LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Rejet
M. PONSOT,
conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 137 F-D
Pourvoi n° V 23-21.845
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 MARS 2025
La société FJMN, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Aplus Santé, a formé le pourvoi n° V 23-21.845 contre l'arrêt rendu le 30 août 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Emera exploitations, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [E] [R], domicilié [Adresse 2],
3°/ à la société Emera plus santé, société par actions simplifiée,
4°/ à la société Foncière Roy René, société par actions simplifiée, venant aux droits de la société Emera,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société FJMN, venant aux droits de la société Aplus Santé, de la SARL Corlay, avocat de la société Emera exploitations, de M. [R], des sociétés Emera plus santé et Foncière Roy René, venant aux droits de la société Emera, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 août 2023), le 4 mai 2016, les sociétés Emera Exploitations, ayant pour dirigeant M. [R], Emera Plus Santé, détenue à 100 % par la société Emera Exploitations, et Aplus Santé ont conclu un accord de partenariat prévoyant notamment la cession immédiate, par la société Aplus Santé, de 50 % de sa participation dans ses filiales à la société Emera Plus Santé, l'engagement de la société Emera Exploitations d'apporter dans le temps à la société Emera Plus Santé des sociétés d'exploitation dont elle conserverait 50 % des titres, l'engagement des sociétés Aplus Santé et Emera Exploitations, à l'horizon de cinq ans, d'apporter 50 % des titres des sociétés d'exploitation encore en leur possession à la société Emera Plus Santé et de se répartir le capital de cette dernière à égalité entre elles et la faculté, pour la société Emera Exploitations, de racheter la participation de la société Aplus Santé dans ses filiales, ou le cas échéant dans la société Emera Plus Santé, dans l'hypothèse où cette dernière changerait de contrôle.
2. Le 24 juillet 2019, la société Newco Emera et les fonds d'investissement Ardian et Naxicap se sont engagés à acquérir 56 % du capital de la société Emera Exploitations auprès des sociétés Foncière Roy René, Emera, Sofilo et Rose Patrimoine. Le 20 novembre 2019, le contrat de cession consécutif à l'exercice de cette promesse d'achat a été signé. Le 18 décembre 2019, la cession a été réalisée et enregistrée dans les registres des mouvements de titres et comptes d'actionnaires.
3. Le 10 janvier 2020, les sociétés Emera Exploitations, Emera Plus Santé, Emera et Foncière Roy René ont notifié à la société FJMN, venant aux droits de la société Aplus Santé, l'exercice de la promesse de vente figurant dans le protocole d'accord du 4 mai 2016. Contestant la réalité du changement de contrôle de la société Emera Plus Santé, la société FJMN s'est opposée à l'exercice de cette promesse.
4. La société FJMN a assigné les sociétés Emera Exploitations, Emera Plus Santé et Foncière Roy René, venant aux droits de la société Emera, et M. [R] en nullité de diverses stipulations de l'accord du 4 mai 2016, en résolution de cet accord et en paiement de dommages et intérêts.
5. Parallèlement, la société Emera Exploitations a assigné la société FJMN en exécution forcée de la promesse de vente prévue à cet accord. Les deux instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, le quatrième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et le cinquième moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société FJMN fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de communication de la copie du pacte d'actionnaires conclu entre les actionnaires des sociétés Newco Emera, Ardian et Naxicap Partners, alors « que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que le juge est tenu de faire droit à la demande d'une partie, tendant à ce qu'il soit fait injonction à la partie adverse de communiquer une pièce, si cette pièce constitue le seul moyen, pour la partie qui en demande communication, d'établir la réalité de ses droits ; qu'en l'espèce, la société FJMN faisait valoir que le pacte d'actionnaires, conclu entre les actionnaires de la société Newco Emera, était susceptible de contenir des dispositions permettant à M. [R] de détenir, directement ou indirectement, au travers de toute entité dont il aurait le contrôle, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, 50 % des droits de vote au sein de la société Emera Plus Santé, partant que ce pacte était susceptible d'établir l'absence de changement de contrôle, au sens de l'article 6.1.1 de l'accord de partenariat conclu le 4 mai 2016, condition nécessaire pour la levée d'option de la promesse consentie par la société Aplus Santé ; qu'en refusant de faire droit à la demande de production forcée, au motif inopérant tiré de l'existence d'une clause de confidentialité et sans rechercher si la communication du pacte d'actionnaires n'était pas de nature à permettre à la société FJMN d'établir la détention persistante par M. [R] de la majorité des droits de vote au sein de la société Emera Plus Santé, la cour d'appel a violé les articles 11 et 142 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
