LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 24-82.311 F-D
N° 00827
SL2
17 JUIN 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JUIN 2025
MM. [K] [E] et [L] [V], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 62 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 28 février 2024, qui, dans la procédure suivie contre Mme [C] [I] du chef de diffamation publique, a constaté l'extinction de l'action publique.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de MM. [K] [E] et [L] [V], les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de Mme [C] [I], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. MM. [L] [V] et [K] [E] ont été les avocats d'une personne interpellée en marge d'une manifestation.
3. Ils ont saisi l'inspection générale de la justice et donné des conférences de presse et des interviews, mettant en cause le traitement de la procédure par les magistrats du ministère public du tribunal judiciaire territorialement compétent.
4. Le 16 novembre 2020, l'Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature ont diffusé le communiqué de presse suivant : « Ainsi, il nous parait essentiel de rappeler quelques éléments de vérité afin de répondre aux déclarations mensongères et tonitruantes de ces deux avocats (...) Les propos honteux tenus sur la partialité d'une magistrate du parquet en charge de ce dossier prétendument « mandatée afin d'effectuer ce qui s'apparente à une chasse à l'homme » sont inacceptables et indignes de la profession d'avocat. Ils n'ont pour autres objectifs que d'intimider et de menacer un magistrat dans l'exercice de ses fonctions ».
5. A la suite de la plainte de MM. [V] et [E] du chef de diffamation publique, une information a été ouverte.
6. Le 28 juillet 2023, Mme [C] [I] a été mise en examen du chef susvisé en sa qualité de représentante de l'Union syndicale des magistrats à la date des faits.
7. Le 16 janvier 2024, le juge d'instruction, constatant la prescription de l'action publique, a rendu une ordonnance de non-lieu.
8. MM. [V] et [E] ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu du 16 janvier 2024 par substitution de motifs, a annulé pour excès de pouvoir la commission rogatoire du 1er août 2022 ensemble ses pièces d'exécution, et a en conséquence constaté l'acquisition de la prescription en l'absence d'acte interruptif utile entre le 24 juin et le 26 décembre 2022, alors :
« 1°/ d'une part, qu'en relevant d'office un moyen pris de la nullité pour excès de pouvoir de la commission rogatoire du 1er août 2022 et de ses pièces d'exécution et en déclarant en conséquence acquise la prescription en l'absence d'acte interruptif utile entre le 24 juin 2022 (soit-transmis de la plainte avec constitution de partie civile au parquet) et le 26 décembre 2022, la chambre de l'instruction a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ d'autre part, que si le juge d'instruction ne peut instruire, en vertu de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, sur les preuves éventuelles de la vérité des faits ni sur la bonne foi, il doit en revanche instruire sur la tenue effective des propos poursuivis, leur caractère public, leur imputabilité aux personnes pouvant être poursuivies comme auteurs ou complices ainsi que sur l'identité et l'adresse de ces dernières ; que tel était précisément le strict objet de la commission rogatoire du 1er août 2022 (prod) tenant à l'établissement des propos litigieux, l'identification de leurs supports publics, leur retranscription écrite et leur imputabilité à personne déterminée ; qu'en énonçant que cette commission rogatoire était entachée d'excès de pouvoir comme portant sur la vérité des faits et la bonne foi des déclarants, la chambre de l'instruction s'est mise en contradiction avec les termes précis et limités de ladite commission, en méconnaissance du texte précité, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ de troisième part, que la formule stéréotypée de la commission sur « la manifestation de la vérité » ne saurait tomber sous la prohibition de l'article 51-1 dès lors que chacune des rubriques particulières de ladite commission ne révèle aucun excès de pouvoir reprochable au juge mandant ; qu'en accordant à un stéréotype une portée qu'il n'avait pas, la chambre de l'instruction a fait montre d'un formalisme excessif en méconnaissance du texte susvisé, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ en tout état de cause qu'est disproportionnée et relève d'un formalisme excessif l'annulation totale et indifférenciée de la commission rogatoire et du PV de synthèse des services sur les caractères propres des faits relevant de la compétence du juge d'instruction ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait en présence d'actes détachables, la chambre de l'instruction a derechef méconnu les exigences de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. Le grief n'est pas fondé dès lors qu'il résulte des mentions de l'arrêt que, comme le prévoit l'article 197 du code de procédure pénale, le réquisitoire du procureur général a été versé au dossier de la procédure déposé au greffe de la chambre de l'instruction le 20 février 2024 et requérait l'annulation de la commission rogatoire ainsi que le constat de l'acquisition de la prescription, de sorte que la partie civile ne saurait soutenir que le principe du contradictoire a été méconnu.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
11. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, par substitution de motifs, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des pièces de la commission rogatoire du 1er août 2022 que les enquêteurs ont recherché des éléments concernant la réalité des faits, y compris sur le contexte préexistant à l'infraction, et qu'ils ont émis un avis, notamment dans le rapport de synthèse, sur leur imputabilité.
12. Les juges rappellent que la vérité du fait diffamatoire ne constitue un fait justificatif de la diffamation que dans la mesure où la preuve en est administrée par le prévenu en conformité avec les dispositions légales et que cette preuve ne pouvant résulter que du débat contradictoire auquel il est procédé devant les juges du fond, il n'appartient pas aux juridictions d'instruction de la rechercher, ni de la recevoir.
13. Ils précisent que le rapport de synthèse apprécie point par point les propos qualifiés de diffamatoires par les plaignants au regard des éléments obtenus lors de la commission rogatoire et qu'il en ressort que le juge d'instruction a instruit sur des faits qui n'étaient pas visés dans sa saisine ainsi que sur les preuves de la vérité des faits diffamatoires et de la bonne foi, en violation de l'article 51-1, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
14. Ils en concluent que la commission rogatoire doit être annulée de même que ses actes d'exécution, et partant, que la prescription est acquise, aucun acte interruptif de prescription n'étant intervenu entre le 24 juin 2022 et le 26 décembre 2022.
15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
16. En premier lieu, en donnant mandat aux enquêteurs d'enquêter sur les conférences de presse données par les parties civiles entre le 20 octobre et le 12 novembre 2020, le magistrat instructeur a fait mener des investigations sur le contexte et les propos des parties et a instruit sur une période et des faits pour lesquels il n'était pas saisi, puisque sa saisine était limitée aux propos et faits dénoncés concernant un communiqué de presse syndical diffusé le 16 novembre 2020.
17. En deuxième lieu, la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de vérifier que les enquêteurs ont, en exécution de cette commission rogatoire, analysé et interprété les déclarations litigieuses.
18. En troisième lieu, l'annulation de la commission rogatoire entraîne l'annulation de l'ensemble de ses actes d'exécution.
19. Enfin, il appartient à la partie civile de surveiller le déroulement de la procédure et d'accomplir les diligences utiles pour poursuivre l'action qu'elle a engagée, afin de faire obstacle à l'acquisition de la prescription, cette obligation n'étant pas incompatible avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme quand, comme en l'espèce, il n'existe pour la partie civile aucun obstacle de droit ou de fait la mettant dans l'impossibilité d'agir.
20. Ainsi, le moyen doit être écarté.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que MM. [E] et [V] devront payer à Mme [I] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt-cinq.