LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 avril 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 341 F-D
Pourvoi n° W 23-11.473
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025
La société [2], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement denommée société [4], a formé le pourvoi n° W 23-11.473 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 12), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hénon, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Ile-de-France, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Hénon, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2022), l'URSSAF d'Ile-de-France (l'URSSAF) a procédé à une inscription de privilège et a parallèlement notifié onze mises en demeure, puis décerné six contraintes à l'égard de la société [2], anciennement dénommée société [4] (la société).
2. La société a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale de contestations relatives à cette inscription et ces mises en demeure, puis a formé opposition aux contraintes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à péremption, alors :
« 1°/ que la péremption d'instance doit être prononcée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que cette règle, qui vise à assurer une bonne administration de la justice, ne porte pas d'atteinte excessive au droit d'accès au juge, lequel n'est pas absolu et se prête à des limitations, les tribunaux devant éviter, lorsqu'ils appliquent les règles procédurales, toute souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois et règlements ; que, pour retenir que " le moyen tiré de la péremption de l'instance ne saurait donc prospérer, peu important en l'espèce que l'intégralité de la procédure d'appel soit postérieure au 1er janvier 2019", la cour d'appel a justement retenu qu'"il résulte des dispositions du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ayant abrogé l'article R. 142-22 du Code de la sécurité sociale, que l'article 386 du code de procédure civile est applicable en matière de sécurité sociale tant aux instances d'appel initiées à partir du 1er janvier 2019 qu'à celles en cours à cette date" ; qu'elle a néanmoins ajouté que "lorsque la procédure est orale, les parties n'ont pas, au regard de l'article 386 du code de procédure civile, d'autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l'affaire, que la convocation de l'adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l'accélérer, qu'il en résulte que le délai de péremption de l'instance n'a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe dans la convocation, qu'en l'espèce, la date de première audience fixée par le greffe dans la convocation du 8 février 2021 étant celle du 21 avril 2022, et l'affaire ayant été plaidée après renvoi à l'audience du 20 octobre 2022, aucune péremption d'instance ne saurait être retenue, étant précisé qu'aucune diligence n'a été mise par la juridiction à la charge des parties à quelque moment que ce soit" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile par refus d'application, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'à défaut d'un texte spécial subordonnant l'application de l'article 386 du code de procédure civile à une injonction particulière du juge, la péremption est constatée lorsque les parties n'ont accompli aucune diligence dans un délai de deux ans, quand bien même le juge n'en aurait pas mis à leur charge ; que le constat de la péremption de l'instance, qui tire les conséquences de l'absence de diligences des parties pendant deux années en vue de voir aboutir le jugement de l'affaire et qui poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que cette instance s'achève dans un délai raisonnable, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable ; que, pour rejeter l'exception de péremption de l'instance soulevée par le cotisant, la cour d'appel a retenu que "lorsque la procédure est orale, les parties n'ont pas, au regard de l'article 386 du code de procédure civile, d'autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l'affaire, et la convocation de l'adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l'accélérer" ; qu'en se fondant sur le postulat erroné que la direction de la procédure devant la cour d'appel statuant en matière de sécurité sociale échappe aux parties, celle-ci a violé l'article 386 du code de procédure civile ;
3°/ qu'il résulte de l'application combinée de l'article 2 du code civil, de l'article R. 142-22, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2011-2119 du 30 décembre 2011, abrogé à compter du 1er janvier 2019 par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, et de l'article 386 du code de procédure civile, que ce n'est qu'à compter du 1er janvier 2019 que l'Urssaf avait l'obligation d'accomplir des diligences pour échapper à la péremption de l'instance qu'elle avait engagée et que ce délai expirait, en application de l'article 386 du code de procédure civile, le 1er janvier 2021 ; qu'en écartant la péremption d'instance, cependant qu'elle constatait "que l'intégralité de la procédure d'appel est postérieure au 1er janvier 2019" et qu'elle ajoutait "qu'en l'espèce, la date de première audience fixée par le greffe dans la convocation du 8 février 2021 étant celle du 21 avril 2022, et l'affaire ayant été plaidée après renvoi à l'audience du 20 octobre 2022", la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, l'article R. 142-22, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2011- 2119 du 30 décembre 2011, abrogé à compter du 1er janvier 2019 par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, et l'article 386 du code de procédure civile ;
4°/ subsidiairement que, à défaut d'un texte spécial subordonnant l'application de l'article 386 du code de procédure civile à une injonction particulière du juge, la péremption est constatée lorsque les parties n'ont accompli aucune diligence dans un délai de deux ans, quand bien même le juge n'en aurait pas mis à leur charge ; que le cotisant faisait valoir dans ses écritures "En l'espèce, l'appel de l'URSSAF date du 7 octobre 2019. A l'occasion de l'audience du 21 avril 2022, l'URSSAF n'avait notifié aucun jeu de conclusions ou d'observations à la Cour d'appel, ni à l'intimée et l'organisme n'est pas non plus à l'origine de la fixation de cette audience. L'URSSAF n'avait sollicité en effet aucune demande de fixation de cette affaire. Lors de l'audience du 21 avril 2022, l'URSSAF a sollicité le renvoi au motif que, bien qu'appelant, elle n'avait toujours pas conclu et c'est pourquoi ce dossier a été renvoyé à l'audience du 20 octobre 2022. De plus, lors de cette audience du 21 avril 2022, la Cour avait demandé à l'URSSAF de conclure pour le 30 mai suivant et l'intimée devait répliquer pour le 30 septembre en prévision de cette audience du 20 octobre 2022. Or ce n'est que le 2 septembre 2022 que l'URSSAF a transmis ses pièces et conclusions d'appel au conseil de la société. L'URSSAF a donc conclu pour la première fois plus de trente-quatre mois après sa déclaration d'appel. Lors de l'audience du 21 avril 2022, la péremption d'instance était d'ailleurs déjà acquise" ; qu'en s'abstenant de rechercher quelle diligence l'organisme de recouvrement aurait entrepris durant le délai de deux ans qui courait à compter de la déclaration d'appel du 8 octobre 2019, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.
5. Selon l'article R. 142-11 du code de la sécurité sociale, dans les litiges relevant du contentieux de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1 du même code, la procédure d'appel est sans représentation obligatoire.
6. Selon l'article 946 du code de procédure civile, la procédure sans représentation obligatoire est orale.
7. Par deux arrêts (2e Civ., 10 octobre 2024, pourvois n° 22-12.882 et 22-20.384, publiés), la Cour de cassation juge qu'en procédure orale, à moins que les parties ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n'ont, dès lors, plus de diligences à accomplir en vue de l'audience à laquelle elles sont convoquées par le greffe.
8. En particulier, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l'affaire à une audience à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif.
9. Ayant constaté qu'à la suite de l'appel formée par l'URSSAF le 7 octobre 2019, la date de première audience fixée par le greffe dans la convocation du 8 février 2021 était celle du 21 avril 2022, l'affaire ayant été plaidée après renvoi à l'audience du 20 octobre 2022, puis ayant relevé qu'aucune diligence n'avait été mise par la juridiction à la charge des parties, la cour d'appel en a exactement déduit qu'aucune péremption ne saurait être retenue.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [2] et la condamne à payer à l'URSSAF d'Ile-de-France la somme de 3 000 euros.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille vingt-cinq.