LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 mars 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 170 FS-B
Pourvoi n° X 23-20.904
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2025
Mme [U] [K], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 23-20.904 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
2°/ à l'ordre des avocats du barreau de Paris, pris en la personne de son bâtonnier en exercice, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [K], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Chevalier, Mme Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes de Cabarrus, Kass-Danno, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Sara, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2023), le 27 octobre 2021 Mme [K] a sollicité son inscription au tableau de l'ordre des avocats sous le bénéfice des dispenses de formation et de diplôme prévues à l'article 98, 3°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 pour les juristes d'entreprise justifiant de huit années au moins de pratique professionnelle et, à l'article 98,5° du même texte pour les juristes attachés, pendant huit ans au moins, à l'activité juridique d'une organisation syndicale.
2. Par arrêté du 19 avril 2022, le conseil de l'ordre des avocats a accueilli sa demande. Le procureur général a formé un recours concernant la dispense sur le fondement de l'article 98, 3°, du décret précité.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en ses troisième et quatrième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [K] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors « que sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises, qui ont exercé leurs fonctions exclusivement dans un service spécialisé en charge dans l'entreprise de l'étude et de la résolution des problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [K] de sa demande d'inscription au tableau des avocats de Paris, la cour d'appel a estimé que son expérience professionnelle au sein de la Société nouvelle journal l'Humanité (SNJH) ne pouvait être prise en compte au titre des huit années d'exercice pour la raison que la requérante s'occupait dans des proportions importantes de la gestion sociale de l'entreprise, notamment en traitant des contentieux individuels et collectifs du travail, en rédigeant des accords collectifs de travail et documents internes à la société ayant trait à la vie sociale et en contribuant à l'organisation des élections professionnelles, et n'exerçait donc pas à titre exclusif des fonctions répondant aux problèmes juridiques posés par l'activité de l'entreprise ; qu'en statuant ainsi, quand la circonstance que, parmi les attributions de la requérante, figuraient notamment des tâches ayant trait à la vie sociale de l'entreprise, ne pouvait à elle seule exclure la prise en compte de cette expérience professionnelle au titre des huit années requises de pratique professionnelle au sein d'un service juridique d'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 98, 3° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat.
Réponse de la Cour
Vu les articles 93 et 98, 3°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
5. Selon le premier de ces textes, peuvent être inscrites au tableau d'un barreau les personnes bénéficiant d'une des dispenses de l'article 98 et ayant subi avec succès l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle.
6. Il résulte du second de ces textes que peuvent bénéficier de la dispense de la formation pratique et théorique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, les juristes ayant exercé exclusivement une activité au sein d'un service spécialisé de l' entreprise chargé des problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci.
7. L'activité consistant, pour le juriste affecté exclusivement à un service juridique de l'entreprise, à apporter ses compétences en droit social au service en charge de la gestion du personnel, relève du traitement des problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci.
8. Pour rejeter la demande d'inscription de Mme [K], après avoir relevé qu'elle avait travaillé, du 6 mai 2013 à novembre 2015,en qualité de juriste d'entreprise au sein du service juridique de la Société nouvelle du journal l'Humanité (l'entreprise) rattaché à la direction de l'entreprise et dont elle était la seule membre, l'arrêt retient que, nonobstant son autonomie et la diversité de ses compétences juridiques, Mme [K] s'occupait dans des proportions importantes de la gestion sociale de l'entreprise, notamment en traitant des contentieux individuels et collectifs du travail, en rédigeant des accords collectifs de travail et documents internes à la société ayant trait à la vie sociale, et en contribuant à l'organisation des élections professionnelles, de sorte qu'elle n'exerçait pas à titre exclusif des fonctions répondant aux problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-cinq.