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02/04/2025 | FRANCE | N°52500372

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 02 avril 2025, 52500372


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CZ






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 2 avril 2025








Cassation partielle




Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 372 F-D


Pourvoi n° T 23-23.614








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI

S
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 AVRIL 2025


La société Erganeo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Satt Ile-de-France innov, ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 avril 2025

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 372 F-D

Pourvoi n° T 23-23.614

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 AVRIL 2025

La société Erganeo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Satt Ile-de-France innov, a formé le pourvoi n° T 23-23.614 contre l'arrêt rendu le 25 octobre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant à M. [B] [J], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

M. [J], a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Erganeo, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [J], après débats en l'audience publique du 5 mars 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, ayant voix délibérative, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L.431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 2023), M. [J] a été engagé en qualité de business developper, statut cadre, par la société Satt Ile-de-France innov désormais dénommée Erganeo, à compter du 1er mars 2012. Suivant avenant du 1er octobre 2012, il a été soumis à une convention de forfait en jours.

2. Le 1er mai 2013, le salarié a été nommé aux fonctions de directeur de la business unit.

3. Ayant pris acte le 3 avril 2018 de la rupture de son contrat de travail, le salarié a, le 13 août 2018, saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de la rupture du contrat de travail et en paiement de diverses sommes au titre de son exécution.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur et les deuxième et troisième moyens du pourvoi incident du salarié

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le cinquième moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, alors « que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de manquements de l'employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition du travail dans le temps, et donc, de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé de son salarié, ainsi qu'il y était tenu ; qu'elle a relevé que le salarié avait effectué de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui avaient pas été payées ; qu'elle a encore constaté que le salarié avait été victime d'une inégalité de traitement en matière de rémunération fixe, et que la société Erganeo ne s'était pas non plus acquittée de toutes les sommes dues au titre de sa rémunération variable ; qu'en jugeant pourtant que la prise d'acte devait produire les effets d'une démission, lorsque les manquements ainsi relevés étaient suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat du travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1 et L. 1237-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. ll ne ressort ni des énonciations de l'arrêt ni des écritures du salarié que celui-ci ait invoqué devant la cour d'appel la gravité des manquements de l'employeur à ses obligations en matière d'amplitude et de charge de travail, d'égalité de traitement salarial, de paiement d'heures supplémentaires et de paiement de la rémunération variable au soutien de sa demande tendant à faire juger que sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

7. Le moyen, nouveau, mélangé de fait et de droit, est irrecevable.

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et tendant à juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, alors :

« 1°/ que méconnaît son obligation de sécurité l'employeur qui n'établit pas de document unique d'évaluation des risques professionnels et n'informe pas les salariés de l'existence d'un tel document ; qu'en l'espèce, aux termes des comptes rendus de réunion du délégué du personnel des 14 novembre 2017, 9 janvier 2018 et 11 avril 2018, l'employeur avait admis qu'il n'existait pas de document unique d'évaluation des risques professionnels au sein de l'entreprise, que sa création avait finalement été confiée à un prestataire et qu'il ne serait accessible à tous que le 16 avril 2018 ; qu'en relevant, pour estimer que l'employeur avait pris toutes les mesures de prévention prévues en matière d'obligation de sécurité, l'existence d'un document unique d'évaluation des risques du 7 février 2018, sans rechercher s'il ne résultait pas des déclarations de l'employeur lui-même que le document litigieux n'existait pas et à tout le moins n'avait pas été porté à la connaissance des salariés avant avril 2018, soit postérieurement à la prise d'acte de M. [J] et aux nombreuses alertes émises par ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;

2°/ que les juges du fond sont tenus d'examiner les éléments produits par les parties ; qu'en l'espèce, M. [J] faisait valoir que dès le mois de novembre 2016, l'employeur avait été alerté de la situation et qu'il avait attendu plusieurs mois sans rien faire avant de se saisir de la question ; qu'à ce titre, le salarié se prévalait notamment de l'attestation de Mme [G] laquelle exposait qu' en novembre 2016, j'ai été reçue par [E] [D] alors devenu DGA. Lors de cet entretien, je l'ai alerté des pressions que subissait [B] [J] par les comportements de Mme [A] et de [W] [K]" ; qu'en relevant que l'employeur n'avait été alerté qu'en août 2017 de la situation vécue par M. [J], sans s'expliquer sur cet élément versé aux débats par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; qu'il ne prouve avoir rempli cette obligation légale que s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ; qu'en l'espèce, M. [J] faisait valoir qu'il avait alerté son employeur sur la situation qu'il traversait dès novembre 2016 et se prévalait à ce titre d'un courrier du 23 novembre 2016 aux termes duquel il indiquait à sa direction que Je refuse de vivre 2017 comme j'ai vécu 2016" ; que pour considérer que le salarié n'avait alerté l'employeur que par mail des 30 août et 6 novembre 2017 de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, la cour d'appel s'est bornée à relever que le mail de novembre 2016 ne pouvait constituer une alerte car il était rédigé de façon maladroite et car il ne faisait pas expressément référence à la notion juridique de harcèlement moral ; qu'en statuant par de tels motifs inopérants, lorsqu'il résultait du courrier litigieux que M. [J] avait informé son employeur du fait qu'il avait très mal vécu l'année 2016, de sorte que son employeur devait se saisir de la question et mettre en place, dès cette date, des mesure propres à assurer la sécurité et la santé du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;

