LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Rejet
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 420 FS-D
Pourvois n°
B 22-24.653
F 22-24.657
G 22-24.659 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
La société Naval Group, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], a formé les pourvois n° B 22-24.653, F 22-24.657 et G 22-24.659 contre trois arrêts rendus le 20 octobre 2022 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [Y] [L], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [E] [F], domicilié [Adresse 5],
3°/ à M. [Z] [N], domicilié [Adresse 2],
4°/ à la Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de chacun de ses pourvois, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Naval Group, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de MM. [L], [F], [N], et de la Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 mars 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, M. Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Laplume, Rodrigues, Segond, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° B 22-24.653, F 22-24.657 et G 22-24.659 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Caen, 20 octobre 2022) et les productions, MM. [L],[F] et [N] ont été engagés sous le statut d'ouvrier de l'Etat par la direction des constructions navales, service de compétence nationale rattaché au ministère de la défense ayant pour mission la construction des navires destinés à l'armée française (DCN SCN).
3. En application de la loi de finances rectificative n° 2001-1276 du 28 décembre 2001, la direction des constructions navales est devenue une entreprise nationale, puis, le 1er juin 2003, une entreprise de droit privé dénommée DCN, aux droits de laquelle est venue la société DCNS, puis la société Naval Group.
4. Le décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 relatif à la situation des personnels de l'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale prévue à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 précitée comporte des dispositions leur permettant de conclure un contrat de travail de droit privé avec la société DCN.
5. MM. [L],[F] et [N] ont signé des contrats de travail de droit privé en qualité de cadre respectivement les 1er juillet 2012, 1er février 2007 et 1er janvier 2011.
6. Le 24 juillet 2019, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de rappels de salaires.
7. La Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat (la fédération) est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur les moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes identiques, réunis
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur les moyens, pris en leurs première, deuxième et quatrième branches, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser des rappels de salaires outre congés payés afférents, des dommages-intérêts à la fédération ainsi qu'à remettre des bulletins de salaires conformes, alors :
« 1°/ qu'il est précisé, sur les grilles de salaire dénommées seuils d'appointements bruts annuels garantis ¿ Transposition ¿ Personnels issus de DCN/SCN/Contrats « Convention collective »", annexées à l'accord collectif d'entreprise du 11 mai 2004, qu'il s'agit de grilles de transposition destinées à positionner le personnel dans DCN SCN, dans le cadre des propositions de contrat faites en application du décret du 3 mai 2002" ; que les articles 6 et 8 du décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 prévoient que les fonctionnaires et les agents non titulaires de la DCN SCN sont mis à la disposition de la société DCN pendant une durée maximale de deux ans, que la société DCN doit leur faire une proposition de contrat de droit privé à durée indéterminée, que ces personnels doivent se prononcer sur cette proposition avant le 1er juin 2005 et qu'en cas de refus du contrat proposé, ils regagnent leur administration d'origine à l'issue de ce délai ; que les articles 9 à 11 du même décret, applicables aux ouvriers d'Etat, prévoient que les ouvriers d'Etat sont mis à la disposition de la société DCN, sans limitation de durée, en conservant leur statut de droit public et ne leur garantit pas qu'ils bénéficieront d'une proposition de contrat de droit privé à durée indéterminée ; qu'il en résulte que les grilles de rémunération précitées ne s'appliquent pas aux ouvriers d¿Etat, qui ne bénéficient pas d'une proposition de contrat de droit privé faite en application du décret du 3 mai 2002 ; qu'en décidant néanmoins de faire application de ces grilles à un ouvrier d'Etat ayant conclu un contrat de travail avec la société DCN le 1er juillet 2012, aux motifs inopérants que le décret précité envisage la possible conclusion d'un contrat à durée indéterminée avec les ouvriers d'Etat sans condition de délai et que l'accord de 2004 a prévu que les ouvriers d'Etat qui le souhaiteraient pourraient signer un contrat de travail avec DCN, la cour d'appel a violé les dispositions des grilles de rémunération précitées annexées à l'accord collectif d'entreprise du 11 mai 2004 et les articles 6, 8 et 9 à 11 du décret du 3 mai 2002 ;
