LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 373 F-D
Pourvoi n° T 24-13.958
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
La société SNCF voyageurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de l'EPIC SNCF mobilités, a formé le pourvoi n° T 24-13.958 contre l'arrêt rendu le 1er février 2024 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [X] [S], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société SNCF voyageurs, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [S], après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 1er février 2024), M. [S] a été engagé, en qualité d'agent commercial, le 11 juin 2001 par l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF mobilités, aux droits duquel se trouve la société SNCF voyageurs.
2. Par lettre du 15 octobre 2018, l'employeur lui a notifié sa radiation des cadres.
3. Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société SNCF voyageurs fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié la somme de 28 400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié, et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, et que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ; que les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de cette Convention ; que, pour condamner la société SNCF voyageurs au paiement d'une somme supérieure au montant maximal prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail eu égard à l'ancienneté et au salaire du salarié, la cour d'appel s'est fondée sur son âge, l'impossibilité de valider son diplôme BJEPS, son absence d'emploi stable, sa situation financière et la perte des avantages liées à l'emploi perdu, notamment les facilités de circulation pour lui et sa famille ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux fixés par l'article L. 1235-3 du code du travail, elle a violé ce texte, ensemble l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les articles L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail et l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 ;
2°/ que sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct si elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et si, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers ; que la Charte sociale européenne énonce dans sa partie I que ''les parties reconnaissent comme objectif d'une politique qu'elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l'exercice effectif des droits et principes'' ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement ; que, selon l'article 24 de la Charte sociale européenne, ''en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître (?) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée'' ; qu'il résulte des dispositions de cette Charte que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application selon les modalités énoncées dans l'article 24.4 de la partie II, stipulant que ''l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales'' et dans l'annexe de la Charte, précisant, à l'article I de la partie V, que ''les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par : a) la législation ou la réglementation ; b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d'employeurs et organisations de travailleurs ; c) une combinaison de ces deux méthodes ; d) d'autres moyens appropriés'', dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique prévu dans la partie III de l'annexe stipulant : ''Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV'', laquelle prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives ; que, dès lors, les dispositions de la Charte sociale européenne ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers et l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application de celles de l'article L. 1235-3 du code du travail ; qu'en retenant que les barèmes énoncés à l'article L. 1235-3 du code du travail sont contraires à l'article 24 de la Charte en ce qu'ils ne permettent pas une indemnisation adéquate du salarié ayant fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans toutes les situations eu égard aux plafonds instaurés et qu'il y a lieu d'écarter ces barèmes in abstracto et d'apprécier les différents éléments du préjudice subi par le salarié demandeur pour déterminer une indemnité adéquate réparant ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, et L. 1235-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur et l'article 24 de la Charte sociale européenne :
5. D'abord, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.
6. Ces dispositions et celles des articles L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).
7. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
8. Ensuite, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
9. L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, permettant d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
10. Pour condamner l'employeur au paiement d'une somme supérieure au montant maximal prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail, l'arrêt retient d'abord, que le Conseil d'administration de l'OIT n'a pas seulement adopté le rapport du Comité d'experts mais a également mis à la charge du Gouvernement français une obligation particulière en lui demandant de tenir compte, dans le cadre de l'application de la convention n° 158, des observations formulées aux paragraphes 80 et 81 des conclusions du comité et en l'invitant à fournir des informations à ce sujet, pour examen et suivi ultérieur, le cas échéant, par la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
11. L'arrêt ajoute que si le juge national n'a pas le pouvoir de vérifier que le barème institué par l'article L. 1235-3 du code du travail garantit au salarié ayant fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, jugé compatible avec l'article 10 de la convention OIT n° 158, une indemnisation adéquate de son préjudice dans le cadre de cet accord international, un salarié est fondé à solliciter que le barème soit écarté au regard du préjudice dont il justifie, dans un litige l'opposant à son employeur, à raison de l'absence d'examen à intervalles réguliers par le Gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux, des modalités du dispositif d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail, de façon à assurer que les paramètres d'indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
12. Après avoir énoncé que si la Cour de cassation a jugé les barèmes compatibles avec l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT, elle ne les a pas jugés conformes, il en déduit qu'ils sont susceptibles de devoir faire l'objet d'adaptation et qu'aucune évaluation n'ayant été faite dans les conditions prévues par la décision du Conseil d'administration de l'OIT du 25 mars 2022, il manque une condition déterminante pour que les barèmes de l'article L. 1235-3 du code du travail puissent trouver application, si bien qu'il y a lieu de les écarter purement et simplement.
13. L'arrêt retient ensuite que les barèmes énoncés à l'article L. 1235-3 du code du travail sont manifestement contraires à l'article 24 de la Charte sociale européenne en ce qu'ils ne permettent pas, ainsi que l'a indiqué à plusieurs reprises le comité des droits sociaux, une indemnisation adéquate du salarié ayant fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans toutes les situations eu égard aux plafonds instaurés en fonction de l'ancienneté et du salaire, particulièrement faibles pour les anciennetés les moins élevées.
14. Il retient, enfin que les premières études de l'application concrète des barèmes confirment qu'ils ne permettent pas une indemnisation adéquate des licenciements sans cause réelle et sérieuse en particulier, mais pas exclusivement, pour les salariés ayant une ancienneté comprise entre 2 et 5 ans et ayant été employés dans des entreprises de moins de 11 salariés.
15. Il en conclut que, eu égard à l'applicabilité directe de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT et de l'article 24 la Charte sociale européenne et au fait que les barèmes d'indemnisation prévus par l'article L. 1235-3 du code du travail ne garantissent pas au salarié licencié de manière injustifiée, hors les cas de nullités, une indemnité adéquate, il y a lieu de les écarter purement et simplement, in abstracto, et d'apprécier souverainement les éléments de préjudice pour déterminer une indemnité adéquate réparant, en l'absence de réintégration, le préjudice subi à raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
16. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
19. Conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et au vu des éléments du préjudice caractérisés par la cour d'appel, il convient de fixer à la somme de 24 794 euros le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société SNCF voyageurs à payer à M. [S] la somme de 28 400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 1er février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société SNCF voyageurs à payer à M. [S] la somme de 24 794 euros ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.