8. C'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et sans violer l'article 6, § 1, de la Convention invoqué que la cour d'appel, saisie d'une demande de production d'une pièce détenue par une partie, a refusé de faire droit à cette demande.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. La société FJMN fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de communication de l'original de la promesse d'achat du 24 juillet 2019 et d'expertise relative à cette promesse, alors :
« 1°/ que la cession d'actions, permettant d'inscrire de nouveaux actionnaires sur les registres de mouvement de titres, n'est pas exclusive d'une convention de vote, conclue indépendamment de l'acte de cession, permettant au cédant de conserver plus de 50 % des droits de vote ; que, dans ses conclusions, la société FJMN faisait valoir que la copie, "certifiée conforme" à l'original de la promesse d'achat, conclue le 24 juillet 2019, reçue en exécution de l'arrêt, rendu par la cour d'appel de Paris le 6 janvier 2021, ayant condamné les sociétés Emera et M. [R] à la communiquer, comportait de nombreuses anomalies, telles l'absence de signatures sur certaines pages, l'absence de document de certification "Assemblact" ou encore la désignation de M. [R] en qualité de bénéficiaire de la promesse d'achat quand il n'était pas détenteur des titres, objet de cette promesse ; qu'elle relevait encore que M. [M] ne pouvait avoir utilement certifié conforme cette promesse d'achat alors qu'il était étranger aux faits relatés et, au surplus, que la signature apposée sur l'attestation ne correspondait pas, ainsi que l'établissait le rapport de l'expertise effectuée ; qu'elle sollicitait, en conséquence, la production forcée de l'original de la promesse d'achat aux fins de déterminer si cette promesse d'achat comportait des clauses relatives à un pacte d'actionnaire portant sur les droits de vote de M. [R] à l'issue de l'opération, qui établirait l'absence de perte de ce dernier de la majorité des droits de vote, partant l'absence d'obligation de la société FJMN de céder ses titres ; qu'en rejetant cette demande aux motifs, erronés et inopérants, que "seule la réalisation de la cession des actions, après l'exercice de cette promesse par les bénéficiaires, permet d'inscrire les nouveaux actionnaires sur les registres de mouvement de titres et de conduire un changement de contrôle" et qu' "il est constant que l'acte de cession, consécutif à l'exercice de la promesse d'achat, signé le 20 novembre 2019, entre la société Bidco Emera, acquéreur et les sociétés Foncière Roy René, Emera, Rose Patrimoine a été versé aux débats", de sorte que la demande de production forcée n'est pas nécessaire "pour déterminer s'il existe ou non un changement de contrôle", quand la cession de titres, partant l'inscription de nouveaux actionnaires, n'était pas de nature à exclure l'existence, au sein de la promesse d'achat, d'un engagement des promettants réitéré ultérieurement dans le pacte d'actionnaires, quant aux droits de vote à l'issue de l'opération, en conséquence une absence de changement de contrôle au sens de l'article 6.1.1 de l'Accord de Partenariat, de sorte que la production de l'original de la promesse d'achat s'imposait, peu important la communication de l'acte de cession, la cour d'appel a encore violé les articles 11 et 142 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que la cession d'actions, permettant d'inscrire de nouveaux actionnaires sur les registres de mouvement de titres, n'est pas exclusive d'une convention de vote, conclue indépendamment de l'acte de cession, permettant au cédant de conserver plus de 50 % des droits de vote ; que, dans ses conclusions, la société FJMN faisait valoir que la copie, "certifiée conforme" à l'original de la promesse d'achat, conclue le 24 juillet 2019, reçue en exécution de l'arrêt, rendu par la cour d'appel de Paris le 6 janvier 2021, ayant condamné les sociétés Emera et M. [R] à la communiquer, comportait de nombreuses anomalies, telles l'absence de signatures sur certaines pages, l'absence de document de certification "Assemblact" ou encore la désignation de M. [R] en qualité de bénéficiaire de la promesse d'achat quand il n'était pas détenteur des titres, objet de cette promesse ; qu'elle relevait encore que M. [M] ne pouvait avoir utilement certifié conforme cette promesse d'achat alors qu'il était étranger aux faits relatés et, au surplus, que la signature apposée sur l'attestation ne correspondait pas, ainsi que l'établissait le rapport de l'expertise effectuée ; qu'elle sollicitait, en conséquence, une mesure d'expertise aux fins de déterminer une altération éventuelle de la pièce originale, dès lors que la promesse d'achat originale pouvait comporter des clauses