LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 301 FS-D
Pourvoi n° W 23-15.935
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 JUIN 2025
La société XpFibre, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société SFR FTTH, a formé le pourvoi n° W 23-15.935 contre l'arrêt N° RG 20/18253 rendu le 20 avril 2023 par la cour d'appel de Paris, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Bouygues Telecom, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La société Bouygues Telecom a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Regis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société XpFibre, venant aux droits de la société SFR FTTH, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Bouygues Telecom, de la SARL Gury & Maitre, avocat de l'Autorité de régulation des communications électroniques des postes et de la distribution de la presse, et l'avis de Mme Luc, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Regis, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, Sabotier, Tréfigny, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, Mme Luc, premier avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 avril 2023), le 21 décembre 2018, la société Bouygues Telecom a conclu avec la société SFR un premier contrat d'accès au réseau de communication électronique à très haut débit en fibre optique (FttH) déployé par la société SFR dans les zones géographiques les moins peuplées (les ZMD).
2. Le 31 octobre 2019, la société SFR FTTH, à qui la convention a été transmise au titre d'un apport partiel d'activité, a informé la société Bouygues Telecom de l'augmentation de sa grille tarifaire à compter du 1er février 2020.
3. Le 3 janvier 2020, un second contrat d'accès a été conclu entre la société SFR FTTH et la société Bouygues Telecom, laquelle a formulé des réserves sur les tarifs applicables.
4. Le 30 janvier 2020, après l¿échec des négociations sur ces tarifs, la société Bouygues Telecom a saisi l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (l'ARCEP) en règlement de différend portant tant sur la hausse des tarifs initiaux que sur le montant du tarif de location.
5. Parallèlement, par une décision n° 2020-0077 du 21 janvier 2020, la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction de l'ARCEP (la formation RDPI) a ouvert une enquête administrative concernant les obligations comptables et tarifaires d'accès aux lignes FttH des sociétés SFR et SFR FTTH.
6. Par une décision n° 2020-1168-RDPI du 5 novembre 2020 (la décision), la formation RDPI a accueilli les demandes de la société Bouygues Telecom et enjoint à la société SFR FTTH de lui proposer un avenant au contrat d'accès aux lignes FttH en modifiant un certain nombre d'éléments de sa grille tarifaire.
7. La société SFR FTTH a formé un recours contre cette décision. La société XpFibre est venue aux droits de cette société.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. La société XpFibre fait grief à l'arrêt de rejeter son recours en annulation de la décision fondée sur le moyen pris de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention) pour défaut d'impartialité, alors :
« 1°/ que, pour déterminer si les doutes sur l'impartialité d'une juridiction collégiale sont ou non objectivement justifiés, le juge doit procéder à une analyse au cas par cas, eu égard aux circonstances de l'espèce et aux règles procédurales applicables dans l'instance concernée, et notamment rechercher s'il existe un lien étroit entre les questions qu'un même juge a eu successivement à trancher ; que celui qui saisit ou poursuit ne peut juger des mêmes faits au fond sans faire naître un doute légitime sur son impartialité ; qu'ainsi le cumul structurel par la même formation RDPI, et spécialement son président, des fonctions de règlement de différend et de poursuite et d'instruction fait nécessairement naître un doute sur l'impartialité de cette formation lorsque celle-ci décide d'exercer successivement, pour les mêmes faits, chacune de ses deux prérogatives ; qu'en décidant au contraire que la circonstance que ce soit la même formation du collège qui a décidé d'ouvrir cette enquête et qui a réglé le différend n'est pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité de cette formation lors de l'adoption de la décision attaquée", la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention ;
