LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 avril 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 366 F-D
Pourvois n°
B 23-20.425
C 23-20.978 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 AVRIL 2025
I. M. [V] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 23-20.425 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2023 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Meubles Ikea France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2].
II. La société Meubles Ikea France a formé le pourvoi n° C 23-20.978 contre les arrêts rendus les 18 janvier et 28 juin 2023 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [V] [T].
Le demandeur au pourvoi n° B 23-20.425 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° C 23-20.978 invoque, à l'appui de son recours, six moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [T], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Meubles Ikea France, après débats en l'audience publique du 5 mars 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président
et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu
le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° B 23-20.425 et C 23-20.978 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Reims,18 janvier et 28 juin 2023), M. [T] a été engagé par la société Meubles Ikea France (la société) le 14 octobre 1985 et a exercé les fonctions de directeur du magasin de [Localité 3] à compter du 1er septembre 2014 jusqu'à son admission à la retraite le 1er août 2020.
3. Considérant que les sommes perçues au titre du programme spécifique d'intéressement dénommé Value Added Participation Share (VAPS), auquel il avait adhéré en 2014, étaient de nature salariale et devaient être intégrées à l'assiette de calcul de son indemnité de départ à la retraite, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'un rappel d'indemnité de départ volontaire à la retraite, de cotisations de retraite afférentes et de dommages-intérêts pour perte de droits à la retraite.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, cinquième et sixième moyens du pourvoi n° C 23-20.978 de l'employeur
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen du pourvoi n° C 23-20.978
Enoncé des moyens
5. L'employeur fait grief à l'arrêt du 28 juin 2023 de le condamner à payer au salarié certaines sommes à titre de solde de l'indemnité de départ à la retraite et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, de lui ordonner de procéder à la régularisation des cotisations sociales et de retraite afférentes à cette somme, de fournir au salarié la preuve de sa régularisation et de le condamner à lui remettre un bulletin de paie rectificatif, alors « qu'il résulte de l'article 40-1 de ''l'accord interne'' applicable au sein de la société Meubles Ikea France que l'indemnité de départ volontaire à la retraite est fonction de la rémunération des douze ou des trois derniers mois ; que constitue une rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier ; que tel n'est pas le cas des revenus générés à la suite de la participation, individuelle, volontaire et facultative, du salarié à un programme supposant d'engager ses deniers personnels et comportant un risque en capital, peu important que la faculté d'y souscrire ait été en lien avec son emploi ; qu'ainsi, ne constitue pas une rémunération entrant dans l'assiette de l'indemnité de départ volontaire à la retraite susvisée, les sommes perçues en application de la convention VAPS, distincte du contrat de travail et répondant à des conditions spécifiques notamment de rupture, signée par le directeur d'un magasin Ikea dont l'établissement était éligible à ce programme de participation aux résultats défini par la société mère du groupe et non par son employeur la société Meubles Ikea France ; qu'en effet ces revenus étaient aléatoires et conditionnés par un engagement pécuniaire pouvant se solder par la perte du capital investi, et non pas payées raison de l'activité salariée, rémunérée par ailleurs selon les stipulations prévues par le contrat de travail ; qu'en retenant le contraire au prétexte que ''Certes, l'intimé devait verser à l'appelante un dépôt financier intitulé « max VAPS value ». Toutefois, le bonus est fonction de l'évolution du résultat du magasin et il n'est constitué que dans le cas où cette évolution est supérieure à celle des magasins comparables. Autrement dit, la constitution du bonus dépend plus du travail de l'intimé que de son investissement financier. De plus, l'article 3.1 de l'accord stipule expressément que ce bonus est versé en tant que salaire au participant. Le document de présentation intitulé « participation à la valeur ajoutée (VAPS) » de mars 2016 précise également que le règlement financier se fera sous forme de salaire. D'ailleurs, le paiement était comptabilisé sur le bulletin de paie et était soumis à charges sociales et salariales'', ''le bonus VAPS'' devant être ''considéré comme une rémunération liée à la performance du magasin et par voie de conséquence, de son directeur'', la cour d'appel a violé l'article L. 3221-3 du code du travail et l'accord collectif susvisé. »
Réponse de la Cour
6. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est-à-dire, d'abord, en respectant la lettre du texte, ensuite, en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.
7. Selon l'article 40.1 de l'accord interne d'entreprise du 30 janvier 1996, une indemnité de départ en retraite sera versée à tout salarié âgé de plus de 60 ans et quittant volontairement l'entreprise, dès lors qu'il justifie d'au moins 20 ans d'ancienneté dans l'entreprise. Le calcul de l'indemnité de départ volontaire sera effectué sur les mêmes bases que l'indemnité de licenciement pour motif personnel, divisée par deux.
