LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 168 F-D
Pourvoi n° K 23-22.043
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 MARS 2025
Mme [C] [G], épouse [Z], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 23-22.043 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel de Nancy (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Bally MJ, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Agence France Ecologie, sisi [Adresse 3],
2°/ à la société Domofinance, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de Mme [G], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Domofinance, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 6 juillet 2023), par contrat conclu le 27 janvier 2014 à la suite d'un démarchage à domicile, Mme [Z] (l'acquéreure) a commandé à la société Agence France écologie (le vendeur) la fourniture, l'installation et l'accomplissement des démarches en vue de la mise en service, comprenant le raccordement au réseau électrique, d'un système de panneaux photovoltaïques dont le prix a été financé par un crédit souscrit le même jour auprès de la société Domofinance (la banque).
2. Un jugement d'un tribunal de commerce du 8 février 2017 a placé en liquidation judiciaire le vendeur et désigné la société Bally MJ en qualité de liquidateur.
3. Le 21 juillet 2021, invoquant l'irrégularité formelle du bon de commande et un dol, l'acquéreure a assigné le liquidateur, ès qualités, et la banque, en annulation des contrats, en restitution du prix de vente, en remboursement des sommes versées en exécution du contrat de crédit et en indemnisation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. L'acquéreure fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes, alors « que la prescription quinquennale de l'action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue ; qu'en l'espèce, l'acquéreure faisait valoir que ses craintes sur une absence complète d'autofinancement et de rentabilité de son installation ne se sont confirmées qu'a la lecture du rapport d'expertise qu'elle avait fait diligenter et qui avait révélé qu'une durée d'au moins 38 ans était nécessaire pour que l'investissement soit amorti ce qui l'avait conduite à saisir un avocat ; qu'en l'espèce, pour dire que l'action de l'acquéreure en nullité fondée sur le dol était irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a retenu qu'elle avait découvert au jour de la réception de la première facture de rachat de l'électricité produite les faits permettant d'engager une telle action au regard du prix perçu résultant de la vente d'électricité ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si l'acquéreure n'avait pas découvert l'erreur qu'elle alléguait à la lecture du rapport de l'expertise diligentée à sa demande en 2019, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1304 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
5. Ayant estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'acquéreure avait découvert les faits constitutifs du dol allégué, à savoir une promesse mensongère de rentabilité et d'autofinancement de l'installation, au moment de la réception, le 23 juin 2015, de la première facture de rachat, par la société EDF, de l'électricité produite, la cour d'appel, qui a rejeté, implicitement mais nécessairement, le moyen selon lequel l'acquéreure n'avait pu découvrir les faits lui permettant d'agir qu'après avoir pris connaissance de « l'expertise sur investissement » établie à sa demande en 2019, en a exactement déduit que l'action introduite après l'expiration du délai quinquennal était irrecevable comme étant prescrite, justifiant ainsi légalement sa décision.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'acquéreure fait le même grief à l'arrêt, alors « que la reproduction même lisible des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions en l'absence de circonstances, qu'il appartient au juge de relever, permettant de justifier d'une telle connaissance ; qu'en l'espèce, pour dire que l'action de l'acquéreure en nullité fondée sur l'inobservation par le vendeur des dispositions du code de la consommation était irrecevable comme prescrite pour avoir été introduite plus de cinq années après la signature du bon de commande, la cour d'appel a retenu que les conditions générales du contrat de vente, figurant au verso du bon de commande, reproduisaient les articles du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement et que le bon de commande comprend un formulaire de rétractation détachable qui faisait référence aux articles L. 121-21 et suivants du code de la consommation et indiquait les modalités de rétractation ainsi que le délai imparti ; qu'en statuant ainsi, sans relever aucune circonstances permettant de justifier d'une connaissance par l'acquéreure des vices du bon de commande qu'elle faisait valoir à l'appui de son action en nullité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-3 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause ensemble l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 121-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article 2224 du même code :
7. Il résulte de ces textes que le point de départ du délai de prescription de l'action en annulation du contrat conclu hors établissement, fondée sur la méconnaissance par le professionnel de son obligation de faire figurer sur le contrat, de manière lisible et compréhensible, les informations mentionnées à l'article L. 121-23 susvisé, se situe au jour où le consommateur a connu ou aurait dû connaître les défauts d'information affectant la validité du contrat.
8. Pour fixer le point de départ du délai de la prescription quinquennale à la date de la conclusion du contrat et déclarer irrecevable comme prescrite la demande en annulation des contrats de vente et de crédit affecté formée par l'acquéreure sur le fondement de l'irrégularité du bon de commande au regard des informations devant y figurer, l'arrêt retient que la reproduction lisible, dans les conditions générales, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable aux contrats conclus à la suite d'un démarchage à domicile avait permis à l'acquéreure de prendre connaissance des éventuels vices résultant de la méconnaissance de ces dispositions.
9. En se déterminant ainsi, sans relever aucune circonstance, autre que la seule lecture des conditions générales du contrat, permettant à la banque de justifier d'une connaissance, par l'acquéreure, des vices du bon de commande, que celle-ci faisait valoir à l'appui de son action en nullité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable, comme étant prescrite, la demande en annulation du contrat principal fondée sur le dol et la demande subséquente en annulation du contrat de crédit affecté, l'arrêt rendu le 6 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Domofinance et la société Bally M.J., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Agence France Ecologie, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Domofinance et condamne celle-ci, ainsi que la société Bally M.J. ès qualités, solidairement entre elles, à payer à Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.