2°/ qu'en se bornant à affirmer que la décision prise par la formation RDPI et son président d'ouvrir une enquête n'avait ensuite donné lieu à aucun acte d'investigation, quand cette circonstance résultait de la seule décision de la formation RDPI de privilégier la procédure de règlement de différend sur une instruction classique au mépris des garanties offertes à l'opérateur mis en cause, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure tout doute légitime sur l'impartialité de la formation de jugement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3°/ que, pour déterminer si les doutes sur l'impartialité d'une juridiction collégiale sont ou non objectivement justifiés, le juge doit procéder à une analyse au cas par cas, eu égard aux circonstances de l'espèce et aux règles procédurales applicables dans l'instance concernée, et notamment rechercher s'il existe un lien étroit entre les questions qu'un même juge a eu successivement à trancher ; qu'en affirmant qu'il importait peu que la décision préalable d'ouvrir une enquête sur les mêmes faits ait été prise après des échanges entre l'ARCEP et d'autres opérateurs sur les inquiétudes suscitées chez ces derniers par le projet de hausse tarifaire de la société SFR FTTH, quand les doléances de la société Bouygues Telecom avaient été jugées, par la même formation de jugement, suffisamment sérieuses, avant même l'ouverture d'une procédure de règlement de différend, pour justifier une enquête sur les mêmes faits, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention ;
4°/ qu'en considérant, pour retenir que les motifs de la décision d'ouverture d'une enquête ne sont pas de nature à faire naître un doute sur un éventuel parti pris de la part de la formation RDPI, que ces motifs reposent sur des constats purement factuels issus d'un examen objectif du marché dont n'est tirée aucune déduction ou conclusion particulière et n'induisent aucune appréciation de fond sur le caractère raisonnable des tarifs, après avoir constaté que la formation RDPI a, par une décision du 21 janvier 2020, ouvert une enquête administrative, sur le fondement de l'article L. 34-2 du CPCE, à l'encontre des sociétés SFR et SFR FTTH concernant leurs obligations comptables et tarifaires d'accès aux lignes FttH, telles que résultant du cadre réglementaire posé par l'article 34-8-3 du CPCE et des décisions cadres de 2009 et 2010, que la société SFR FTTH avait fourni à l'ARCEP des éléments insuffisants sur la construction de ses tarifs et que ces derniers apparaissent supérieurs à ceux des opérateurs d'infrastructures jugés par l'ARCEP comme étant de taille comparable, ce dont il résultait que la décision d'ouverture d'une enquête avait bien pour objet de rechercher d'éventuels manquements de la société SFR FTTH à ses obligations tarifaires, compte tenu des défaillances déjà constatées, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 6 § 1 de la Convention ;
5°/ que, pour déterminer si les doutes sur l'impartialité d'une juridiction collégiale sont ou non objectivement justifiés, le juge doit procéder à une analyse au cas par cas, eu égard aux circonstances de l'espèce et aux règles procédurales applicables dans l'instance concernée, et notamment rechercher s'il existe un lien étroit entre les questions qu'un même juge a eu successivement à trancher ; qu'en affirmant que la décision d'ouverture d'une enquête ayant retenu que le projet d'augmentation tarifaire serait mis en oeuvre dans un contexte où les tarifs d'accès en zones moins denses des autres opérateurs d'infrastructure de taille comparable sont restés stables" et que le tarif actuel de location à la ligne est très supérieur aux tarifs pratiqués par des opérateurs d'infrastructure de taille comparable alors même que les tarifs de cofinancement sous-jacents de SFR FTTH s'élèvent à des niveaux comparables à ceux des autres opérateurs", après avoir constaté qu'en 2018, seules les sociétés Orange et SFR ont pris des engagements de déploiement de la fibre dans les ZMD, ce dont il résultait que les opérateurs en cause ne sont pas de taille comparable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 6 § 1 de la Convention ;
6°/ que, pour déterminer si les doutes sur l'impartialité d'une juridiction collégiale sont ou non objectivement justifiés, le juge doit procéder à une analyse au cas par cas, eu égard aux circonstances de l'espèce et aux règles procédurales applicables dans l'instance concernée, en tenant compte notamment de la fonction exercée par le juge concerné ; qu'en affirmant, pour exclure tout doute sur l'impartialité du président de l'ARCEP que les propos publics tenus par celui-ci le 11 avril 2020 indiquant notamment qu'il y a un des grands opérateurs qui déploie la fibre en zone privée qui a des pratiques tarifaires qui posent question, que l'ARCEP y travaille et qu'elle ne laissera pas de passagers clandestins du système, [en particulier] un acteur qui profiterait de la situation pour pratiquer des prix plus élevés en ayant instauré un monopole privé, l'ARCEP [entendant] remettre les points sur les i" sur ce sujet sont des propos généraux ne suggérant pas que les tarifs pratiqués par la société SFR FTTH nécessitaient une intervention de la part de l'ARCEP pour le contraindre à pratiquer des tarifs conformes à ses obligations réglementaires, après avoir constaté que ces propos sur les tarifs élevés d'un opérateur privé visaient nécessairement la société SFR FTTH seul opérateur à la date du 11 avril 2020 faisant l'objet d'une procédure en cours en raison du niveau de ses tarifs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 6 § 1 de la Convention. »