8. Selon l'article 39 de ce même texte, sauf faute grave ou lourde, il sera alloué aux agents de maîtrise, cadres et assimilé, justifiant à la date du licenciement d'un an d'ancienneté ininterrompue au service de l'employeur une indemnité selon un coefficient à appliquer au salaire mensuel moyen, étant précisé que le salaire pris en considération pour le calcul de l'indemnité est le douzième de la rémunération des douze derniers mois, précédant le licenciement ou selon la formule la plus avantageuse pour l'intéressé des trois derniers mois, étant entendu que dans ce cas toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel qui aura été versé au salarié pendant cette période ne sera prise en compte que prorata temporis.
9. Ayant relevé que le bonus VAPS avait été mis en place par un accord du 1er juillet 2014 intitulé « participation aux résultats du magasin », qu'en application de l'article 3.1 de cet accord, le bonus était versé en tant que salaire, que le document de présentation intitulé « participation à la valeur ajoutée (VAPS) » de mars 2016 précisait que le règlement financier se ferait sous forme de salaire, que le montant du bonus était fonction de l'évolution du résultat du magasin dont le salarié était le directeur, qu'il était soumis à charges sociales et que son paiement était comptabilisé sur le bulletin de paie, la cour d'appel, qui a retenu que ce bonus VAPS dépendait plus du travail de l'intéressé que de son investissement financier, faisant ressortir qu'il constituait un élément de rémunération, en a exactement déduit qu'il entrait dans l'assiette de calcul de l'indemnité de départ volontaire à la retraite.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen du pourvoi n° C 23-20.978
Enoncé du pourvoi
11. L'employeur fait grief à l'arrêt du 28 juin 2023 de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral né de l'exécution déloyale de son contrat de travail, de lui ordonner de procéder au versement à l'organisme concerné de cotisations de retraite supplémentaires correspondant au bonus versé en décembre 2019, dans la limite des plafonds correspondant à la tranche C, et de remettre au salarié un bulletin de paie rectificatif, alors « que l'article 5 de la décision unilatérale instaurant le régime de retraite supplémentaire à cotisations définies précise que ''Le salaire annuel de l'adhérent est constitué, de manière strictement limitative, par le traitement de base et la rémunération variable liée à la performance, à l'exclusion de toute autre forme de rémunération, directe ou indirecte, soumise ou non à impôt et à charges sociales. De même, est exclue du salaire de référence toute somme qui, à cette date, ne peut être qualifiée de salaire au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et qui pourrait, ultérieurement à la mise en place du présent régime, revêtir une telle qualification'' ; que ne rentrent pas dans la base de calcul de ces cotisations de retraite supplémentaire les sommes perçues en application de la convention VAPS, distincte du contrat de travail et répondant à des conditions spécifiques notamment de rupture, conclue par le directeur d'un magasin Ikea dont l'établissement était éligible au programme défini par la société mère du groupe et non par son employeur la société Meubles Ikea France, ces revenus étant aléatoires et conditionnés par un engagement pécuniaire pouvant se solder par la perte du capital investi, et non pas payées en raison de l'activité salariée, rémunérée par ailleurs selon les stipulations prévues par le contrat de travail ; qu'en retenant le contraire au prétexte que ''Certes, l'intimé devait verser à l'appelante un dépôt financier intitulé « max VAPS value ». Toutefois, le bonus est fonction de l'évolution du résultat du magasin et il n'est constitué que dans le cas où cette évolution est supérieure à celle des magasins comparables. Autrement dit, la constitution du bonus dépend plus du travail de l'intimé que de son investissement financier. De plus, l'article 3.1 de l'accord stipule expressément que ce bonus est versé en tant que salaire au participant. Le document de présentation intitulé « participation à la valeur ajoutée (VAPS) » de mars 2016 précise également que le règlement financier se fera sous forme de salaire. D'ailleurs, le paiement était comptabilisé sur le bulletin de paie et était soumis à charges sociales et salariales'', ''le bonus VAPS'' devant être ''considéré comme une rémunération liée à la performance du magasin et par voie de conséquence, de son directeur'', la cour d'appel a violé l'article L. 3221-3 du code du travail et la décision unilatérale de l'employeur susvisée. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel, après avoir relevé que l'article 5 de la décision unilatérale instaurant le régime de retraite complémentaire prévoyait des cotisations dont le montant dépendait de la tranche du salaire annuel de l'adhérent et précisait que ce salaire annuel était constitué, de manière strictement limitative, par le traitement de base et la rémunération variable liée à la performance, a retenu que le bonus VAPS ne représentait pas le traitement de base mais qu'il devait être considéré comme une rémunération liée à la performance du magasin et par voie de conséquence, de son directeur.
