LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 302 F-D
Pourvoi n° D 24-11.507
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 JUIN 2025
La société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS), société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 1], a formé le pourvoi n° D 24-11.507 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant à la société Wolfberger, Cave Coopérative Vinicole d'[Localité 4], Kuhri, Distillerie Wolfberger, Wolfberger Distillateur, Distillerie (Wolfberger Alsace Willm Kuhri), société coopérative agricole, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 4], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS), de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Wolfberger, Cave Coopérative Vinicole d'[Localité 4], Kuhri, Distillerie Wolfberger, Wolfberger Distillateur, Distillerie (Wolfberger Alsace Willm Kuhri), après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2023), la société Moët Hennessy champagnes et services (la société MHCS) exploite notamment la maison de vins de Champagne Veuve Clicquot.
2. Reprochant à la société Wolfberger Cave Coopérative Vinicole d'[Localité 4], Kuhri, Distillerie Wolfberger, Wolfberger Distillateur, Distillerie - Wolfberger Alsace Willm Kuhri - (la société Wolfberger) de s'être placée dans son sillage en reproduisant, pour commercialiser ses bouteilles de crémant d'Alsace, les caractéristiques de ses propres emballages constitués d'une bouteille recouverte d'un manchon de papier fin argenté parsemé de motifs, ainsi que les codes de communication et de promotion de sa gamme de vins de champagne dénommés Rich et Rich rosé, lancés respectivement en 2015 et 2016, la société MHCS l'a assignée en parasitisme.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société MHCS fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement ayant accueilli ses demandes, alors :
« 1°/ que la caractérisation du parasitisme ne requiert pas l'existence d'un
risque de confusion et moins encore la stricte similarité des produits ; qu'il suffit de caractériser, à l'encontre du parasite, l'intention de promouvoir sa propre activité commerciale en profitant gratuitement et sans risque du fruit des efforts de toute nature et des investissements d'autrui ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les investissements de la société MHCS tant sur le packaging, sur les composants de la communication des Champagne Veuve Clicquot Rich et Rich rosé, que sur un plan promotionnel caractérisent une valeur économique individualisée" ; qu'en écartant le parasitisme aux motifs que les packagings" de la société Wolfberger n'étaient pas strictement similaires, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1240 du code civil ;
2°/ que constitue un comportement illicite comme contraire aux usages honnêtes et loyaux du commerce le fait, pour une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, de s'immiscer dans le sillage d'une autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ; que le juge doit faire ressortir l'examen de l'impression d'ensemble dégagée par les produits et les communications commerciales au vu de toutes les caractéristiques critiquées ; qu'en l'espèce, il était fait valoir que le parasitisme s'évinçait non seulement de la reprise par la société Wolfberger sur ses bouteilles de manchons argentés, couvrant toute la bouteille, sur lequel étaient représentés ses logos disposés en forme de losange, mais encore de la reprise de la présentation publicitaire sur fond gris glacé argenté, avec la seule bouteille accompagnée d'un verre à cocktail rond, rempli de glaçons, dont le contenu rappelle l'orange ou le concombre" et des recettes ludiques par étapes sous forme de petits dessins" ; qu'en se contentant d'examiner distinctement chacun de ces éléments, après avoir pourtant constaté que les investissements de la société MHCS tant sur le packaging, sur les composants de la communication des Champagne Veuve Clicquot Rich et Rich rosé, que sur un plan promotionnel caractérisent une valeur économique individualisée", la cour d'appel a manqué de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ;
3°/ que le parasitisme consiste à tirer indûment profit des investissements ou de la notoriété d'un autre opérateur ; que la cour d'appel a constaté que les investissements de la société MHCS tant sur le packaging, sur les composants de la communication des Champagne Veuve Clicquot Rich et Rich rosé, que sur un plan promotionnel caractérisent une valeur économique individualisée", étant souligné que la société MHCS établissait les lourds investissements à partir de décembre 2014 en terme de diffusion, communication, par tous les moyens graphiques, visuels, digitaux, réseaux sociaux ainsi qu'un lancement" réunissant 115 invités dans les jardins du Pont Neuf, dont la vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux", puis le même investissement à partir de juin 2015 pour le Rich Rosé ; qu'en considérant qu'il ne pouvait y avoir parasitisme dès lors que n'était pas démontrée la notoriété particulière du champagne Rich de Veuve Clicquot", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations en violation de l'article 1240 du code civil ;
