LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 23-83.939 F-D
N° 00709
ECF
28 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 MAI 2025
M. [U] [T], la société [2] et l'administration des douanes, partie intervenante, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-4, en date du 12 avril 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 28 juillet 2021, pourvoi n° 20-85.403), les a condamnés, chacun, pour fausse déclaration de valeur et fausse déclaration de marchandises importées, à deux amendes douanières.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire pour M. [U] [T] et la société [2] a été produit.
Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [U] [T] et de la société [2], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [2] (société [2]), sise à [Localité 4] (06), présidée par M. [U] [T], importait des Etats-Unis du matériel destiné à l'industrie du cinéma, notamment des serveurs vidéo.
3. L'administration des douanes, qui a procédé au contrôle des déclarations d'importation des serveurs déposées par la société [2] au cours des années 2009 à 2012, a notamment relevé que les factures produites à l'appui desdites déclarations d'importation ne correspondaient pas à celles enregistrées dans la comptabilité de la société [2], les premières n'incluant pas la facturation de licences se rapportant aux matériels importés, et qu'elles étaient ainsi minorées.
4. Le directeur général des douanes a fait citer devant le tribunal correctionnel la société [2] et son dirigeant de l'époque, M. [T], des chefs, notamment, de fausses déclarations d'espèces concernant des lunettes 3D, et de fausses déclarations de valeur s'agissant de la non-intégration dans la valeur en douane des serveurs vidéo des droits de licence dus pour les logiciels.
5. Par jugement du 14 novembre 2018, le tribunal correctionnel a notamment déclaré les prévenus coupables de ces délits, et les a condamnés solidairement à deux amendes douanières, de 80 000 euros pour le délit douanier de fausses déclarations de valeur en douane concernant les serveurs vidéo, et 1 000 euros pour la contravention douanière de fausse déclaration d'espèce tarifaire concernant les lunettes 3D.
6. M. [T], la société [2], le ministère public et l'administration des douanes ont interjeté appel de ce jugement.
Déchéance du pourvoi formé par l'administration des douanes
7. L'administration des douanes n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des pourvois formés par M. [U] [T] et la société [2]
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
8. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Énoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement déféré ayant déclaré M. [T] et la société [2] coupables de fausses déclarations de valeur relativement à la non-intégration des droits de licence dus pour différents logiciels, alors :
« 1°/ que d'une part, l'intégration des droits de licence dans la valeur en douane des marchandises importées suppose que ces droits soient en relation avec la marchandise à évaluer ; que tel n'est pas le cas des droits de licence qui rémunèrent des prestations postérieures à l'importation ; qu'ainsi, en constatant que les logiciels pour lesquels des droits de licence sont prévus ont été créés et développés en France puis intégrés aux matériels après l'importation de ceux-ci sur le territoire français, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 414-2 du Code des douanes et 591 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 29 et 32 du Code des douanes communautaire.
3°/ qu'enfin, le délit de fausse déclaration de valeur en douane prévu par l'article 414-2 du Code des douanes est une infraction intentionnelle ; qu'en se bornant à retenir que « la bonne foi des prévenus n'apparait pas constituée », ce dont il se déduit que les juges n'ont pas recherché l'intention coupable des prévenus mais ont, tout au contraire, inversé la charge de la preuve, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 414-2 du Code des douanes et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. Pour déclarer M. [T] et la société [2] coupables de fausses déclarations relatives à la non-intégration dans la valeur en douane des droits de licence ayant pour but ou pour résultat d'obtenir une exonération, un droit réduit ou un avantage financier attachés à l'importation, l'arrêt attaqué énonce que les factures définitives payées à la société exportatrice [1] par la société [2] et enregistrées dans sa comptabilité indiquent à la fois le coût des matériels importés et le coût des frais de licence.
11. Les juges ajoutent que la valeur transactionnelle des appareils importés était fixée par une annexe aux contrats passés entre la société [2] et la société américaine [1], la définition du prix incluant les appareils et les licences.
12. Ils relèvent encore que l'implantation en France des logiciels sur les appareils importés était effectuée par la société [1] Europe, succursale localisée à [Localité 3] de la société américaine [1], qui était liée à la société importatrice et avait le même dirigeant.
13. Ils en concluent que la valeur déclarée par la société [2] lors des importations de ces appareils a été minorée du prix des licences.
14. En l'état de ces énonciations, qui caractérisent l'existence d'une relation entre les logiciels et les serveurs conditionnant la vente, peu important le fait que les logiciels aient été installés après l'arrivée des matériels en France dès lors que leur implantation était prévue avant même l'importation, la cour d'appel a justifié sa décision.
15. Dès lors, le grief doit être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Vu les articles 414-2 du code des douanes et 593 du code de procédure pénale :
16. Le premier de ces textes incrimine tout fait intentionnel de fausse déclaration, d'utilisation d'un document faux, inexact ou incomplet ou de non-communication d'un document, ayant pour but ou pour résultat, en tout ou partie, d'obtenir un remboursement, une exonération, un droit réduit ou un avantage financier attachés à l'importation ou à l'exportation.
17. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
18. Pour déclarer M. [T] et la société [2] coupables de fausses déclarations relatives à la non-intégration dans la valeur en douane des droits de licence ayant pour but ou pour résultat d'obtenir une exonération, un droit réduit ou un avantage financier attachés à l'importation, l'arrêt attaqué énonce encore que la bonne foi des prévenus n'apparaît pas constituée dès lors que, s'il est constant que les appareils importés en France étaient des éléments informatiques standards librement programmables qui ont été ensuite, en France, l'objet d'intégrations de logiciels développés en France par la société [1] Europe, cette société était liée à la société importatrice et avait pour dirigeant M. [T].
19. En cet état, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs insuffisants à caractériser l'intention frauduleuse des prévenus, n'a pas justifié sa décision.
20. En effet, l'article 414-2 du code des douanes ayant remplacé l'article 426, 4°, du même code, applicable à la date des faits, l'exigence d'un élément intentionnel, qui rend le régime de l'incrimination moins sévère, est en conséquence applicable immédiatement aux faits retenus contre les prévenus, seules les peines moins sévères encourues prévues par l'ancien texte pouvant être prononcées.
21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au délit de fausses déclarations de valeur en douane concernant les serveurs vidéo, et à la peine prononcée en répression de ce délit. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par l'administration des douanes :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur les pourvois formés par M. [T] et la société [2] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 12 avril 2023, mais en ses seules dispositions relatives au délit de fausses déclarations de valeur en douane concernant les serveurs vidéo, et à la peine prononcée en répression de ce délit, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille vingt-cinq.