13. Elle en exactement déduit que ce bonus devait être intégré à la base de calcul des cotisations de retraite complémentaire.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi n° B 23-20.425 du salarié, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
15. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à certaines sommes celles allouées à titre de solde de l'indemnité de départ à la retraite et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, alors « que l'exposant sollicitait que soit prise en considération, pour la détermination du salaire moyen de référence des douze derniers mois permettant le calcul de l'indemnité de départ en retraite qui lui était due, la somme versée au mois de décembre 2019 au titre de la VAPS ; que pour s'opposer à l'intégration de cette somme dans le salaire de référence, la société Meubles Ikea France se bornait à faire valoir que ''les sommes perçues dans le cadre de la convention VAPS ne font pas partie du salaire de M. [T] et ne peuvent être prises en compte dans le calcul des indemnités de départ à la retraite'' ; que la cour d'appel, qui a exactement retenu que ''la somme versée à ce titre doit entrer dans l'assiette de calcul de l'indemnité de départ volontaire à la retraite'', a néanmoins réintégré dans cette assiette la seule somme de 32 391,66 euros correspondant selon elle au bonus du mois d'août 2019 au motif que ''la période de référence pour le calcul du salaire de référence servant de base de calcul de l'indemnité de départ volontaire à la retraite étant comprise entre août 2019 et juillet 2020, il convient de prendre en compte le bonus VAPS mensuel pour cette période'' ; qu'en fondant sa décision sur ce moyen soulevé d'office sans mettre les parties en mesure d'en débattre, la cour d'appel qui a méconnu le principe du contradictoire a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
16. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
17. Pour déterminer la somme allouée à titre de solde de l'indemnité de départ à la retraite, l'arrêt retient que la somme perçue au titre de la VAPS ne doit être prise en compte que prorata temporis conformément aux dispositions de l'article 39 de l'accord interne, que le salarié a fait valoir ses droits à la retraite en août 2020, que la moyenne la plus avantageuse des salaires est le douzième de la rémunération des douze derniers mois, précédant le licenciement puisque cette moyenne englobe le bonus litigieux versé en décembre 2019.
18. L'arrêt relève que selon le bulletin de paie de décembre 2019, le salarié a perçu la somme de 1 201 000 euros à titre de « revenus différé 2016 » correspondant au bonus VAPS et que cette somme a été attribuée, selon courrier du 7 juillet 2017 du référent expert paie, pour la période courant de septembre 2014 à août 2019. Il ajoute que la période de référence pour le calcul du salaire de référence servant de base de calcul de l'indemnité de départ volontaire à la retraite étant comprise entre août 2019 et juillet 2020, il convient de prendre en compte le bonus VAPS mensuel pour cette période.
19. Il retient que le bonus était de 388 700 euros pour la période de septembre 2018 à août 2019, ce qui représente un bonus mensuel de 32 391,66 euros, que le bonus qu'il faut intégrer aux salaires est donc celui du seul mois d'août 2019, soit la somme de 32 391,66 euros, qu'au total, l'assiette de calcul de l'indemnité se monte à 170 190,35 euros annuel soit 14 182,60 euros mensuels incluant l'avantage en nature.
20. Il relève enfin qu'en appliquant le coefficient de 10,85 prévu par l'accord, c'est une indemnité de 76 940,22 euros qui est due. Il conclut que compte tenu de la somme de 61 567,17 euros déjà perçue par le salarié à ce titre, l'employeur sera condamné à lui verser la somme de 15 373,05 euros à titre de solde l'indemnité de départ à la retraite.
21. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur la prise en compte prorata temporis de la somme perçue au titre de la VAPS pour le calcul de l'indemnité de départ à la retraite, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
REJETTE le pourvoi n° C 23-20.978 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à la somme de 15 373,05 euros le solde de l'indemnité de départ à la retraite et à celle de 5 000 euros le montant des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral né de l'exécution déloyale du contrat de travail au paiement desquels il condamne la société Meubles Ikea France au profit de M. [T], l'arrêt rendu le 28 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Meubles Ikea France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Meubles Ikea France et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.