4°/ que l'originalité n'est pas une condition du parasitisme ; que le fait que des sleeves" (manchons) recouvrant l'ensemble de la bouteille auraient été utilisés depuis le milieu des années 2000, et le fait que la société Wolfberger en aurait elle-même utilisé des or", noir mat" et noir aubergine" ne sont pas de nature à rendre banal l'usage de manchons argentés recouvrant l'ensemble de la bouteille et parsemés de logos répartis en forme de losange, étant constaté que les investissements de la société MHCS tant sur le packaging, sur les composants de la communication des Champagne Veuve Clicquot Rich et Rich rosé, que sur un plan promotionnel caractérisent une valeur économique individualisée" ; que ce faisant, la cour d'appel a manqué de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ;
5°/ que l'originalité n'est pas une condition du parasitisme ; qu'en l'espèce
la cour d'appel a constaté qu'au mois de mai 2016, soit postérieurement au
lancement par la société MHCS de sa campagne pour le champagne Veuve Clicquot Rich, la presse aurait salué la société Wolfberger qui aurait pris le risque de sortir des codes du ice, imposés par les sleeves blancs et roses des différentes marques des Grands Chais de France" ; qu'en écartant tout parasitisme aux motifs que n'est cependant pas démontré que l'emploi de la couleur argent pour un manchon de bouteille relève d'une rupture significative par rapport aux habitudes du marché que la société Wolfberger aurait indûment captée, alors que par exemple la marque Infinite Eight proposait en 2004 un Champagne brut millésimé et la marque Forget Brimont en 2006 un brut millésimé, dont les bouteilles étaient revêtues de manchons argentés", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquence légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1240 du code civil ;
6°/ qu'en écartant le parasitisme aux motifs que le changement de manchons par la société Wolfberger, selon la presse, tout à la fois sortirait des code du ice imposés par les sleeves blancs et roses" (mai 2016) et serait conforme aux codes du marché" (juin 2017), soit deux articles postérieurs eux-mêmes au lancement par la société MHCS de ces nouveaux packagings, la cour d'appel a derechef manqué de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bull. 1995, IV, n° 193).
5.. Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535 ; Com., 20 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.131, Bull. 2016, IV, n° 116), ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage (Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-23.236, 99-10.406, Bull. 2001, IV, n° 132 ; Com., 5 mars 2025, pourvoi n° 23-21.157).
6. Après avoir relevé que les manchons recouvrant les bouteilles de la société MHCS sont de type argenté « brillant au soleil et scintillant la nuit » avec un effet miroir, tandis que ceux de la société Wolfberger sont de couleur métallisée mate, l'arrêt retient que les logos apposés sur les bouteilles respectives des parties ne se ressemblent pas, que la représentation dans les visuels promotionnels d'un verre à cocktail rond rempli de glaçons et de tranches de fruits à côté d'une bouteille sont des éléments descriptifs, banals et usuels pour présenter un vin pétillant destiné à la préparation de cocktails et que, dès 2004, d'autres opérateurs économiques avaient recouvert leurs bouteilles de vin pétillant de manchons opaques argentés. Il ajoute qu'en mai 2016, la presse spécialisée relevait que les codes du secteur étaient de présenter une bouteille revêtue d'un manchon blanc ou rose, pointant les risques pris par la société coopérative agricole Wolfberger qui avait lancé à la même époque une bouteille revêtue d'un manchon de couleur noir et aubergine.
7. Il retient également que la société MHCS ne démontre pas que son champagne Rich, lancé en avril 2015, avait acquis une notoriété particulière lorsqu'en juin 2016, la société coopérative agricole Wolfberger avait fait évoluer la présentation des bouteilles de ses vins « Ice Petite Folie » vers les bouteilles incriminées, en même temps que la société MHCS communiquait sur le lancement de la déclinaison en rosé de sa gamme Rich.
8. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que c'est dans le but de se conformer aux codes du marché émergent des vins pétillants destinés à l'élaboration de cocktails que la société Wolfberger avait décidé d'habiller ses bouteilles d'un manchon opaque argenté parsemé de logos, la cour d'appel qui, après avoir examiné séparément chacun des éléments invoqués par la société MHCS, les a appréhendés dans leur globalité et fait ressortir que les bouteilles en cause ne produisaient pas la même impression visuelle d'ensemble, tandis que la société MHCS ne pouvait s'approprier les éléments visuels appartenant à l'univers des cocktails, a pu déduire que la société Wolfberger, qui avait lancé la bouteille litigieuse en même temps que la société MHCS lançait sa campagne publicitaire relative à sa gamme Rich et Rich rosé et non postérieurement, n'avait pas cherché à s'inscrire dans le sillage de cette dernière.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS) aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS) et la condamne à payer à la société Wolfberger, Cave Coopérative Vinicole d'[Localité 4], Kuhri, Distillerie Wolfberger, Wolfberger Distillateur, Distillerie (Wolfberger Alsace Willm Kuhri) la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.