relatives à un pacte d'actionnaire portant sur les droits de vote de M. [R] à l'issue de l'opération, qui établirait l'absence de perte de ce dernier de la majorité des droits de vote, partant l'absence d'obligation de la société FJMN de céder ses titres ; qu'en déboutant la société FJMN de sa demande d'expertise aux "mêmes motifs que ceux ayant conduit au rejet de la demande de communication de l'original de la promesse", soit aux motifs, erronés et inopérants, que "seule la réalisation de la cession des actions, après l'exercice de cette promesse par les bénéficiaires, permet d'inscrire les nouveaux actionnaires sur les registres de mouvement de titres et de conduire un changement de contrôle" et qu'"il est constant que l'acte de cession, consécutif à l'exercice de la promesse d'achat, signé le 20 novembre 2019, entre la société Bidco Emera, acquéreur et les sociétés Foncière Roy René, Emera, Rose Patrimoine a été versé aux débats", de sorte que la demande de production forcée n'est pas nécessaire "pour déterminer s'il existe ou non un changement de contrôle", quand la cession de titres, partant l'inscription de nouveaux actionnaires, n'était pas de nature à exclure l'existence, au sein de la promesse d'achat, d'un engagement des promettants réitéré ultérieurement dans le pacte d'actionnaires, quant aux droits de vote à l'issue de l'opération, en conséquence une absence de changement de contrôle au sens de l'article 6.1.1 de l'Accord de Partenariat, la cour d'appel a encore violé les articles 11 et 142 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale. »
Réponse de la Cour
11. C'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et sans violer l'article 6, § 1, de la Convention invoqué que la cour d'appel a rejeté les demandes de communication de l'original de la promesse d'achat du 24 juillet 2019 et d'expertise relative à cette promesse.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. La société FJMN fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation des articles 6.1.1, 6.1.2 et 6.2 de l'accord du 4 mai 2016, alors « que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition purement potestative de la part de celui qui s'oblige ; que constitue une condition purement potestative celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une des parties de faire arriver ou empêcher ; qu'en l'espèce, la société FJMN faisait valoir le caractère purement potestatif, en conséquence, nul des obligations résultant de l'application des articles 6.1.1 et 6.1.2 de l'accord de partenariat ; qu'elle observait qu'il ressortait de l'application combinée de ces clauses contractuelles, prévoyant, respectivement, que le changement de contrôle d'Emera sera qualifié si M. [R] ne détient plus, directement ou indirectement, 50 % des droits de vote et du capital de la "JV" et qu'en cas de changement de contrôle d'Emera, Aplus promet irrévocablement de céder ses titres à Emera, que M. [R] pouvait, par sa seule décision de céder la majeure partie des titres de son groupe, enclencher le mécanisme de cession forcée des titres de la société FJMN entraînant l'éviction de cette dernière et, par voie de conséquence, mettre fin à l'accord de partenariat et dispenser le groupe Emera des obligations auxquelles il était tenu en application de cet accord ; qu'elle en déduisait la nullité de ces clauses potestatives ; qu'en rejetant la demande en nullité, aux motifs inopérants que "la promesse de vente ayant été souscrite par Aplus, c'est cette dernière (devenue FJMN) qui est débitrice de l'obligation de céder en cas de changement de contrôle et de levée de la promesse par le bénéficiaire 1 Emera", qu'"aucune de ces deux conditions ne dépend de la volonté du promettant" de sorte que "la promesse de vente 1 Emera n'est pas soumise à une condition potestative" et sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'exécution de l'accord de partenariat ne dépendait pas de la décision unilatérale du dirigeant du groupe Emera de céder ou non la majorité du capital et des droits de vote de la société Emera, de sorte que les engagements pris dans cet accord avaient été contractés sous une condition potestative, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1170, 1172 et 1174 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
14. La société FJMN n'ayant pas, dans ses conclusions d'appel, soutenu que les clauses litigieuses revêtaient un caractère purement potestatif en ce qu'elles permettaient au groupe Emera, par le seul changement de contrôle opéré, de se dispenser d'exécuter les obligations qu'il avait souscrites, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société FJMN, venant aux droits de la société Aplus Santé, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société FJMN, venant aux droits de la société Aplus Santé, et la condamne à payer aux sociétés Emera Exploitations, Emera Plus Santé, Foncière Roy René, venant aux droits de la société Emera, et à M. [R] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.