Réponse de la Cour
9. En premier lieu, s'agissant du cumul par la formation RDPI des fonctions d'enquête administrative et de règlement des différends, l'arrêt relève que cette enquête, conduite sous l'autorité de la directrice générale de l'ARCEP, n'a donné lieu à aucun acte d'investigation, ni à aucune sanction, ce dont il déduit qu'il convient de déterminer si la seule décision de la formation RDPI d'ouvrir une enquête est de nature à créer un doute objectivement justifié sur son impartialité lors du règlement du différend. Il retient que, si l'objet de cette enquête couvrait pour partie les mêmes faits que ceux faisant l'objet du différend dont a ensuite été saisie l'ARCEP quelques jours après son ouverture, elle n'avait pour seule finalité que de recueillir des informations en vue de s'assurer du respect par la société SFR puis par la société SFR FTTH de leurs obligations légales et réglementaires à l'occasion du déploiement et de l'exploitation de réseaux FttH. L'arrêt en conclut que cette décision d'ouverture d'enquête ne constitue pas un pré-jugement d'une éventuelle méconnaissance par ces deux opérateurs de ces obligations, peu important qu'elle ait été prise après des échanges entre l'ARCEP et d'autres opérateurs à la suite des inquiétudes suscitées chez ces derniers par le projet de hausse tarifaire de la société SFR FTTH. Il ajoute que la seule circonstance que la même formation ait décidé d'ouvrir cette enquête et réglé le différend n'est pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur son impartialité lors de l'adoption de la décision.
10. S'agissant des motifs de la décision d'ouvrir une enquête, l'arrêt relève que ces motifs sont tirés, d'une part, du caractère insuffisant des explications et pièces transmises par les sociétés SFR et SFR FTTH en réponse aux demandes du régulateur pour expliquer leurs tarifs et le projet d'augmentation de ces tarifs, d'autre part, des constats relatifs au fait que la hausse envisagée serait mise en oeuvre dans un contexte de stabilité des tarifs pratiqués par les autres opérateurs présents dans les ZMD, et que le tarif actuel de location pratiqué par la société SFR FTTH est supérieur à ceux pratiqués par d'autres opérateurs de taille comparable. Il retient que ces derniers motifs sont les seuls critiqués et reposent sur des constats purement factuels, issus d'un examen objectif du marché dont n'est tirée aucune déduction ou conclusion particulière, et qui n'induisent aucune appréciation de fond sur le caractère raisonnable ou non des tarifs des sociétés SFR et SFR FTTH. L'arrêt en conclut que ces motifs ne sont pas de nature à faire naître un doute sur un éventuel parti pris de la part de la formation RDPI, dès lors que, pour régler le différend dont elle était saisie, cette formation ne s'est pas contentée de reprendre ces motifs, mais a procédé à sa propre appréciation des éléments du dossier.
11. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a, par des motifs propres à justifier sa décision, exactement déduit que la formation RDPI de l'ARCEP n'avait pas manqué à son devoir d'impartialité en statuant sur le règlement du différend après avoir ouvert une enquête administrative ayant eu pour objet de recueillir des informations en vue de s'assurer du respect par la société SFR FTTH de ses obligations légales et réglementaires dans l'exploitation de ses réseaux.
12. Les griefs des première à cinquième branches ne sont donc pas fondés.
13. En second lieu, s'agissant des propos tenus par le président de l'ARCEP au cours d'un « chat » vidéo public du 11 avril 2020, l'arrêt retient que, s'ils désignaient bien la société SFR FTTH, ces propos étaient généraux et ne faisaient que rappeler la mission et les pouvoirs de régulation de l'ARCEP, sans suggérer que les tarifs pratiqués par cette société n'étaient pas conformes à ses obligations réglementaires ni qu'ils nécessitaient une intervention de l'ARCEP. Il en conclut exactement que ces propos ne sont pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'absence de parti pris du président de cette autorité sur la question des tarifs de la société SFR FTTH et, partant, sur son impartialité.
