration sexuelle sur la personne de Mme [X] [D], avec cette circonstance qu'ils étaient liés par un pacte civil de solidarité, alors « que, devant la cour d'assises, le président interroge l'accusé et reçoit ses déclarations après l'avoir informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; que la méconnaissance de l'obligation d'informer l'accusé du droit de se taire lui fait nécessairement grief ; qu'en déclarant l'accusé coupable des faits qui lui étaient reprochés, sans qu'il ne résulte du procès-verbal des débats, ni d'aucun autre élément de la procédure, que celui-ci ait été informé du droit de se taire au cours desdits débats tenus les 5, 6 et 7 février 2024 et, en particulier, avant qu'il ait été procédé à son interrogatoire dans la matinée du 6 février 2024, le président de la cour d'assises d'appel a méconnu l'article 328, alinéa 1er, du code de procédure pénale, ensemble l'article préliminaire dudit code et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. Vu l'article 328, alinéa 1er, du code de procédure pénale :
7. En application de ce texte, devant la cour d'assises, le président interroge l'accusé et reçoit ses déclarations après l'avoir informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
8. La méconnaissance de l'obligation d'informer l'accusé du droit de se taire lui fait nécessairement grief.
9. En l'espèce, il ne résulte pas du procès-verbal des débats que M. [R] ait été informé du droit de se taire au cours des débats tenus les 5, 6 et 7 février 2024.
10. En procédant ainsi, le président de la cour d'assises a méconnu le texte susvisé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt civil attaqué en ce qu'il a condamné M. [R] au paiement des sommes de 35 000 euros au titre du préjudice d'affection au profit de M. [Y] [G], 35 000 euros au titre du préjudice d'affection au profit de Mme [I] [C], épouse [G], 20 000 euros au titre du préjudice d'affection au profit de Mme [S] [G] et 20 000 euros au titre du préjudice d'affection au profit de M. [P] [G], alors « que la cour d'assises statuant en appel sur l'action civile ne peut, sur le seul appel de l'accusé, aggraver le sort de l'appelant ; que l'appel d'une partie civile ne saurait profiter à une autre partie civile non appelante ; qu'en condamnant l'accusé à verser à M. [Y] [G], Mme [I] [C] épouse [G], Mme [S] [G] et M. [P] [G], parties civiles non appelantes, en réparation de leur préjudice d'affection, des dommages et intérêts d'un montant supérieur à ceux qui leur avaient été octroyés par la cour d'assises statuant en premier ressort, sans constater qu'ils réparaient des préjudices subis depuis la décision prononcée par cette dernière, la cour d'assises d'appel a aggravé le sort de l'appelant à l'égard de ces parties civiles non appelantes et a violé l'article 380-6 du code de procédure pénale »
Réponse de la Cour
Vu l'article 380-6 du code de procédure pénale :
13. Selon ce texte, la cour d'assises, statuant en appel sur l'action civile, ne peut, sur le seul appel de l'accusé, du civilement responsable ou de la partie civile, aggraver le sort de l'appelant. La partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle, sauf à demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la précédente décision.
14. La Cour de cassation interprète cette disposition comme permettant à la victime, constituée partie civile en première instance, non appelante, de demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice subi depuis la première décision. Mais l'arrêt civil de la cour d'assises, statuant en appel, qui accorde à une partie civile des dommages et intérêts sans préciser qu'ils réparent un préjudice souffert depuis la décision de première instance encourt la cassation.
15. En l'espèce, l'arrêt civil a accordé à MM. [Y] et [P] [G], Mmes [I] [C], épouse [G], et [S] [G], parties civiles, non appelantes, des dommages et intérêts au titre du préjudice d'affection subi, d'un montant supérieur à ceux qui leur avaient été attribués en première instance, sans constater qu'ils réparaient un préjudice subi depuis la décision prononcée par la cour d'assises statuant en première instance.
16. En statuant ainsi, la cour d'assises a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.
17. La cassation est, dès lors, à nouveau encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le deuxième moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'assises du Haut-Rhin, en date du 7 février 2024, ensemble la déclaration de la cour et du jury et les débats qui l'ont précédée ;
CASSE ET ANNULE l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises du Bas-Rhin, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises du Haut-Rhin et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.