LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Cassation sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 255 FS-B
Pourvoi n° B 22-17.960
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MARS 2025
1°/ L'AGS, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ l'Unédic, dont le siège est [Adresse 4] agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, et élisant domicile au Centre de gestion et d'études AGS-CGEA Ile-de-France Ouest, [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° B 22-17.960 contre l'arrêt rendu le 23 février 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige les opposant :
1°/ à la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [X] [J], en qualité de mandataire ad hoc de la société Dune,
2°/ à la Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Panetta, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'AGS et de l'Unédic, de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Panetta, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 février 2022), la société Dune (la société), société de production d'oeuvres cinématographiques et de télévision, a produit deux téléfilms en 1994 et 1997, ainsi qu'une série télévisée entre 1991 et 2005, ces oeuvres ayant été diffusées sur une chaîne de télévision à plusieurs reprises.
2. Par jugement du 4 février 2010, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société et désigné Mme [P] en qualité de liquidateur.
3. Par lettres du 18 mars et du 1er avril 2010, la société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (l'Adami) a déclaré au passif de la société des créances au titre de rémunérations complémentaires dues aux artistes-interprètes de la série et des téléfilms.
4. Le 30 novembre 2020, le liquidateur a informé l'Adami du caractère invérifiable de ces créances et indiqué qu'il proposerait leur rejet total au juge-commissaire, conformément à l'article R. 622-23 du code de commerce.
5. Par ordonnances du 9 mai 2011, rectifiées le 8 octobre 2012, le juge-commissaire a admis les créances déclarées par l'Adami au passif de la société à hauteur, pour la première, de 324 000 euros à titre privilégié et 170 955,36 euros à titre chirographaire et, pour la seconde, de 3 000 euros à titre privilégié et 1 582,92 euros à titre chirographaire.
6. Une mise en demeure infructueuse a été adressée au liquidateur par l'Adami le 24 juillet 2014 de procéder à une demande d'avance auprès de l'AGS dans l'intérêt des artistes-interprètes.
7. Le 25 août 2015, la liquidation judiciaire de la société a été clôturée pour insuffisance d'actif et Mme [P] a été désignée en qualité de mandataire ad hoc de cette société.
8. Le 30 mai 2016, l'Adami a saisi la juridiction prud'homale afin d'ordonner au mandataire ad hoc de la société d'inscrire les créances des artistes-interprètes qu'elle représentait sur les relevés de créances salariales et d'obtenir que l'AGS verse au mandataire ad hoc de la société, une avance sur les créances salariales.
9. Le 22 février 2019, la société BTSG² a été désignée mandataire ad hoc de la société en remplacement de Mme [P], décédée.
Sur le moyen relevé d'office
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 31 du code procédure civile, L. 7121-8 du code du travail et L. 625-1 et L. 625-4 du code de commerce :
11. Aux termes du premier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
12. Selon le deuxième, la rémunération due à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation, exécution ou présentation par l'employeur ou tout autre utilisateur n'est pas considérée comme salaire dès que la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement et que cette rémunération n'est pas fonction du salaire reçu pour la production de son interprétation, exécution ou présentation, mais est fonction du produit de la vente ou de l'exploitation de cet enregistrement.
13. Selon le troisième, le mandataire judiciaire établit les relevés des créances résultant d'un contrat de travail, le débiteur entendu ou dûment appelé. Les relevés des créances sont soumis au représentant des salariés dans les conditions prévues à l'article L. 625-2. Ils sont visés par le juge-commissaire, déposés au greffe du tribunal et font l'objet d'une mesure de publicité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou en partie sur un relevé peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité mentionnée à l'alinéa précédent. Il peut demander au représentant des salariés de l'assister ou de le représenter devant la juridiction prud'homale. Le débiteur et l'administrateur lorsqu'il a une mission d'assistance sont mis en cause.
