LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Cassation
M. PONSOT, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 131 F-D
Pourvoi n° G 23-19.488
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 MARS 2025
1°/ Mme [C] [S], domiciliée [Adresse 1],
2°/ La société investissement hôtellerie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° G 23-19.488 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2023 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société Nathica, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [S], de la SCP Richard, avocat de la société Nathica, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Alt, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 2 mai 2023) et les productions, le capital de la société Quimperloise hôtellerie (la société SQH), exploitant un hôtel à [Localité 2], était détenu par la société Investissement hôtellerie (la société SIH) et par Mme [S]. Le 20 mai 2014, ces dernières ont signé un protocole de cession de leurs titres à M. et Mme [E], aux droits desquels vient la société Nathica. Le protocole comportait une clause de garantie d'actif et de passif ainsi qu'un engagement de la société SIH de reclasser une salariée, Mme [Z].
2. Le 27 mars 2015, la société SQH a licencié la salariée pour un motif économique. La société SIH et Mme [S] ont signé avec la société Nathica une convention de séquestre, dans l'attente de connaître les conséquences financières du licenciement. Le 24 avril 2019, la cour d'appel de Rennes a condamné la société à verser à la salariée la somme de 125 073 euros.
3. Le 14 novembre 2018, la société SQH et Mme [S] ont assigné la société Nathica en vue d'obtenir la libération du séquestre. A titre reconventionnel, cette dernière a demandé leur condamnation à lui payer une quote-part de cette condamnation prononcée par la cour d'appel de Rennes et une certaine somme au titre de la garantie de passif.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. La société SIH et Mme [S] font grief à l'arrêt de les condamner, au prorata de leur participation dans le capital de la société SQH avant sa cession à la société Nathica, à payer à la société Nathica la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts, d'ordonner la libération du séquestre constitué auprès de M. [J] de la somme de 32 077 euros dans les conditions suivantes : remise à la société Nathica de la somme de 20 000 euros en exécution par elles de la condamnation visée ci-dessus, et dit que les frais de séquestre seraient partagés par moitié entre elles et la société Nathica, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant que le protocole de cession de parts du 31 juillet 2014 contenait une clause aux termes de laquelle la société SIH s'était engagée à faire ses meilleurs efforts pour procéder au reclassement de Mme [Z], employée en qualité de directrice de l'hôtel, quand l'acte de cession de parts du 31 juillet 2014 ne contenait pas une telle clause, la cour d'appel a dénaturé ce document, en violation du principe susvisé ;
2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant que le protocole de cession de parts du 31 juillet 2014 contenait une clause aux termes de laquelle la société SIH s'était engagée à faire ses meilleurs efforts pour procéder au reclassement de Mme [Z], employée en qualité de directrice de l'hôtel, quand le protocole d'accord sous conditions suspensives contenant cette clause avait été conclu le 20 mai 2014, la cour d'appel a dénaturé ce document, en violation du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour condamner la société SIH et Mme [S], l'arrêt énonce que le protocole de cession de parts du 31 juillet 2014 contenait la clause selon laquelle cette société SIH s'engageait à faire ses meilleurs efforts pour procéder au reclassement de Mme [Z], employée en qualité de directrice de l'hôtel, dans l'une des sociétés hôtelières dont elle détient le contrôle.