2°/ qu'il est précisé, sur les grilles de salaire dénommées seuils d'appointements bruts annuels garantis ¿ Transposition ¿ Personnels issus de DCN/SCN/Contrats « Convention collective »", qu'il s'agit de grilles de transposition destinées à positionner le personnel dans DCN SCN, dans le cadre des propositions de contrat faites en application du décret du 3 mai 2002" ; qu'il en résulte que ces grilles s'appliquent uniquement pour fixer le salaire du personnel issu de la DCN SCN auquel la société DCN propose un contrat de travail à durée indéterminée en application du décret du 3 mai 2002, c'est-à-dire les fonctionnaires et agents contractuels issus de la DCN SCN qui bénéficient d'une proposition de contrat à durée indéterminée sur laquelle ils doivent se prononcer avant le 1er juin 2005 ; que l'entrée dans les grilles précitées n'est ouverte, en conséquence, que jusqu'au 1er juin 2005, de sorte que ces grilles ne s'appliquent pas aux personnels issus de la DCN SCN qui concluent un contrat à durée indéterminée avec la société DCN après le 1er juin 2005 ; qu'en affirmant néanmoins que la société Naval Group ne peut considérer que l'application de la grille dite de transposition est temporaire, limitée à deux ans (?) puisque le décret de 2002 -auquel la grille fait référence-, a fortiori l'accord de 2004 n'impose aux ouvriers d'Etat aucune condition de délai pour signer un contrat de droit privé" et que la seule condition d'application de cette grille est le statut d'origine du salarié, la grille des nouveaux embauché étant réservée aux salariés non issus de DCN/SCN", la cour d'appel a violé les grilles de rémunération précitées annexées à l'accord collectif d'entreprise du 11 mai 2004 ;
4°/ que l'accord d'entreprise du 11 avril 2017, conclu postérieurement à la dénonciation de l'accord d'entreprise du 11 mai 2004, prévoit que ses dispositions se substituent aux dispositions de l'accord d'entreprise DCNS du 11 mai 2004" ; que l'article 3.2.1.1 de l'accord du 11 avril 2017 ne prévoit pas le maintien des grilles de salaires annexées à l'accord du 11 mai 2004, mais uniquement la reconduction des écarts de seuils d'appointements pour les cadres en position II entre la grille des seuils d'appointements bruts annuels garantis DCNS (?) et la grille de transposition des seuils d'appointements bruts annuels garantis destinée à positionner les cadres position II issus de DCN SCN dans le cadre des propositions de contrat faites en application du décret du 3 mai 2002" ; qu'il en résulte que cet accord maintient un écart de salaire uniquement pour les personnels issus de DCN SCN ayant le statut de cadre lors de la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée avec la société DCN et ayant conclu ce contrat avant le 1er juin 2005 ; qu'en affirmant néanmoins l'accord de 2017 n'a ajouté aucune autre condition d'application de cette grille spécifique pour les cadres que celle d'être issu des personnels de DCN SCN" et que le salarié [qui] remplit les conditions d'application pour bénéficier de la grille de « transposition ¿ personnels issus de la DCN/SCN/Contrats convention collective » prévue par l'accord de 2004, (?) peut en conséquence, le principe d'une grille spécifique ayant été reconduit par l'accord de 2017, bénéficier également et à compter du 3 mai 2017 de la grille correspondant à l'annexe 3 du nouvel accord et intitulée « Seuls d'appointements annuels bruts garantis 2017 ¿ transposition ¿ personnels issus de DCN SCN ¿ cadre position II »", la cour d'appel a violé l'article 3.2.1.1. de l'accord collectif d'entreprise du 11 avril 2017. »
Réponse de la Cour
10. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est-à-dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.
11. Selon l'article 9 du décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 relatif à la situation des personnels de l'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale prévue à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 n° 2001-1276 du 28 décembre 2001, dans sa rédaction issue de ce texte, les ouvriers de l'Etat, mis à la disposition de l'entreprise nationale conservent le bénéfice des dispositions appliquées aux ouvriers sous statut en fonction dans les établissements relevant du ministère de la défense.
12. Selon l'article 11 de ce même texte, les ouvriers de l'Etat, mis à la disposition de l'entreprise nationale qui ont conclu un contrat à durée indéterminée relevant de la convention collective applicable à cette société sont placés en congé sans salaire. Ils peuvent, pendant la durée de celui-ci, demander une affectation sur un emploi dans un établissement ou service du ministère de la défense. Ces personnels bénéficient, à compter de la date de prise d'effet de leur contrat, d'une ancienneté dans l'entreprise nationale égale à celle qui leur est reconnue au ministère de la défense.
