LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CR12
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 mars 2025
Cassation sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 173 F-B
Pourvoi n° C 23-23.255
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2025
Le préfet de l'Aisne, domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 23-23.255 contre l'ordonnance rendue le 5 octobre 2023 par le premier président de la cour d'appel d'Amiens dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Y] [K], domicilié [Adresse 3],
2°/ à l'Établissement public de santé mentale départemental (EPSMD) de l'Aisne, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ au procureur général près la Cour d'appel d'Amiens, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du préfet de l'Aisne, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Amiens, 5 octobre 2023) et les productions, le 15 mars 2022, M. [K] a été admis en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète à l'Etablissement public de santé mentale départemental de l'Aisne, par arrêté provisoire du maire de [Localité 5], confirmé par un arrêté du préfet de l'Aisne du 16 mars 2022, en application de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique.
2. Le 14 juillet 2022, M. [K] a fugué de l'établissement. La mesure d'hospitalisation complète a été maintenue par deux ordonnances des 23 septembre 2022 et 21 mars 2023.
3. Le 13 juillet 2023, à l'issue de deux avis médicaux des 12 et 17 mai 2023 préconisant une mainlevée de la mesure de soins en raison de la fugue du patient, le préfet a maintenu la mesure de soins.
4. Le 4 septembre 2023, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins qu'il soit statué sur la mesure.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le préfet fait grief à l'ordonnance de déclarer irrégulière la procédure d'hospitalisation complète poursuivie postérieurement à l'avis médical du 17 mai 2023 et de prononcer la mainlevée de la mesure de soins psychiatriques sans consentement, alors « que le représentant de l'État n'est tenu de lever une mesure de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète sur le fondement de l'article L. 3213-9-1 du code de la santé publique que si un second psychiatre confirme l'absence de nécessité de l'hospitalisation, dans un avis qui doit être précis et nécessairement motivé au regard des soins nécessités par les troubles mentaux de la personne intéressée et des incidences éventuelles de ces troubles sur la sûreté des personnes ; qu'en jugeant, pour ordonner la mainlevée de la mesure d'hospitalisation de M. [K], que le Préfet aurait eu l'obligation de l'ordonner, car il ne lui aurait pas appartenu d'apprécier l'« avis médical » établi par le docteur [N] et, par motifs réputés adoptés, que l'avis des psychiatres pourrait placer le représentant de l'État en situation decompétence liée pour n'importe quel motif, quand il s'évinçait de ses propres constatations que le docteur [N] avait conclu que la mainlevée de cette mesure aurait été « justifiée » uniquement en raison de l'impossibilité d'évaluer l'état de santé de M. [K], car il était introuvable depuis sa fugue en juillet 2022, ce dont il résultait que, ne s'étant pas vu adresser un second avis confirmant l'absence de nécessité de cette mesure au regard des soins nécessités par ses troubles mentaux et des incidences éventuelles de ces troubles sur la sûreté des personnes, que ce psychiatre concédait ignorer totalement, le Préfet n'était pas tenu d'ordonner la mainlevée de cette mesure, le Premier président a violé l'article L. 3213-9-1 du code de la santé publique, ensemble l'article R. 3213-3 du même code »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3213-9-1 et R. 3213-3 du code de la santé publique :
6. Selon le I du premier de ces textes, si un psychiatre participant à la prise en charge du patient atteste par un certificat médical qu'une mesure de soins psychiatriques sous la forme d'une hospitalisation complète n'est plus nécessaire et que la mesure de soins sans consentement peut être levée, le directeur de l'établissement d'accueil en réfère dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département. Selon le II de ce texte, si le représentant de l'Etat décide de ne pas suivre cet avis, il en informe sans délai le directeur de l'établissement d'accueil, qui demande immédiatement l'examen du patient par un deuxième psychiatre. Selon le III, lorsque l'avis du deuxième psychiatre confirme l'absence de nécessité de l'hospitalisation complète, le représentant de l'Etat ordonne la levée de la mesure ou décide d'une prise en charge sous la forme d'un programme de soins, conformément à la proposition figurant dans le certificat médical.
7. Selon le second, lorsque les certificats et avis médicaux concluent à la nécessité de lever une mesure d'hospitalisation complète, ils sont motivés au regard des soins nécessités par les troubles mentaux de la personne intéressée et des incidences éventuelles de ces troubles sur la sûreté des personnes.
8. Il résulte de ces textes que le représentant de l'État n'est tenu de lever une mesure de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète que si un second psychiatre confirme qu'une telle hospitalisation ne s'impose plus au regard des soins nécessités par les troubles mentaux de la personne et des incidences éventuelles de ces troubles sur la sûreté des personnes et que tel n'est pas le cas d'un avis motivé par le seul constat de la fugue du patient.
9. Pour déclarer irrégulière la procédure d'hospitalisation complète poursuivie postérieurement à l'avis médical du 17 mai 2023 et prononcer la mainlevée de la mesure de soins psychiatriques, l'ordonnance retient qu'il n'appartient pas au préfet d'apprécier l'avis médical du second psychiatre établi en application de l'article L. 3213-9-1 et que ce texte lui impose d'ordonner la mainlevée de la mesure en présence de deux avis médicaux concordants.
10. En statuant ainsi, après avoir constaté que les avis des psychiatres ne comportaient aucune motivation médicale en raison de la fugue de M. [K] et de l'impossibilité d'évaluer son état de santé, le premier président a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, les délais légaux étant expirés
PAR CES MOTIFS, la Cour, sans qu'il y'ait lieu de statuer sur le grief de la première branche :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 5 octobre 2023, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elles exposés ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-cinq.