LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mars 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 155 F-D
Pourvoi n° Z 23-15.225
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 MARS 2025
1°/ M. [Z] [R],
2°/ Mme [E] [G], épouse [R],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° Z 23-15.225 contre l'arrêt rendu le 1er mars 2023 par la cour d'appel d'Orléans (de la chambre des urgences), dans le litige les opposant à M. [N] [J], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [R], de Mme [G], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [J], après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 1er mars 2023), par acte reçu le 30 décembre 2013 par M. [J], notaire (le notaire), M. et Mme [R] (les acquéreurs) ont fait l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation.
2. Par lettre du 5 septembre 2014, la ville de [Localité 3] les a informés que les logements aménagés en sous-sol et rez-de-chaussée ne respectaient pas les dispositions du plan de prévention des risques naturels prévisibles d'inondation et qu'elle consultait les services de l'Etat pour statuer sur la suite à donner aux travaux effectués en zone inondable sans autorisation administrative.
3. Par lettre du 2 mars 2021, elle les a invités à proposer dans les plus brefs délais, le réaménagement de l'immeuble dans le respect des règlements en vigueur.
4. Par acte du 8 juin 2021, les acquéreurs ont assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de constater la prescription de l'action engagée par eux contre le notaire, alors « que lorsque l'action en responsabilité délictuelle engagée contre le notaire dépend de poursuites exercées par l'administration contre celui qui exerce l'action, le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter du jour où ces poursuites ont abouti à une décision définitive et non à compter du jour où elles ont été engagées ; que dans leurs conclusions d'appel, les acquéreurs faisaient valoir que si, par courrier du 5 septembre 2014, la ville de [Localité 3] les avait informés qu'elle considérait que deux des logements de l'immeuble leur appartenant avaient été créés en infraction avec les dispositions du plan de prévention des risques d'inondation, ce n'est que par courrier du 2 mars 2021 qu'elle leur avait finalement enjoint de régulariser la situation et de réaménager leur bien de manière à respecter les règlements en vigueur, ce dont ils déduisaient que le délai de prescription de l'action en responsabilité contre le notaire n'avait commencé à courir qu'à compter de cette date ; qu'en retenant, pour constater la prescription de l'action en responsabilité introduite par les acquéreurs le 8 juin 2021, que le délai de prescription quinquennale avait commencé à courir à compter du courrier du 5 septembre 2014, par lequel la ville de [Localité 3] les avait informés de la non-conformité de certains des logements constituant leur bien, quand, à cette date, aucune décision définitive de l'administration n'était encore intervenue à ce titre, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
7. Il s'en déduit que le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
8. Lorsque l'action en responsabilité tend à l'indemnisation d'un préjudice né d'une décision de l'administration, la prescription ne court pas, en l'absence de recours, tant que cette décision n'a pas acquis un caractère définitif.
9.. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient qu'après réception de la lettre du 5 septembre 2014, les acquéreurs avaient connaissance d'un préjudice qui n'était pas seulement hypothétique, puisqu'il devait être évident pour eux qu'ils allaient devoir faire face à une demande de mise en conformité, qu'ils savaient qu'ils allaient à un différend avec l'administration, laquelle leur avait indiqué de la façon la plus claire que l'immeuble qu'ils avaient acquis se trouvait en infraction, et qu'ils avaient alors connaissance d'un fait susceptible d'engager la responsabilité du notaire instrumentaire.
10. En statuant ainsi, alors que le dommage subi par les acquéreurs ne s'était pas manifesté tant que la décision de l'administration n'avait pas acquis un caractère définitif, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [J] et le condamne à payer à M. et Mme [R] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.