LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 avril 2025
Rejet
M. PONSOT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 193 F-D
Pourvoi n° B 23-23.553
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 AVRIL 2025
La Société d'exploitation de la bijouterie Danesi, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 23-23.553 contre l'arrêt rendu le 15 novembre 2023 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [E] [J], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à la société Pa investments, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Lacaussade, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Société d'exploitation de la bijouterie Danesi, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de Mme [J] et de la société Pa investments, après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Lacaussade, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 15 novembre 2023), par lettres recommandées du 22 septembre 2020, reçues entre le 26 et le 30 septembre suivant, Mme [J], associée au sein de la Sarl d'exploitation de la bijouterie Danesi (la société Danesi), lui a notifié, ainsi qu'à chacun des associés, un projet de cession de ses parts sociales à la société Pa investments (la société PA), tiers à la société, et leur a demandé d'agréer celle-ci comme nouvel associé.
2. Le 13 novembre 2020, Mme [J] a assigné la société Danesi, aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc pour convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour de statuer sur sa demande d'agrément.
3. Le 30 novembre 2020, Mme [H], gérante de la société Danesi, a procédé à une consultation écrite des associés sur ce projet, en leur demandant de lui donner réponse pour le 20 décembre suivant, au plus tard.
4. Mme [J] ayant qualifié cette consultation de « déloyale et biaisée » dans une lettre du 7 décembre 2020, la gérante de la société Danesi a adressé, le 14 décembre 2020, une nouvelle demande aux associés, en leur impartissant un délai expirant le 6 janvier 2021, pour répondre.
5. Le 1er février 2021, Mme [J] s'est désistée de l'instance introduite le 13 novembre 2020.
6. Le 19 février 2021, la société Danesi a notifié à Mme [J] le refus d'agrément de la société PA.
7. Se prévalant d'un agrément tacite, faute de réponse dans le délai légal de trois mois de la réception du projet de cession, Mme [J] a assigné la société Danesi aux fins de voir reconnaître à la société PA la qualité d'associée et se voir autoriser à lui céder ses parts selon les modalités prévues à son projet du 22 septembre 2020.
8. La société PA est intervenue volontairement à l'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. La société Danesi fait grief à l'arrêt de constater que la société PA est agréée en qualité de nouvelle associée en application des dispositions de l'article L. 223-14 du code de commerce et de constater que la cession de parts sociales telle que prévue dans le projet notifié le 22 septembre 2020 par Mme [J] au profit de la société PA peut être valablement réalisée, alors « que, si par principe, les parts d'une société à responsabilité limitée ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société que dans les conditions et selon les modalités prescrites par l'article L. 223-14 du code de commerce, il en va autrement lorsque le gérant, tenu de procéder à une consultation écrite en raison de l'épidémie de covid-19, se voit imposer l'obligation d'accorder aux associés, en application de l'article R. 223-22 du code de commerce, un délai minimal de quinze jours, à compter de la date de réception des projets de résolution, pour émettre leur vote par écrit ; qu'en l'espèce, il était constant que les associés de la société avaient été informés par Mme [J] de son projet de cession de parts, le 30 septembre 2020, et que la société avait été contrainte de procéder, sur sa demande, à une nouvelle consultation écrite, le 14 décembre 2020, en annulation et remplacement de celle déjà effectuée le 30 novembre 2020, ce qui avait contraint la société à proposer, en raison de la nécessité de respecter un délai minimal de quinze jours, un délai de réponse au 6 janvier 2021 ; qu'en conséquence, il ne pouvait plus être tenu compte de la date du 31 décembre 2020 comme date butoir de la procédure d'agrément ; qu'en jugeant cependant que la société Danesi n'avait pas fait connaître sa décision sur le projet de cession notifié par Mme [J] dans le délai de 3 mois, soit avant le 31 décembre 2020, et, qu'en conséquence, son consentement à la cession était réputé acquis, la cour d'appel a violé les articles L. 223-14 et R. 223-22 du code commerce et les articles 4 et 6 de l'ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19. »
Réponse de la Cour
11. Selon l'article L. 223-14 du code de commerce les parts sociales d'une société à responsabilité limitée ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. Lorsque la société comporte plus d'un associé, le projet de cession de part sociale à des tiers est notifié à la société et à chacun des associés. Si la société n'a pas fait connaître sa décision dans le délai de trois mois à compter de la dernière des notifications prévues au présent alinéa, le consentement à la cession est réputé acquis.
12. Ces dispositions étant d'ordre public, il ne peut y être dérogé.
13. Après avoir relevé que le délai de trois mois à compter de la dernière notification du projet de cession fait à la société et aux associés, prévu à l'article L. 223-14 précité, expirait le 31 décembre 2020, l'arrêt retient exactement que le délai minimal de quinze jours, prévu à l'article R. 223-12 du code de commerce, pour permettre aux associés consultés par écrit de se prononcer, ne peut avoir pour effet de prolonger le délai légal de trois mois précité. Il ajoute que la gérante, qui avait connaissance des conséquences attachées à l'expiration, le 31 décembre 2020, de ce délai de trois mois, aurait dû procéder plus tôt à la consultation des associés et qu'elle disposait d'un délai suffisant pour le faire.
14. En l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel a exactement retenu que la réponse donnée le 19 février 2021 ne satisfaisait pas aux exigences de ces textes, et qu'il appartenait à la gérante, qui en avait la possibilité, d'organiser la consultation écrite des associés de manière à permettre le respect du délai légal de trois mois enserrant la procédure d'agrément, tout en laissant à ces derniers un délai minimal de quinze jours pour prendre leur décision.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
16. La société Danesi fait le même grief à l'arrêt, alors « que le cessionnaire de parts d'une société à responsabilité limitée peut renoncer au délai de trois mois dans lequel, après notification de son projet de cession, la société doit prendre sa décision ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si en se rétractant de la procédure accélérée au fond qu'elle avait initiée aux fins de désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée des associés, au motif que la nouvelle consultation écrite, datée du 14 décembre 2020, qui fixait comme date de réponse à la consultation le 6 janvier 2021, avait été faite dans les formes idoines, Mme [J] n'avait pas entendu renoncer à se prévaloir de l'expiration du délai de trois mois initialement fixé au 31 décembre 2020, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 223-14 et R. 223-22 du code commerce et des articles 4 et 6 de l'ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de Covid-19. »
Réponse de la Cour
17. Après avoir relevé qu'à aucun moment, dans un document ou un courriel, Mme [J] n'avait entendu accepter un report de délai ou une prorogation de celui-ci et que, bien au contraire, son avocat avait rappelé, dans une lettre du 7 décembre 2020 que la date butoir était le 31 décembre 2020, l'arrêt retient que le fait que Mme [J] ait été à l'initiative d'une nouvelle consultation des associés par la gérante de la société, se substituant à celle du 30 novembre 2020, ne pouvait être constitutif d'un accord de sa part pour différer le délai de réponse. L'arrêt en déduit que la société Danesi n'a pas fait connaître sa décision sur le projet de cession notifié par Mme [J] dans le délai légal de trois mois, de sorte que le consentement à la cession est réputé acquis.
18. La cour d'appel, qui a ainsi procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Danesi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Danesi et la condamne à payer à Mme [J] et la société Pa investments la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.