LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mars 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 160 F-D
Pourvois n°
R 23-16.436
B 24-12.195 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 MARS 2025
La société Caisse d'épargne et de prévoyance Hauts-de-France, société anonyme à directoire, dont le siège est [Adresse 2], a formé les pourvois n° R 23-16.436 et B 24-12.195 contre un arrêt rendu le 30 mars 2023 par la cour d'appel de Douai (chambre 8, section 1), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [P] [V],
2°/ à Mme [N] [T], épouse [V],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° R 23-16.436 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° B 24-12.195 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Peyregne-Wable, conseiller, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Hauts-de-France, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [V], de Mme [T], après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Peyregne-Wable, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1.En raison de leur connexité, les pourvois n° R 23-16.436 et B 24-12.195 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués ( Douai , 30 mars 2023 et 21 décembre 2023), le 17 août 2013, M.et Mme [V] (les emprunteurs) ont souscrit auprès de la société Caisse d'épargne Nord France Europe, aux droits de laquelle vient la société Caisse d'épargne Hauts-de-France ( la banque), un prêt d'un certain montant, remboursable par mensualités, au taux fixe de 3,350 %.
3. Le 20 mars 2018, les emprunteurs ont contesté le calcul des intérêts du prêt effectué par la banque sur une année de 360 jours et sollicité la restitution des intérêts versés ainsi que l'annulation des intérêts restant à courir.
4.Le 10 janvier 2019, après mise en demeure adressée à la banque, les emprunteurs ont assigné celle-ci en remboursement et indemnisation.
Sur le premier moyen du pourvoi n°R 23-16.436
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen du pourvoi n°R 23-16.436, pris en ses première et deuxième branches, réunies
Enoncé du moyen
6. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance totale de son droit aux intérêts, de l'inviter à produire un décompte tenant compte de la déduction des sommes au regard de la déchéance en totalité du droit aux intérêts dans le délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt, de renvoyer l'affaire à l'audience de plaidoiries, et de surseoir à statuer dans l'attente de la production de ce décompte sur tous les autres chefs de demandes, alors :
« 1°/que la mention, dans l'offre de prêt acceptée, d'un taux conventionnel calculé sur la base d'une année autre que l'année civile et d'une erreur affectant le taux effectif global ne peut être sanctionnée que par la déchéance, totale ou partielle, du droit du prêteur aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge, sous réserve que ce calcul ait généré au détriment de l'emprunteur un surcoût d'un montant supérieur à la décimale prévue à l'annexe de l'article R. 313-1 du code de la consommation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à constater que la banque avait fait référence, dans son offre de prêt, à l'année lombarde dans le calcul du taux d'intérêt et a simplement affirmé qu'il était « bien entendu que cette inexactitude entraîne une erreur supérieure à la décimale » ; qu'en statuant ainsi, sans apprécier concrètement l'impact de ce calcul sur le coût du crédit, comme l'y invitait la banque dans ses dernières conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 312-8, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, L. 313-2, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, L. 312-33, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, et R. 313-1 dans sa rédaction issue du décret n° 2011-135 du 1er février 2011, du code de la consommation ;
2°/ qu'en statuant ainsi, sans constater qu'une telle erreur aurait été générée au détriment des emprunteurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 312-8, dans sa rédaction issue de la loi 2010-737 du 1er juillet 2010, L. 313-2, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, L. 312-33, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, et R. 313-1 dans sa rédaction issue du décret n° 2011-135 du 1er février 2011, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 312-8, L. 313-2, L. 312-33 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et l'article R. 313-1,du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 :
7. Il résulte de ces textes que la mention, dans l'offre de prêt acceptée ou le contrat de prêt, d'un taux conventionnel calculé sur la base d'une année autre que l'année civile, ne peut être sanctionnée que par la déchéance, totale ou partielle, du droit du prêteur aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge, sous réserve que ce calcul ait généré au détriment de l'emprunteur un surcoût d'un montant supérieur à la décimale prévue à l'annexe de l'article R. 313-1 susvisé.
8. Pour prononcer la déchéance totale du prêteur du droit aux intérêts, l'arrêt retient que la banque a fait référence à l'année lombarde dans le calcul du taux d'intérêt étant bien entendu que cette inexactitude entraîne une erreur supérieure à la décimale.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher concrètement l'impact du calcul des intérêts sur le coût du crédit ni caractériser en quoi l'erreur aurait été effectuée au détriment des emprunteurs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen du pourvoi n° B 24-12.195, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La banque fait grief à l'arrêt de constater l'accord des parties quant au plan de remboursement se rapportant au prêt selon les modalités précisées dans le tableau d'amortissement annexé à l'arrêt, de dire qu'il prend en compte de façon juste les intérêts réciproques des parties et de rejeter le surplus de ses demandes, alors « que la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur l'arrêt mixte partiellement avant-dire droit du 30 mars 2023 entraînera, par voie de conséquence, la cassation et l'annulation de l'arrêt du 21 décembre 2023, qui en est la suite, l'application et l'exécution, en application de l'article 625 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu, à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
12.L'arrêt du 21 décembre 2023, ayant pour objet d'entériner le nouveau tableau d'amortissement tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts prononcée par le précédent arrêt du 30 mars 2023, la cassation de celui-ci emporte annulation par voie de conséquence de celui-là, qui en est l'application.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois n° R 23-16.436 et B 24-12.195, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par la caisse d'épargne Nord France Europe, aux droits de laquelle vient la société Caisse d'épargne Hauts-de-France et déclare recevable la contestation formulée par M. et Mme [V] relative au calcul du taux d'intérêt dans le contrat de prêt souscrit le 17 août 2013 auprès de la société Caisse d'épargne Nord France Europe, aux droits de laquelle vient la société Caisse d'épargne Hauts-de-France, l'arrêt rendu le 30 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d' Amiens ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande d'annulation de l'arrêt rendu le 21 décembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Condamne in solidum M.et Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M.et Mme [V] et les condamne à payer à la société Caisse d'épargne Hauts-de-France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.