6. En statuant ainsi, alors que cette clause était contenue dans le protocole du 20 mai 2014, la cour d'appel, qui a dénaturé le protocole de cession de parts du 31 juillet 2014, a violé le principe susvisé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Mme [S] fait grief à l'arrêt attaqué de la condamner, avec la société SIH au prorata de leur participation dans le capital de la société SQH avant sa cession à la société Nathica, à payer à la société Nathica la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts, d'ordonner la libération du séquestre constitué auprès de M. [J] de la somme de 32 077 euros dans les conditions suivantes : remise à la société Nathica de la somme de 20 000 euros en exécution par elles de la condamnation visée ci-dessus, et dit que les frais de séquestre seraient partagés par moitié entre elles et la société Nathica, alors « que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ; qu'en retenant, pour condamner la société SIH et Mme [S] à prendre en charge, à titre de dommages-intérêts, la moitié de l'indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [Z], que le reclassement de cette dernière ne pouvait être considéré comme ayant été impossible puisqu'il n'avait pas été tenté, quand elle constatait que seule la société SIH s'était engagée à faire ses meilleurs efforts pour procéder au reclassement de Mme [Z] dans l'une des sociétés hôtelières dont elle détenait le contrôle, à l'exclusion de Mme [S], la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
8. Pour condamner la société SIH et Mme [S] à prendre en charge, à titre de dommages et intérêts, la moitié de l'indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [Z], l'arrêt retient que le reclassement de cette dernière ne pouvait être considéré comme ayant été impossible puisqu'il n'avait pas été tenté.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que seule la société SIH s'était engagée à faire ses meilleurs efforts pour procéder au reclassement de Mme [Z] dans l'une des sociétés hôtelières dont elle détenait le contrôle, à l'exclusion de Mme [S], la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
10. La société SIH et Mme [S] font grief à l'arrêt de les condamner, au prorata de leur participation dans le capital de la société SQH avant sa cession à la société Nathica, à payer à celle-ci, en vertu de la garantie d'actif et de passif, la somme de 80 073,52 euros, alors :
« 2°/ que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que le protocole d'accord du 20 mai 2014 contenait en son article 5.7.2 une clause de garantie d'actif et de passif indemnisant les cessionnaires en cas de survenance de tout passif nouveau comptabilisé à condition qu'il eût une cause imputable à des faits antérieurs à la cession ; qu'en retenant que tel était le cas des sommes allouées à Mme [Z] au titre des heures complémentaires au regard des périodes de travail visés à l'arrêt du 24 avril 2019, après avoir pourtant constaté que la demande de Mme [Z] à ce titre concernait la période de mai 2012 à février 2015, pour partie postérieure à la cession du 31 juillet 2014, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016,
3°/ que pour condamner la société SIH et Mme [C] [S] à payer à la société Nathica, en vertu de la garantie d'actif et de passif, la somme de 80 073,52 euros, la cour d'appel s'est fondée sur un décompte d'huissier, faisant apparaître une somme totale due de 125 073,52 euros, dont elle a ôté la somme de 40 000 euros correspondant aux sommes dues au titre du licenciement, sommes ne relevant pas de la garantie de passif, et la somme de 5 000 euros correspondant au seuil de déclenchement de la garantie ; qu'en incluant dans le montant de la condamnation la somme de 15 393,09 euros, qui correspondait à des intérêts ayant couru sur l'intégralité des sommes dues, et donc en partie sur des sommes qui n'entraient pas dans le champ de la garantie, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
11. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
12. Pour condamner Mme [S] et la société SIH à payer à la société Nathica la somme de 80 073,52 euros au titre de la garantie de passif, l'arrêt, après avoir relevé que le protocole du 20 mai 2014 contenait une clause de garantie d'actif et de passif indemnisant les cessionnaires en cas de survenance de tout passif nouveau non comptabilisé dès lors qu'il aurait une cause imputable à des faits antérieurs à la cession, retient que tel était le cas des sommes allouées à la salariée au titre des heures supplémentaires, repos compensateurs, frais, exécution déloyale du contrat de travail. L'arrêt ajoute que Mme [S] et la société SIH doivent verser à la société Nathica des intérêts correspondant à l'intégralité des sommes dues au titre du licenciement.
13. En statuant ainsi, alors que les indemnités obtenues par la salariée au titre des heures supplémentaires concernaient pour partie une période postérieure à la cession du 31 juillet 2014 et que les intérêts étaient calculés sur l'intégralité des sommes dues, lesquelles n'entraient pas en totalité dans le champ de la garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne la société Nathica aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Nathica et la condamne à payer à Mme [S] et à la Société investissement hôtellerie la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.