14. S'agissant des propos tenus par le président de l'ARCEP au cours d'une audition du 22 avril 2020 devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, l'arrêt retient que, si ces propos suggèrent une critique en creux du recours au chômage partiel par la société SFR FTTH, ils sont toutefois sans lien direct avec la question des tarifs de cette société, objets du différend l'opposant à la société Bouygues Telecom, et ne traduisent pas non plus une animosité contre le groupe SFR ou un parti pris du président de la formation RDPI contre ce groupe. Il en déduit à juste titre que ces propos ne sont pas de nature à créer un doute objectivement justifié sur l'impartialité de ce dernier.
15. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement conclu à l'absence de manquement de la formation RDPI à son devoir d'impartialité.
16. Le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
17. La société XpFibre fait grief à l'arrêt de rejeter son recours en réformation de la décision, alors :
« 1°/ qu'il appartient à l'opérateur commercial qui se prévaut du caractère déraisonnable d'un tarif d'un opérateur d'immeuble ou d'infrastructure d'établir l'irrégularité de celui-ci ; qu'en considérant qu'il appartenait à la société SFR FTTH de fournir à l'ARCEP les éléments justifiant sa grille tarifaire initiale ainsi que ses tarifs augmentés et de les communiquer, fut-ce de manière agrégée, à la société Bouygues Telecom, la cour d'appel a violé les articles L. 34-8-3 et L 36-8 du code des postes et des communications électroniques ;
2°/ que le juge ne peut pas refuser d'accomplir son office en se fondant sur une prétendue insuffisance de preuves qui lui sont fournies ; qu'en affirmant qu'à défaut de fournir ses coûts, la société SFR FTTH n'est pas fondée à reprocher à l'ARCEP de ne pas s'être livrée à l'appréciation du caractère raisonnable de ses tarifs initiaux et de ceux issus de la hausse et d'avoir postulé que la société SFR s'est comportée en opérateur au moins aussi efficace que les autres dont les tarifs sont moins élevés, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil, ensemble l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques ;
3°/ qu'en retenant que la société SFR FTTH ne saurait reprocher à l'ARCEP d'avoir postulé que la société SFR s'était comportée en opérateur efficace, et à tout le moins aussi efficace que les autres opérateurs, dont les tarifs sont moins élevés (à l'exception de ceux d'Orange), après avoir constaté que seules les sociétés SFR et Orange avaient pris des engagements concernant le déploiement de la fibre dans les ZMD, ce dont il résultait qu'aucun autre opérateur ne pratiquait des offres tarifaires moins élevées en tant qu'opérateur d'infrastructures, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé de plus fort l'article L 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques ;
4°/ que si l'article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques permet à l'ARCEP de demander à un opérateur de justifier de ses tarifs, ces dispositions n'ont pas pour objet ou pour effet de le contraindre à communiquer ses comptes réglementaires ou tous autres éléments couverts par le secret des affaires à ses concurrents ; qu'en décidant au contraire que la société SFR FTTH n'était pas fondée à invoquer le secret des affaires pour s'opposer à la communication de ses coûts à ses concurrents, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
18. En premier lieu, par motifs propres et adoptés, l'arrêt énonce qu'en application de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, l'opérateur d'infrastructure (OI) est tenu de permettre aux opérateurs commerciaux (OC) d'accéder à son réseau FttH dans des conditions financières raisonnables, ce qui implique de pouvoir vérifier que la tarification pratiquée par l'OI repose sur des coûts clairs et opposables, correspondant à ceux supportés par un opérateur efficace. Il précise qu'en application des articles 4 de la décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 de l'ARCEP et 9 de la décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 de l'ARCEP, l'OI a l'obligation d'établir et de mettre à jour les informations relatives à ses coûts, retraçant les investissements réalisés et présentant un degré de détail suffisant pour permettre le contrôle par l'ARCEP du respect des principes d'objectivité, de pertinence, d'efficacité, de transparence et de non-discrimination, et ce, notamment, à l'occasion d'un différend dont cette autorité serait saisie. Il ajoute que, si les principes d'objectivité et de transparence n'obligent pas l'OI à justifier auprès de l'OC du détail de l'ensemble de ses coûts, ils impliquent, à tout le moins, la communication des éléments objectifs de nature à justifier leur évolution, afin, notamment, d'assurer un niveau de prévisibilité suffisant pour permettre aux OC, qu'ils soient locataires ou cofinanceurs, de construire leur plan d'affaires.