13. Aux termes de l'article 3.1.2.1 « principes applicables à la classification des personnels issus de DCN SCN » de l'accord d'entreprise du 11 mai 2004 portant statut collectif du personnel de la société DCN, le positionnement des personnels de droit public mis à la disposition de DCN dans la grille de classification adoptée par DCN doit permettre à ces personnels de situer le niveau de leur poste au sein de DCN. Dans le cadre de son système de gestion des ressources humaines, DCN adopte une méthodologie de gestion des emplois basée sur les principes suivants : l'analyse du travail par la « description de poste », les « familles ou domaines professionnels » d'emplois, « l'évaluation des postes » et « le positionnement des postes ». Le positionnement pour chacun des personnels prend en considération l'emploi occupé pour déterminer le niveau convention collective de la métallurgie minimum dans lequel il serait intégré et les principes définis dans l'annexe 1 « propositions de contrat pour les personnels issus de DCN SCN ».
Cependant certaines personnes ont obtenu dans le passé des diplômes nécessaires à l'entreprise. S'ils le souhaitent l'entreprise leur proposera, au regard de la convention collective et du présent accord, un emploi conforme à leur qualification.
Les personnels qui bénéficiaient d'une classification convention collective de la métallurgie (position, coefficient...) au sein de DCN SCN verront celle-ci au moins conservée par DCN.
Si lors de la proposition de contrat, la cotation du poste occupé par le salarié (niveau convention collective de la métallurgie) révèle que le niveau du poste est inférieur à la classification et à la rémunération qui est reconnue au salarié, DCN s'efforcera de proposer au salarié, en accord avec celui-ci, un poste correspondant effectivement à sa classification et à sa rémunération.
Les personnels issus de DCN SCN devant opter, conformément au décret du 3 mai 2002, et/ou souhaitant intégrer DCN pourront bénéficier d'un « bilan d'appréciation ou d'orientation » permettant d'examiner dans quelles conditions ils pourront évoluer dans l'entreprise : pendant la période de mise à la disposition et avant la signature d'un contrat lorsqu'il est proposé aux intéressés un changement de travail effectif conduisant à leur affectation dans une nouvelle filière professionnelle ou nouvelle famille d'emploi, de façon concomitante à l'acceptation de leur contrat, dans les 24 mois suivant la signature de leur contrat.
14. Selon l'article 3.1.2.1.1 « personnel à statut ouvrier d'Etat » de ce même accord, sur la base du système de gestion des ressources humaines rappelé ci-dessus et des engagements pris par la direction, les personnels à statut ouvrier d'Etat mis à la disposition de DCN, qui souhaiteraient signer un contrat de travail avec DCN, pourront se voir proposer, au regard des fonctions effectivement occupées, des niveaux minimum de classification convention collective de la métallurgie se positionnant entre les niveaux 6 et 9. A partir du niveau 15, les techniciens à statut ouvrier pourront choisir le statut de Tam coefficient 365 ou le statut de cadre coefficient 92.
15. Enfin, selon l'article 3.2.1.1 du titre 3 de l'accord d'entreprise du 11 avril 2017 conclu après la dénonciation de l'accord du 11 mai 2004, se rapportant aux salaries minimaux hiérarchiques conventionnels servant de base au calcul des seuils d'appointement DCNS, les écarts de seuils d'appointement pour les cadres en position II entre la grille des seuils d'appointements bruts annuels garantis DCNS et la grille de transposition des seuils d'appointement bruts annuels garantis destinée à positionner les cadres position II issus de DCN SCN dans le cadre des propositions de contrats faites en application du décret du 3 mai 2002 définis dans les grilles de l'accord dénoncé du 11 mai 2004 sont reconduits dans le présent accord pour chacun des indices hiérarchiques.
16. La cour d'appel, après avoir relevé que le décret du 3 mai 2002 n'impose aucun délai aux ouvriers de l'Etat pour conclure un contrat de travail de droit privé avec reprise d'ancienneté, que l'accord d'entreprise du 11 mai 2004 comporte des dispositions spécifiques à destination de cette catégorie de personnels se rapportant à leur classification en cas de conclusion d'un contrat de droit privé et que l'accord d'entreprise ne prévoit aucune disposition conditionnant l'application de la grille de transposition en fonction du poste occupé au 1er juin 2005, en a exactement déduit, d'une part, que la seule condition d'application de la grille de transposition étant le statut d'origine des salariés, les ouvriers de l'Etat auxquels il n'est imposé aucun délai pour conclure un contrat de travail devaient bénéficier de la grille de transposition applicable aux personnels issus de DCN SCN en sorte que c'était à tort que l'employeur leur avait appliqué la grille « nouveaux embauchés » et, d'autre part, que l'accord du 11 avril 2017 n'avait ajouté aucune autre condition d'application de cette grille spécifique pour les cadres que celle d'être issu des personnels DCN SCN.
17. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Naval Group aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Naval Group et la condamne à payer à MM. [L],[F] et [N] ainsi qu'à la Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.