4°/ que les juges du fond sont tenus d'examiner les éléments produits par les parties ; qu'en l'espèce, pour prouver que de nombreux départs de l'entreprise étaient dus à l'existence d'une situation de risques psychosociaux non prise en charge par l'employeur, M. [J] se prévalait notamment de l'attestation de M. [R] qui indiquait que les conditions de travail à compter de l'arrivée de Mme [A] l'avaient conduit, sentant poindre en conséquence un début de mal être", à accepter une offre d'embauche à l'extérieur, ainsi que l'attestation de M. [L] relatant que lors de l'annonce de ma décision de quitter la société en août auprès de la présidente Mme [K], j'ai indiqué que la cause de ma démission était l'arrivée de Mme [A], sa toxicité, son incompétence et la désorganisation de l'activité de business developpement de la BU 3S en résultant" ; qu'en jugeant qu'il résultait des comptes rendus de sortie, établis unilatéralement par l'employeur, que les départs des chefs de projet ainsi que le turn over des salariés au cours de la période ne s'expliquaient pas par l'existence d'une situation de risques psychosociaux au sein de la BU 3S mais surtout par d'autres opportunités professionnelles, sans avoir examiné ces pièces versées aux débats par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; qu'il ne prouve avoir rempli cette obligation légale que s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté l'existence de relations conflictuelles entre M. [J] et Mme [A] qui n'ont eu de cesse de se dégrader au cours des années 2016 et 2017, la mésentente et la lutte de pouvoir en résultant, ainsi que les répercussions engendrées sur les membres de leurs équipes respectives, ayant atteint un tel niveau au cours du second semestre de l'année 2017 que les deux salariés avaient respectivement alerté leur hiérarchie de l'existence de faits de harcèlement moral dont ils s'estimaient avoir été victimes ; que pour écarter tout manquement de l'employeur, la cour d'appel s'est bornée à relever que ce dernier avait pris les mesures immédiates propres à faire cesser et/ou à traiter la situation en résultant" ; qu'en statuant de la sorte, sans constater que l'employeur avait pris les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

9. Sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, au terme de laquelle elle a retenu que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de sécurité.

Mais sur le quatrième moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect du repos quotidien de onze heures consécutives, alors « que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation ; qu'en l'espèce, M. [J] faisait valoir, en produisant le relevé détaillé des heures supplémentaires qu'il avait été contraint d'accomplir, qu'il avait été privé à de nombreuses reprises de son repos quotidien de onze heures consécutives ; qu'en se bornant, pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts, à retenir que ce dernier ne justifiait ni du principe ni du quantum du préjudice invoqué au titre du non-respect du repos quotidien", sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si le salarié avait été privé de son droit au repos quotidien, ce qui aurait suffi à justifier son droit à réparation, sans qu'il puisse lui être imposé de rapporter une preuve supplémentaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3131-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3131-1 du code du travail :

11. Selon ce texte, tout salarié doit bénéficier d'un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives.

12. Cette disposition participe de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

13. Pour rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts pour violation du temps de repos quotidien, l'arrêt retient, après avoir rappelé que l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond s'agissant du non-respect des temps de pause ainsi que du non-respect de la durée légale du travail et des repos, que le salarié ne justifie, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part ses propres affirmations, ni du principe ni du quantum du préjudice invoqué au titre du non-respect du repos quotidien.

14. En statuant ainsi, alors que le dépassement de la durée maximale de travail et le non-respect du droit au repos qui en résulte ouvrent, à eux seuls, droit à la réparation, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que l'employeur justifiait avoir respecté la durée hebdomadaire maximale de travail, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. [J] en paiement de dommages-intérêts pour non-respect du temps de repos quotidien, l'arrêt rendu le 25 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Erganeo aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Erganeo et la condamne à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52500372
Date de la décision : 02/04/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 25 octobre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 02 avr. 2025, pourvoi n°52500372


Composition du Tribunal
Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Françoise Fabiani - François Pinatel , SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:52500372
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