14. Le dernier de ces textes dispose que lorsque les institutions mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail refusent pour quelque cause que ce soit de régler une créance figurant sur un relevé des créances résultant d'un contrat de travail, elles font connaître leur refus au mandataire judiciaire qui en informe immédiatement le représentant des salariés et le salarié concerné. Ce dernier peut saisir du litige le conseil de prud'hommes. Le mandataire judiciaire, le débiteur et l'administrateur lorsqu'il a une mission d'assistance sont mis en cause. Le salarié peut demander au représentant des salariés de l'assister ou de le représenter devant la juridiction prud'homale.
15. Il en résulte, d'abord, que les créances déclarées par l'Adami à la procédure collective de la société Dune, au nom des artistes-interprètes dont elle défend les droits, représentent les redevances qui leur sont dues non pas en exécution de leur contrat de travail mais en contrepartie des droits cédés pour l'exploitation de l'enregistrement, ensuite, que les avances effectuées par l'AGS, pour le compte des seuls salariés d'une société en procédure collective, sont effectuées dans le cadre défini par les articles L. 3253-19 et suivants du code du travail. Les dispositions des articles L. 625-1 et L. 625-4 du code commerce, qui ne concernent que les créances visées par les articles L. 3253-8 à L. 3253-13 du code du travail, ne sont en conséquence pas applicables aux créances détenues par l'Adami, lesquelles relèvent de la procédure de vérification prévue aux articles L. 622-24 et R. 624-1 du code de commerce.
16. Pour déclarer recevables les demandes formées par l'Adami aux fins d'obtenir la garantie de l'AGS et sa condamnation à verser au mandataire ad hoc de la société Dune, une avance sur les rémunérations complémentaires dues aux artistes-interprètes, l'arrêt énonce d'abord que les articles L. 3253-20 et L. 3253-21 du code du travail excluent pour le salarié le droit d'agir directement contre les institutions de garantie et lui permettent seulement de demander que les créances litigieuses soient inscrites sur le relevé dressé par le mandataire judiciaire afin d'entraîner l'obligation pour lesdites institutions de verser, selon la procédure légale, les sommes litigieuses entre les mains de celui-ci et qu'en l'occurrence, l'Adami demande à la cour d'ordonner au mandataire ad hoc de la société Dune d'inscrire des créances salariales sur les relevés de créances salariales.
17. Il ajoute que selon l'article 4.11 de ses statuts, entrent dans l'objet social de l'Adami la défense des intérêts matériels et moraux des titulaires de droits qu'elle représente et l'exercice en justice de toute action, tant dans l'intérêt individuel des titulaires de droits que dans l'intérêt collectif des professions des titulaires des droits qu'elle représente, la société étant investie de la mission d'intervenir en justice, tant en demande qu'en défense, de plaider, se désister, traiter, composer, transiger, substituer, compromettre en tout état de cause, constituer tout officier ministériel et utiliser toute voie de recours ou de cassation devant des juridictions françaises et étrangères, en sorte qu'elle est recevable à agir pour la défense des intérêts individuels des artistes-interprètes dont elle justifie qu'ils étaient ses adhérents à la date de saisine de la juridiction prud'homale.
18. Il retient enfin que les créances dont se prévaut l'Adami sont dues en exécution du contrat d'artiste-interprète lequel est présumé être un contrat de travail quel que soit le mode de rémunération et dès lors qu'elles sont exigibles avant l'ouverture de la procédure collective, l'AGS doit sa garantie.
19. En statuant ainsi, alors que l'Adami n'a aucune qualité à agir sur le fondement de l'article L. 625-4 du code de commerce afin d'obtenir que les rémunérations complémentaires dues aux artistes-interprètes en contrepartie de l'exploitation de leurs prestations enregistrées soient garanties par l'AGS, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
21. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond
22. L'Adami n'ayant pas qualité à agir, il y a lieu de la déclarer irrecevable en ses demandes.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, l'arrêt rendu le 23 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DECLARE irrecevable l'Adami en ses demandes ;
CONDAMNE l'Adami aux dépens en ce compris les dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.