19. S'agissant de la hausse des tarifs de cofinancement, l'arrêt retient, d'abord, que la société SFR FTTH a notifié à la société Bouygues Telecom ses nouveaux tarifs d'accès sans aucune explication quant aux éléments justifiant cette hausse. Il retient, ensuite, que la société SFR FTTH a refusé de communiquer à cette société puis de produire, tant devant l'ARCEP qu'en cause d'appel, les éléments relatifs aux coûts qu'elle prétendait avoir exposés afin de justifier les simulations tarifaires qu'elle avait produites au titre sa grille tarifaire initiale et de celle issue de sa modification à la hausse, lesquelles reposaient en partie sur ces coûts. Il retient, enfin, que l'ARCEP s'est bornée à vérifier, sur la base des seuls éléments dont elle disposait, si un retour à la grille tarifaire initiale pouvait constituer une solution équitable au différend.
20. Analysant, ensuite, par motifs propres et adoptés, les éléments invoqués par la société SFR FTTH pour établir la régularité de la hausse de ses tarifs de cofinancement, l'arrêt retient que ces derniers éléments, sans lien avec la réalité des coûts réellement supportés par cette société, ne sont pas de nature à justifier du bien-fondé de cette hausse et a conclu à son caractère injustifié.
21. S'agissant du tarif de location, l'arrêt retient, d'abord, que, pour apprécier le caractère raisonnable de ce tarif, la société Bouygues Telecom puis l'ARCEP ont eu recours au modèle de tarification publié par cette dernière en 2015, permettant de traduire l'échelle des investissements en comparant les tarifs de cofinancement et de location, afin de permettre aux OC de gravir les échelons dans leur participation au financement des réseaux FttH. Il précise que l'ARCEP a également appliqué à ce tarif le taux WACC de rendement du capital, devant correspondre à la rentabilité attendue par les actionnaires en contrepartie de leurs investissements, ainsi qu'une prime visant à rémunérer le risque encouru par l'OI. L'arrêt retient, ensuite, qu'ayant refusé de produire les données relatives à ses coûts, la société SFR FTTH n'a pas permis à l'ARCEP de vérifier la pertinence des valeurs, hypothèses et estimations que cette société avait utilisées dans la modélisation alternative au modèle de 2015 qu'elle a produite aux fins d'établir le caractère raisonnable de son tarif de location. Il ajoute que cette modélisation alternative repose uniquement sur les coûts sans considération des tarifs de cofinancement, de sorte qu'elle ne permet pas de vérifier que l'écart tarifaire entre le cofinancement et la location respecte le principe de l'échelle des investissements. Il en conclut que c'est à juste titre que l'ARCEP a écarté cette modélisation alternative et a considéré que le modèle de 2015 constituait une référence pertinente pour apprécier le caractère raisonnable du tarif de location. L'arrêt retient, enfin, que les éléments autres que purement tarifaires invoqués par la société SFR FTTH ne sont pas pertinents et qu'en outre les données sur lesquelles ces éléments sont fondés n'ont pas été précisées ni produites au débat et ne permettent donc pas d'établir que le tarif de location retenu par l'ARCEP ne garantit pas une rentabilité suffisante pour l'OI.
22. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a statué sur le caractère justifié de la hausse des tarifs de cofinancement et sur le caractère raisonnable du tarif de location de la société SFR FTTH au vu des éléments dont elle disposait et qui, pour apprécier si cette société s'était comportée en opérateur efficace, s'est référée à des zones où d'autres opérateurs que les seules sociétés SFR FTTH et Orange, étaient présents, n'a ni méconnu son office ni inversé la charge de la preuve de la régularité des tarifs proposés par la société SFR FTTH.
23. En second lieu, il résulte de l'arrêt que l'ARCEP n'a pas demandé à la société SFR FTTH de communiquer à l'un de ses concurrents ses comptes réglementaires ou des éléments couverts par le secret des affaires, mais s'est bornée à solliciter les informations relatives à ses coûts nécessaires à l'examen du caractère raisonnable de ses tarifs.
24. Le moyen, qui manque en fait dans ses troisième et quatrième branches, n'est donc pas donc fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société XpFibre aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société XpFibre et la condamne à payer à la société Bouygues Telecom et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse la somme de 5 000 euros chacune ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.